inter 25

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Alberto verrouille derrière lui après avoir répandu des senteurs de lavande

— Désolée pour… mes déboires, s’excuse Aurore, visiblement mal à l’aise.

Une dernière fois, elle se regarde puis range dans son sac un miroir de poche.

— Je vous en prie, dis-je.

— Ne reparlez plus de cette histoire d’abattoir, Charel. Je n’y vois plus aucun intérêt maintenant.

— C’est promis, mais ce n’était que la mise en bouche, annoncé-je.

— Une « mise en bouche » ?

— Quand vous serez prête Aurore, je vous servirai le plat de résistance.

— Ne comptez pas trop là-dessus.

— Pardon de vous le dire, mais préparez-vous à ce que j’assassine un de ces porcs devant vous.

Silence.

Elle ferme les yeux un temps, et les rouvre. Plonge dans l’immensité vide de mon regard, me fixe intensément, essayant de l’ensevelir sans réaliser qu’il est pareil au tonneau des Danaïdes. Aurore ne peut rien pour moi.

— Le fantôme prisonnier de ses chaînes dans ce rêve, il va nous falloir le libérer, Charel. C’est lui qui vous empoisonne, il vous faut reprendre le contrôle.

Silence.

— Lily, Martin, Hélène et Claude. Ils ne forment pas une famille imaginaire, n’est-ce pas ?

Silence.

— Répondez-moi.

Je la regarde.

— En effet, leur histoire n’est pas une comptine de mauvais goût, Aurore. Cette famille est bien réelle. Et un drame sans précédent se profile pour Lily et Martin.

Aurore tombe de sa chaise.

— C’est-à-dire ?

— Vous vous souvenez quand Lily a dû quitter sa compétition de patins à glace, avant d’être transportée d’urgence à l’hôpital ?

— Oui, je m’en souviens.

— Ce jour-là, les médecins ont découvert une déchirure vaginale, alors ils ont prévenu la pédopsychiatre. Je parle du docteur ayant longuement discuté avec Hélène avant que Claude ne rentre de son escapade forestière avec Martin.

— Docteur Klein, oui je sais qui elle est mais que se sont-elles dit toutes les deux ?

— Je ne sais pas exactement. Mais l’hôpital a fait un signalement à l’Aide Sociale à l’Enfance et une enquête de police a été ouverte.

— Et donc ?

— En définitive rien de probant pour inculper Claude. Les enfants n’ont rien révélé. Hélène n’est au courant de rien alors il reste libre comme l’air et continue de profiter d’une vie ténébreuse.

Sous les pieds d’Aurore, le sol s’effrite. Elle est livide, devient mon miroir de douleur. Elle clôt les yeux et retourne une larme, mais les suivantes ordonnent la lumière. Elles déferlent, roulent sur ses joues.

— C’est tout ? demande-t-elle.

Aurore me regarde désespérée.

— C’est injuste mais c’est comme ça. La loi est imparfaite. Elle ne peut protéger tout le monde. Et quand c’est le cas, le système est parfois lent. Trop lent. Alors les victimes restent prisonnières de leur souffrance. Lily et Martin vont devoir se construire en étant d’avantage brisés chaque jour.

Par pudeur, Aurore me tourne le dos et se plie en deux pour étouffer un sanglot. Elle semble inconsolable, alors j’insiste encore pour lui marteler mes maux barbelés.

— Faute de preuve, la loi demeure impuissante pour protéger un enfant de parents supposément dangereux. Lily et Martin sont condamnés, il faut vous le mettre bien dans le crâne ! Lily restera avec Claude. Il en fera ce qu’il voudra, autant qu’il voudra. Lily lui appartient et Lily n’aura bientôt plus l’épaule de Martin pour se consoler.

— Qu’est-ce que vous dites ? s’indigne Aurore.

— Bien qu’il n’y ait aucune preuve, les services sociaux ont pris des mesures de sauvegardes pour Martin. Ils vont le retirer de la famille.

— Ça n’a pas de sens, réfute Aurore. Pourquoi Martin devrait-il partir alors que le signalement concerne Lily ?

— Martin n’est pas le frère biologique de Lily. C’est un enfant placé depuis son plus jeune âge. Quand il était encore un nourrisson, sa maman est morte d’overdose dans un foyer pour jeunes mamans.

— Mon Dieu toute cette histoire est horrible…

Soudain, Aurore se reprend puis me lance violemment.

— Donc Lily va devoir rester avec son père ?

— Je vous l’ai dit aucune preuve n’inculpe personne, alors le doute est accordé à la famille pour la brigade des mineurs. La garde de Lily est toujours confiée aux deux parents. Mais les services sociaux qui ont l’autorité suprême sur Martin ne veulent prendre aucun risque.

— Comment savez-vous tout ça ?

— Les journaux vous l’ont confirmé, Aurore. Je suis un voyeur de la pire des espèces.

— Votre histoire n’a aucun sens, vous mentez !

— Il n’est pas trop tard pour les sauver, Aurore.

— Comment ça, pourquoi dites-vous ça ?

— Cette famille vit au bout de la route dans une petite ferme réhabilitée. A vrai dire, ils sont mes voisins les plus proches.

Elle devient livide.

— Aurore, vous avez le choix. Soit vous restez ici les bras croisés et acceptez le sort de Lily et Martin, en respectant la loi. Soit vous jouez votre partition. Il n’y a pas d’autre alternative.

Silence.

— Vous devez y aller, Aurore. Sinon acceptez quel drame est promis à ces enfants. Dite leur qu’ils seront bientôt séparés. À Lily qu’elle appartient désormais à Claude sans partage. Et à Martin qu’un lit lui est d’ores et déjà réservé à l’orphelinat.

Le visage d’Aurore se durcit.

— Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

— Donnez-moi un stylo et une feuille, Aurore.

Elle ne réagit pas, puis après un moment d’hésitation, Aurore me fait confiance et s’exécute. Je me mets à l’œuvre et m’applique. Naît rapidement de mes lignes une carte sur laquelle figure une petite ferme, des clôtures et une route arc-en-ciel cheminant jusqu’à mon haras.

Je lui tends mon joli paysage.

— Allez voir combien Lily et Martin sont beaux à voir une main dans l’autre.

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