Étouffé, oppressé et ballotté de gauche à droite, Martin se réveille haletant de sa sieste et regarde partout autour de lui.

Il est sur la banquette arrière d’un vieux Pick up. Claude est derrière le volant du bolide à la peinture écaillée, tandis qu’Hélène fixe un point invisible par-delà l’avant du capot. Quant à Lily, elle est blottie contre lui et n’a pas réussi à fermer l’œil de tout le trajet.

Elle ressort délicatement de l’aile de son frère :

— T’as encore fait un cauchemar ? lui demande-t-elle après avoir ressenti un temps les spasmes du costaud. T’es tout transpirant.

— Qui ça, moi ? Certainement pas ! Vous faites erreur Princesse, rétorque-t-il, avec un mauvais acteur, essayant de la rassurer comme à son habitude.

— T’es qu’un menteur, réplique-t-elle.

Avec sa paume, Lily essuie la sueur qui perle sur les tempes de son frère, avant de s’en frotter les mains et de l’étaler partout sur son visage.

— Lily, arrête. Fait pas ça, c’est cracra.

Elle fronce les sourcils.

— J’aime pas quand tu parles comme si j’étais encore un bébé ! On dit pas cracra d’abord, ça veut rien dire. Et puis en plus c’est pas sale c’est du sel.

— Bah si c’est dégoutant ! Pourquoi tu fais ça ?

— Comme ça, lui chuchote-t-elle à l’oreille, peut-être que la prochaine fois je pourrai ressentir ce que tu traverses dans tes cauchemars. Et je pourrai t’y rejoindre pour te soutenir.

Martin ravale sa bile. Lily ne sait pas que tous ces mauvais rêves ont pour point commun l’avènement d’un grave danger qui rôde autour d’elle.

— T’es trop gentille ma Lily, mais tu te trompes. Je t’assure, je n’ai pas fait de cauchemar. Bien au contraire ! Puisque tu veux tout savoir, on était tous les deux des astronautes à la conquête de l’espace.

— Trop bien ton rêve ! lance-t-elle avec un soudain enthousiasme. Bon d’accord je te crois. Et est-ce qu’on a découvert une nouvelle étoile ?

— Plein ! Comme dans Mario Bros.

— On est arrivés les enfants, interrompt Hélène.

La voiture s’arrête en double file devant un complexe sportif tout blanc, pareil à un gros gâteau couvert de chantilly.

— À ce soir mes trésors, souffle Claude.

Avant de descendre, Martin agrippe la portière. Lily lui dépose un baiser sur la joue et lui demande une dernière fois au le creux de l’oreille :

— T’es sûr que tu peux pas venir m’encourager ?

Croisant le regard de Vador à travers le rétroviseur, Martin relâche immédiatement la poignée à contrecœur.

— Non je peux pas. On doit aller quelque part avec papa, je suis désolé, chuchote-t-il.

Encore Claude.

Toujours Claude !

Lily aimerait bien que Martin change ce disque rayé à propos de Vador. Elle se précipite hors de la voiture pour que Martin ne voit pas ses larmes lui monter à grands flots.

— Viens ma chérie, dit Hélène, voyant sa fille regarder le pick-up redémarrer en trombe avec son frère à bord qui la regarde à travers la vitre arrière.

Depuis le trottoir, Lily s’essuie les yeux avec sa manche et ne le quitte pas du regard, jusqu’à ce qu’il disparaisse avec Vador au coin de la rue.

— Ça y est. Ils sont partis maintenant, commente Hélène en déposant, bienveillante, un baiser sur le front de sa fille. Ton frère sera là la prochaine fois ma chérie, ne t’inquiète pas.

Malgré les mots rassurants de maman la princesse ne réagit pas. C’est à peine si elle entend sa voix, prise au milieu d’un tourbillon d’émotions teinté de ressentiments.

— Donne-moi ton sac, ajoute Hélène en lui posant une main sur l’épaule. Il faut y aller maintenant, sinon on va être en retard.

Lily se tourne face à sa mère, la regarde droit dans les yeux, puis d’un coup sec arrache le collier de perles fabriqué par Martin, avant de s’enfuir en traversant la route sans regarder.