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Dans le bois de Boulogne, un dernier tonnerre d’applaudissements gronda sous le chapiteau. Les artistes saluaient longuement les spectateurs et leurs offraient d’ultimes cabrioles avant de fermer les rideaux.

Martin rassembla ses affaires, songeur.

Avec Lily, c’était dans leur habitude d’apprendre à aimer Claude un peu plus chaque jour, de la manière qu’il voulait, et Martin trouvait cela normal. Car c’est normal après tout d’aimer ses parents. Pourtant, ce jour-là sous le chapiteau, une sensation étrange le gagna.

En observant son ange, l’estomac du gardien de la galaxie s’était noué pour la première fois. Comme si soudain, il était devenu ce grain obstruant son sablier. Le temps ne s’écoulait plus.

Martin restait statique.

Quelque chose clochait au milieu du tableau qu’il avait sous les yeux. Les rires, les lutins jusqu’au singe à monocycle, Lily semblait si perdue dans tout ce cirque. Assise sur les jambes de Claude au milieu des sourires innocents, son mutisme détonnait parmi la joie des spectateurs.

Le contraste était saisissant. Le gardien de la galaxie se demandait pourquoi son ange était la seule à ne pas sourire.

Et lui, avait-il souri sans s’en apercevoir ?

Pas, qu’il s’en souvenait. Il baissa les yeux vers son bloc de croquis et senti une boule enfler davantage dans son ventre.

Derrière la finesse de ses crayons s’illustrait l’oxymore de leur vie. L’amour par coups de canif. La griffure de leur innocence était profonde comme la main de Lily plongée dans le pantalon de leur père. Au milieu de tous ces sourires, Martin avait capturé l’instant où Claude profitait de l’ombrage d’une barbe à Papa tombé du ciel.

Sur son œuvre, Lily était en quête d’espoir au fond des yeux du magicien. Les larmes criaient une douleur sur ses joues. La princesse fixait son gardien pour l’éternité, silencieuse comme une mort promise main dans la main.

Etrange. L’amour a une étrange définition, marronnait Martin.

Il se demandait pourquoi aucun enfant ne montrait à ses parents combien il les aimait comme sa sœur et lui apprenaient à le faire.

Le gardien de la galaxie n’obtenait aucune réponse en observant leur sourire.

Un sursaut le sortit de ses rêveries. Martin constatait qu’il était le dernier, assis sur des marches dans un coin du chapiteau.

Rapidement, il rangea son dessin puis se leva, sauta cape au vent en sabrant l’air d’un coup de canne.

Crac.

Sa cheville se tordit en bas des marches et son chapeau tomba sur le sol, tout comme son bloc de croquis.

Il les ramassa tous les deux puis sortit du chapiteau en boitant. Lily et Claude l’attendaient près du lac des cygnes.

En voyant arriver son gardien, Lily lâcha la main de Claude pour courir vers lui. Elle s’agrippa à son cou un instant, puis le relâcha afin de le scruter du regard.

— Tu t’es fait mal ? s’inquiéta Lily.

— Qui ça, moi ? répondit Martin en singeant une démonstration boitillante.

Lily le regardait en fronçant les sourcils. Elle souffla un bisou sur sa cheville qu’elle découvrait douloureuse puis lui offrit son bras.

— Amarrez-vous à moi cher matelot. Non, aujourd’hui t’es un magicien c’est vrai, se reprit-elle en regardant le beau chapeau et le nœud papillon de Martin.

Agrippés l’un à l’autre, ils rejoignirent leur père qui soulagea Martin des affaires qui l’encombraient comme un bourricot. Martin remis sa canne, ainsi que son bloc de croquis, avant de monter ensemble dans le bus.

Celui-ci était presque plein.

Lily et Martin s’assirent à l’unique place laissée libre, tandis que Claude resta debout au fond du bus.

D’où il était, Martin ne pouvait rien entendre, mais il voyait Claude discuter avec une dame assise avec sa fille juste devant lui.

Ils se souriaient tous les deux.

Martin tourna la tête et regarda Lily qui avait encore le nez collé sur la fenêtre.

Soudain une dispute éclata.

« Pervers ! Ne vous approchez surtout pas de ma fille. ».

Claude rougit sur l’instant et ne sut quoi répondre en voyant la dame sortir en furie du bus avec sa fille.

Après un moment d’égarement, Claude s’était ressaisi. Il s’empressait de refermer le bloc de croquis malencontreusement ouvert sur la dernière création de Martin, puis il l’avait fusillé d’un regard avec la même lueur que le vrai Dark Vador dans La guerre des étoiles.

Martin tressaillit en baissant ses billes noires, Claude ne lui avait jamais fait aussi peur.

Tout le long du trajet, Lily serrait fort la main de son frère et en descendant du bus, Claude les sépara pour leur prendre chacun une main.

