inter 24

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— Attachez votre ceinture Aurore.

— Qu’est-ce que… Charel. Arrêtez votre cinéma. Je ne suis pas en sucre.

— Je vous aurai prévenu. Sachez d’abord que je ne vis pas en Bretagne par hasard, avoue-je. J’aime la campagne, ses paysages. Je reste à l’écart des grandes villes pour demeurer au plus près de la nature. J’aime aussi le calme qui y réside. Pas de stress ni de klaxon, ou de jeunes cadres prêts à se vendre au diable pourvu qu’ils gravissent les échelons.

— N’importe quoi, me coupe Aurore. C’est quoi ces clichés ?

— Cliché car un temps vérifié. Ils ne le sont pas tous, mais la plupart des jeunes gens le sont car la réussite ne laisse pas beaucoup de choix finalement. Qui de nos jours se prétend passionné par son travail ?

— Moi, je le suis.

— Bravo Aurore, mais quel pourcentage des actifs représentez-vous ? Allez, soyons gentils. Disons vingt pourcents. Pour le reste, ils trainent les pieds en allant au boulot et iront travailler des années durant à contrecœur. Et pour ceux-là, s’ils n’ont pas vendu leur âme au diable, ils l’ont au moins mise au placard pour le restant de leur vie professionnelle.

— Je vois ce que vous voulez dire mais…

— Bref, ce n’est pas le sujet alors cessez de m’interrompre. Je disais que j’aime la campagne. Les villages dépeuplés de girondins devenus jacobins par la simple nécessité de trouver un emploi. Rencontrer le succès en montant à Paris et sa vie lumière.

— Vous essayez de m’endormir. Arrêtez de meubler, Charel. On a un accord, alors honorez votre parole si vous souhaitez que je respecte la mienne. Une belle et grande prison de barbelés. Avec de vrais gardiens. Ce n’est pas ce que vous voulez, Charel ?

Je marque une pause volontaire, avant de poursuivre sans quitter des yeux Aurore.

— A une trentaine de kilomètres du hameau en roulant vers le nord, il y a un village qui à l’époque était une petite ville industrielle. Là-bas, j’ai racheté un abattoir abandonné. J’ai muré, une à une, chaque fenêtre puis isolé les murs pour en faire un lieu de confinement idéal pour y loger des porcs.

Aurore déglutit.

— Continuez.

— Parmi les vingt-trois bourreaux figurants sur mes croquis, neuf sont encore en vie.

— Continuez.

— Je ne leur donne que de l’eau.

— Bon sang Charel, continuez ! Vous n’allez pas recommencer à essayer de me préserver, je suis une grande fille. Vous aviez raison, je n’oublierai jamais vos œuvres répugnantes ni aucun enfant. Par contre, ces monstres, assène-t-elle en désignant mes croquis, je ne suis pas certaine de parvenir à les plaindre.

Elle ment, mais je dois me faire enfermer alors je continue.

— Je ne leur donne que l’eau. Ils n’ont pas de nourriture ni toilettes. Ils vivent dans leur merde, privés de lumière entre pédophiles. En revanche, personne n’est attaché. Ils sont libres de leurs faits et gestes car il y des règles à respecter.

— Quel genre de règles ?

Silence

— Au plafond de l’ancien abattoir, il y a un signal rouge qui trahit la présence d’une caméra à vision nocturne. Alors les porcs se savent regardés. Ils savent que leur vie ne tient qu’à une mine. L’homme au bloc de croquis les observe. Il les contrôle. Et il veut voir chaque porc violer ses pairs. Un par un. Lentement, les uns après les autres. Sans simulacre mais avec conviction. Une profonde et déchirante. Il veut les voir souffrir avec un mal en pleine mutation qui retourne chaque porc contre les autres.

Interdiction formelle de s’entretuer dans la communauté des porcs.

L’homme au bloc de croquis ne tolère pas le meurtre. L’homme au bloc de croquis se goinfre de les voir vivre. Il les garde sous contrôle. Il veut les voir vivre avec un bleu sur le cœur. Du blanc jusqu’à la glotte. Et plein de rouge sang autour de leur culs terreux. Alors les porcs se badigeonnent de foutre de porcs. La patrie les salue tout comme les âmes brisées. Au final, ces porcs ne font que ce qu’ils savent faire de mieux. Ils violent. Donc pour bouffer ils violent et vivent dans le paradoxe d’être puni par ce qu’ils savent faire de mieux. Châtiés par la loi d’un talion de cochon.

— J’en ai assez Charel, merci beaucoup.

— Si vous voulez, j’ai enregistré chaque vidéo de leurs petites sauteries et ils ne sont pas beaux à voir. Ah ça non. Vous devriez voir mes porcs Aurore. Le contraste est saisissant entre leurs sourires figés sur mes croquis, et les déchirures anales qu’ils s’infligent pour survivre ne serait-ce qu’un jour de plus.

— Vous êtes taré. Un animal. Taisez-vous maintenant, m’ordonne-t-elle sans que je ne puisse vraiment l’entendre, trop assourdi par ma haine.

Une haine ravivée par mes visions d’enfants cassés. C’est plus fort que moi, je dois finir mon récit.

— Ces porcs n’ont aucun soin. Chaque porc attrapé par le phallus d’un pair sait qu’il a définitivement perdu sa chance d’avoir de quoi bouffer les jours suivants. Alors en général ils se laissent crever de soif. Les morts s’empilent aux quatre coins de l’abattoir. La putréfaction des cadavres favorise les maladies alors pour éviter l’épidémie, les porcs deviennent encore plus inhumains. Ils croquent à pleine dents dans les corps. Remplissent leurs estomacs avec la chair des congénères jusqu’à les faire disparaître. Il n’y a pas un survivant qui n’est pas devenu un cannibale qui s’enjaille de lambeaux de cochonaille et...

Soudain, un vilain bruit familier m’interrompt. Aurore est en train de retourner son petit déjeuner.

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