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Après avoir tourné au coin de la rue, et maintenant que les filles sont parties, Claude attrape l’allume cigare d’un geste las. Il en profite pour s’en griller une. Besoin de décompresser. En un instant, sa gauloise s’embrase coincée entre les dents et libère une fumée dense qui envahit l’espace.

Martin toussote immédiatement

— Excuse-moi, lance dans la foulée Claude, en aérant l’habitacle d’un coup de manivelle.

Soudain, une violente quinte de toux le gagne. Claude crache par la fenêtre ses poumons noircis par les années goudron et se racle la gorge, avant d’envoyer un glaviot vert braver le brouillard régnant à l’extérieur.

— Couvre-toi, s’il te plaît, finit-il par ajouter comme si de rien n’était.

Puis il se réinstalle confortablement, s’accoudant dans la fraicheur du vent, tandis que son fils remonte jusqu’en haut la fermeture éclair de son anorak, mettant à l’abri son cou des vifs courants d’air.

— Merci, P’pa.

— C’est moi qui te remercie. Ça m’évitera de me faire engueuler par ta mère si tu rentres aussi enrhumé que moi, réplique Vador d’un clin d’œil complice. Et puis, ça serait bête que tu tombes malade, pas vrai fiston?

Le vieux pick-up sort de la ville en roulant à vive allure, puis emprunte une route poussiéreuse en travaux. Le chantier est immense. Un des travailleurs fait signe à Claude de s’arrêter, avant de brandir une barrière devant le capot pour laisser passer un engin de terrassement.

Claude obtempère, tandis que Martin regarde par la vitre, captivé par la grosse pelleteuse jaune qui ensevelit un trou géant avec un banc de sable.

— Je t’ai vu, tout à l’heure, lance Claude.

Silence.

— C’était encore un de ces mauvais rêves, n’est-ce pas ?

Martin déglutit, réfléchissant à ce qu’il va dire. Il balbutie :

— J’ai cru que… non rien.

— T’as cru que quoi ?

Silence.

— Tu peux tout me dire, tu sais ?

— C’est Lily, finit-il par répondre en regardant ses chaussures, après un petit moment d’hésitation. J’ai cru qu’il lui était arrivé quelque chose. Tout paraissait si réel.

Claude écoute attentivement Martin se livrer sans détour, de Victoria jusqu’au roi des morses, tirant de grandes bouffées sur sa cigarette qui se consume à vue d’œil. De la cendre se répand dans la vieille bagnole, sans qu’il n’y prête attention.

— T’as parlé de ce rêve à ta sœur ?

Martin secoue la tête de gauche à droite.

— T’as bien fait. Inutile d’encombrer son esprit avec des trucs pareils. J’en fait de même avec Hélène, je garde plein de choses pour moi et je suis content qu’on ait les mêmes reflexes de rois protecteurs toi et moi, conclut Claude, avant qu’un coup de klaxon n’interrompe sa séduction perfide.

Derrière eux, un bus scolaire commence à s’impatienter. Le travailleur qui régule la circulation tient la barrière relevée depuis un petit moment. Claude lève une main en guise d’excuse devant son rétroviseur. Il regarde à nouveau devant lui et passe la première en direction de l’autoroute.

Ils roulent une bonne heure avant la campagne remplace le béton. Plus d’immeubles ni de bruits, mais des champs et un calme apparent qui inquiète Martin. Ils sont au milieu de nulle part. En observant Claude du coin de l’œil, le costaud se demande où il l’emmène pour son baptême.

Claude a le regard vide, presque autant que celui de Martin quand il le force à rester avec lui de longues heures allongées dans la baignoire. Mais Vador a surtout cette lueur qui précède les fois où il s’apprête à éclabousser le monde de sa noirceur.

Claude continue d’avaler des kilomètres sur une route secondaire, puis sillonne des chemins qui serpentent jusqu’à la forêt d’Orient. Dans l’ombre des branches et balloté de gauche à droite, Martin s’accroche dans la voiture. Le pick-up vient d’emprunter une portion caillouteuse, bordée de chaque côté par de grands pins à perte de vue.

Martin redoute qu’elle mène dans les ténèbres, dans l’antre d’Apocalypse.

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