Tous les trois, ils avancèrent en silence jusqu’à ce qu’il leur donne une leçon vitale afin qu’il prospère.

— Savez-vous pourquoi la dame ma disputé tout à l’heure et pourquoi elle m’a demandé de rester loin de sa fille ?

— Non, répondit Lily tandis que son frère regardait ses pieds.

— Martin, toi, tu dois bien avoir une idée derrière la tête, alors répond à ma question s’il te plaît.

— C’est à cause de mon coloriage ?

— C’est exact. Cette dame m’a dit que j’étais un mauvais père parce que je ne savais pas garder un secret de famille, et elle a eu raison de me disputer. Comme un idiot, je t’ai fait confiance, Martin. J’ai cru que comme un enfant bien élevé tu avais dessiné des images magnifiques, par exemple celles du spectacle que nous venons de voir. Mais à la place tu as dessiné tout autre chose.

— Mais papa, j’ai seulement représenté ce que j’avais sous les yeux.

— Je n’en doute pas, mais tu y as incorporé une représentation de l’amour de notre famille. N’oublie jamais que la famille c’est sacré tout comme l’amour qui ne doit être dévoilé qu’avec pudeur.

— Pardon. Je ne comptais pas montrer mon dessin à qui que ce soit. Je le gardais pour …

— Pourtant, cela ne t’a pas empêché de faire courir un risque à toute la famille.

Claude croisa les bras devant lui avant d’enfoncer le clou.

— Mes amours, est-ce que vous voyez des enfants nus se laver dans des lieux publics ?

— Non. En public ils ne se lavent que les mains.

— Pourtant ils sont propres alors d’après vous, où est-ce qu’ils font leurs toilettes ?

— A la maison, répondirent les enfants d’une même voix.

— C’est exact, concéda Claude. Maintenant, est-ce que vous voyez des enfants montrer à leur parent en public combien ils les aiment ?

— Non, seulement des bisous ou bien ils se tiennent par la main.

— Pourtant toutes les familles s’aiment alors pourquoi ne voit-on jamais de démonstration d’affection en public ?

— Parce qu’ils le font en privé.

— Encore exact, accorda Claude en leur lâchant la main.

Il arracha le dessin du cahier de Martin et le brandit sous leurs yeux avant de poursuivre.

— Ça, c’est à la fois très mal élevé et une trahison familiale. Faire un dessin de ce genre, c’est comme se laver tout nu au milieu d’un supermarché, ou montrer son zizi au milieu d’une cour d’école. N’oubliez jamais les enfants, il y a un temps pour tout, et un lieu pour tout. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?

— Oui.

— Dorénavant, Martin, je t’interdis de dessiner, lança Claude en repliant le danger pour le ranger dans sa poche.

— S’il te plaît papa, pas ça, je t’en supplie. Je promets de ne plus jamais faire de bêtises et je resterai sage pour toujours.

— Mais tous les jours tu en fais des vertes et des pas mûres, alors ça commence à bien faire ! Un jour Martin, quand tu deviendras père à ton tour, tu réaliseras que nous sommes pareil toi et moi, puis sans doute alors tu comprendras beaucoup de choses.

Claude s’accroupit pour se mettre à leur hauteur et les regarda tous les deux se tenir par la main.

— Martin, Lily, vous vous aimez très fort et je sais que vous ne pensez jamais mal. Mais vous devez comprendre que si je suis sévère avec vous c’est pour votre bien. La réaction de la dame dans le bus n’était qu’un avertissement. Comme vous le savez, vous n’êtes pas vraiment frère et sœur. L’état nous a confié ta garde Martin, car il pensait qu’Hélène et moi étions capables de t’élever de la meilleure des manières. Mais si quelqu’un découvrait un jour tous nos secrets, ils penseraient que nous sommes incapables de bien t’élever, Martin. Et tu irais là où vont les enfants dont personne ne veut. À l’orphelinat. Là où de glacials courants d’air soufflent dans les immenses dortoirs qui abritent les enfants mal élevés. De surcroît, vous ne pourriez plus vous revoir l’un et l’autre. Jamais.

Claude conclut son récit fondateur par de malsaines flopées de murmures sans s’apercevoir que, trop ébranlés par l’épée de Damoclès, Lily et Martin ne l’écoutaient déjà plus.

Lorsque Claude finit enfin sa tirade pernicieuse, Lily et Martin eurent le cœur brisé à l’idée d’être séparé l’un l’autre.

Il était paniqué.

Elle fondait en larmes.

Martin essuya une perle salée qui roulait sur la joue de sa sœur et lui a chuchota à l’oreille :

« Lily, ne t’inquiète pas. Je te promets de ne plus jamais faire de bêtises. Nous garderons nos secrets pour toujours pour que personne ne les découvre plus.

Et nous resterons ensemble jusqu’au ciel »

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