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Malgré les effluves de Vador qui les pourchassent, deux mains s’étreignent d’un amour que les livres d’histoires ne relatent.

Elles se lient dans le lit, glissent l’une au creux de l’autre mais se crispent face aux souvenirs.

Boucle d’or et son jeune matelot naviguent maintenant en direction de l’école Saint-Joseph, surchargés de maux au quai du cœur. L’épisode de la salle de bain semble avoir douché leur ignorance, cette fois de manière irréversible.

Aucun n’a la tête à se plaindre du froid glacial qui s’engouffre partout, les happe et balaye la campagne en soupirs ce matin. Pourtant, ils sont frileux et râleurs l’un comme l’autre.

Lily respire à coups de grands bols d’air pour évacuer les résidus de brume chaude qui persistent, tandis que Martin s’évade en accordant son attention aux oiseaux, le cou à demi offert à l’hiver.

Une nouvelle bise froide les souffle, alors Lily comble la brèche du jeune matelot :

— Mais arrête de bouger ! maugrée-t-elle.

— Et toi arrête de respirer aussi fort, rétorque-t-il.

Comme Hélène leur a appris, Lily noue correctement l’écharpe du costaud, puis s’en détourne sans rien dire.

— Eh ! Où est-ce que tu vas ? demande Martin en la voyant hâter le pas.

— Bin je marche devant toi comme ça j’t’embêterai plus avec ma façon de respirer. Tu pourras être tranquille, tête en l’air.

Le caquet rabattu, Martin tourne sa bile avant de la rejoindre à grandes enjambées.

— T’es nulle, marmonne-t-il en collant sa paume contre la sienne.

Lily réfute ces propos d’un haussement d’épaules et réplique du tac au tac :

— Pourquoi, ça t’étonne ? Tu sais pourtant que l’élève dépasse toujours le maître.

Leurs regards se croisent.

Ils ricanent, puis demeurent confus, toujours écorchés par les souillures perverses. Ces premiers échanges, depuis leurs pleurs partagés, symbolisent autant de craintes que s’en remettre à la parole ne revigore blessures et douleurs, alors que d’ordinaire elle les bercent jusqu’à leur entrée en classe.

Dans leur tête des idées galopent mais le silence venant de s’installer n’est pas simple à briser. Courageuse, Lily se jette à l’eau la première. Elle effleure l'anorak de Martin et lui glisse à l’oreille un murmure.

— Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Envahi d'une soudaine bouffée de chaleur, Martin desserre son écharpe. Le moment tant redouté vient d’arriver. Il tente de s’en sortir comme il peut.

— Pourquoi tu chuchotes ? À part les arbres et les bêtes il n’y a personne, affirme-t-il, en regardant malgré tout par-dessus son épaule.

De l’autre côté des clôtures qui bordent le chemin, Lily examine attentivement les pâturages. Il n’y a que des vaches normandes et des chevaux épris par leurs occupations. Un sursis de sérénité la regagne alors.

— Il t’a dit quoi dans le bain ton amoureux ?

D’un coup, l’échine de Martin se cristallise, le mettant soudain mal à l’aise dans sa colonne vertébrale. Lorsque la valise aux rancœurs est trop lourde à porter, Lily sait toujours appuyer là où ça fait mal.

— C’est pas lui mon amoureux, c’est toi, déclare-t-il.

Lily fait la soupe à la grimace.

— Beeeeerk ! T’es dégoûtant. Moi, je veux pas être ton amoureuse. On a pas le droit parce qu’on est frère et sœur.

Martin se renfrogne, faisant le tour de la remarque et conclut :

— Dans ce cas, j’en veux aucune.

— Alors, il t’a dit quoi !

Toujours vexée de ne pas avoir été mise dans les confidences des hommes, Lily s’agace et Martin le sent bien. N’ayant déjà plus envie de l’écouter, il ouvre son cartable pour en sortir une balle en mousse. Lily aura beau insister, lui, c’est décidé, se murera dans le silence.

— Mais parle-moi, lui ordonne-t-elle en le tirant par la manche, tandis qu’il constate avoir oublié l’objet de toutes ses convoitises.

Martin n’a que faire de ces caprices. Il sait qu’elle l’aime trop pour ne pas fondre en larmes lorsqu’elle apprendra que son matelot n’est autre qu’un Claude en devenir. Il compte bien trouver un plan qui entraverait la volonté de Vador, mais en attendant, puisqu'il ne mentirait à Lily pour rien au monde, être muet comme une carpe semble la meilleure option qu’il ait trouvée.

Le sac à bretelles refermé et remis sur les épaules, Martin resserre ses lacets. Il se redresse, prend son élan et frappe dans une pierre qui valdingue, un peu plus loin sur le sentier. Satisfait, il en choisit une autre, feinte, dribble puis envoie un tir spectaculaire qui atteint cette fois le haut d’un tronc d’arbre. Se prenant pour Olivier Atton [1] et Kylian Mbappé réunis lorsqu’ils réalisent leurs prouesses, Martin lève les bras.

Petit, moyen, grand, rond ou plat, il n’est sur le chemin plus un caillou qui n’échappe à la pointe de ses chaussures. On dirait qu’il a trouvé de quoi s’occuper pour le reste du trajet, tandis qu’une boule enfle dans l’estomac de Lily.

Silencieuse, elle avance en se pinçant les lèvres, regarde les chevaux et se rapproche des clôtures pour être encore plus près.

L’un d’entre eux vient se faire gratter le bout du nez et se voit offrir une pomme par la princesse. Il se régale puis la remercie en cabrant face au vent, avant de détaler dans l’herbe mouillée par la rosée matinale.

De nouveau seule. Martin joue au foot et Lily se sent mal jusque devant les grilles de l’école, où à peine arrivés, la cloche signale à tous de se mettre deux par deux sans plus attendre ni faire les zouaves.

Les deux écoliers abîmés entrent en classe puis s’en-vont s’assoir au premier rang, à l’opposé l’un de l’autre où, comme chacun des élèves, une mystérieuse feuille les attend sur le coin de leur table.

Un brouhaha d’étonnement général arrive jusqu’aux oreilles de maître Armand, ce qui ne lui sied guère.

— Allons les enfants. Un peu moins de chahut, s’il vous plaît. J’ai une surprise pour vous.



[1] Série télévisée d'animation japonaise créée d'après le manga Captain Tsubasa, narrant l'histoire du jeune Olivier Atton qui rêve de devenir le meilleur footballeur au monde.

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