inter 22

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— Vous n’êtes pas obligée de vous infliger ça, vous savez.

— Charel, personne ne m’oblige jamais à rien et celui qui compte y remédier n’est pas encore né.

— Très bien… mais sachez que ces croquis sont des fresques ténébreuses qui vous poursuivront jusque dans vos nuits. Vous en ferez des cauchemars. Sans jamais pouvoir vous en défaire.

— Vous avez sans doute raison, peut-être que ça peut attendre un peu.

Aurore coince une mèche derrière son oreille puis repose mon bloc de croquis sur la table. Je la regarde, lorsqu’elle prend une nouvelle gorgée.

J’aime la voir boire.

Quand elle m’offre son cou, bombant vers moi sa poitrine aux grands cœurs, elle est irrésistible. Mais un claquement de doigt me ramène sur terre.

— Eh oh !

— Quoi ? fais-je en relevant les yeux.

— Je peux savoir ce que vous regardiez ?

— Rien.

Les yeux posés sur ma braguette, Aurore décèle une certaine joie de vivre dans mon pantalon. Elle explose de rire tandis qu’à mon tour je constate combien cette femme exerce une puissante attraction sur moi.

Je déglutis.

— Veuillez m’excuser, m’empressé-je de dire. Tout cela est indépendant de ma volonté, je suis la première victime dans cette affaire.

Elle parvient à refreiner son fou rire.

— Vous devriez vous voir. Votre visage vient de virer au rouge. Regardez, dit-elle en me désignant le miroir.

Mon coup de chaud est évident. Il sauterait même aux yeux d’un aveugle et Aurore est en train de me mettre extrêmement mal à l’aise.

— Aurore, oubliez ce trop-plein d’énergie, je vous prie.

— Il n’y a aucun problème. Rassurez-vous, vous n’avez commis aucun...

Crime.

Elle ne l’a pas prononcé, pourtant ce mot avorté résonne comme une sentence assourdissante qui nous rappelle, à tous les deux, pourquoi nous sommes assis l’un face à l’autre.

Aurore se reprend et attrape lentement mon bloc de croquis. Jusqu’à maintenant, je n’y avais pas vraiment pensé, mais je prends conscience que je ne veux plus lui infliger ça. Je ne lui ferai plus de cadeaux. Elle n’a pas à regarder ces choses abjectes pour arriver là où il me faut la conduire.

— Aurore, si votre ambition est de voir le monde par son versant le plus épineux, alors allez-y. Foncez, faites-vous plaisir.

Elle n'a pas l'air de m'entendre.

— Cette mosaïque de gargouilles pédophiles va consumer l'image que vous porterez sur chaque enfant, y compris le vôtre, votre petite Justine, la piqué-je pour la sortir de sa léthargie.

Mais Aurore m’ignore encore, elle s’apprête à tout découvrir maintenant.

— Des préadolescents. Des petits garçons. Des fillettes et des nourrissons. Ils sont volés jusque dans leurs âmes jusqu’à être couverts de sperme. Allongés dans des landaus, debout dans des baignoires, assis par terre, avec ou sans jouets par milliers, enfermés dans des placards, étalés dans les lits conjugaux. Ils sont partout. Régalez-vous, Aurore. Rassasiez votre sadisme, allez-y !

Soudain, elle stoppe son geste en fermant les yeux.

J’ai gagné.

— Je sens que j’ai besoin de le faire, déclare-t-elle calmement.

J’ai perdu.

— De partager, poursuit-elle, ne serait-ce qu’une toute petite goutte, la souffrance que ces enfants et vous emmagasinez depuis toujours.

— Bon ça suffit maintenant rendez-moi ces croquis, Aurore.

Silence.

— Vous n'allez pas violer mon intimité tout de même ?

Lorsqu’elle rouvre les yeux, c’est trop tard. Les chaînes et ces maudites menottes me retiennent de l’empêcher d’entrer au royaume des ténèbres.

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