inter 19

3 minutes de lecture

— Je vous reconnais bien là, tout de suite les grands mots. Qui vous dit que j’ai posé le petit doigt sur cette créature, Aurore ?

— Arrêtez de jouer. Dites-moi ce que vous lui avez fait. Vous lui avez fait du mal ?

— Disons… que j’ai exécuté une mesure d’éloignement familiale indispensable.

— Par vous-même ?

— Et pourquoi pas ?

— Vous me faites marcher !

L’éloquence de mon silence lui confirme l’inverse.

— Pourquoi n’avez-vous pas appelé la police ? m’interroge-t-elle.

— Simple question d’efficacité.

— C’est pas vrai, vous aviez raison. Vous êtes complément dérangé ! Vous êtes un psychopathe, s’accorde-t-elle enfin à dire.

— Merci Aurore, votre clairvoyance m’impressionne. Je n’oublierai pas de voter pour vous au prochain prix Nobel.

Elle se lève de sa chaise, sans jamais plus tenir en place dans ma cellule. Allant de gauche à droite, madame commence maintenant à se ronger les ongles.

— Ah ça non, Aurore ! réprimé-je. Gardez les mains dans vos poches.

Ses mains, elles sont remarquables.

Presque autant que ses lèvres et son regard réunis. Vernies et soignées, elles pianotent sur la table de temps à autre mais elle est en train de les boudiner. Pas question qu’Aurore commette un tel outrage et que ma belle table en marbre en soit témoin.

— Il me semble vous avoir dit quelque chose, Aurore.

— Laissez-moi tranquille.

— Pas si vous continuez.

— Arrêtez Charel, m’apostrophe-t-elle avec une véhémence inoffensive.

Je jette un œil à gauche, vers l’unique miroir de la pièce.

— Faite gaffe Aurore, une merveilleuse femme est en train de me pointer du doigt.

— Je ne plaisante pas.

— Moi non plus.

— Vous êtes pire qu’un enfant, s’agace-t-elle.

— Je dirai au magnétophone de rapporter ce manque de contrôle qui commence à germer. Je sais que vous n’êtes qu’au premier virage mais il vous faudra faire preuve d’une certaine distanciation si vous envisagez de faire carrière.

— Taisez-vous, s’il vous plaît j’ai besoin de réfléchir.

Je rêve ou elle me foudroie du regard ?

— Que comptez-vous faire Aurore ?

— Appeler les flics.

— Hilarant, vous n’oublierez pas de leur dire que vous avez la mort du père de vos enfants sur la conscience.

Emportant avec elle ma bonne humeur, je n’ai pas vu partir la gifle.

— Qu’est-ce que vous venez de dire ? rugit-elle.

— Si je ne m’abuse, votre homme était au téléphone avec vous depuis un bon quart d’heure, au moment de son accident de la route. Alors pourquoi ne pas l’avoir empêché de se distraire, dite-moi tout ?

Soudain, Aurore fond en larme.

— Aurore, vous ne devriez pas vous laisser déborder aussi facilement. Vous n’y êtes pour rien dans cet évènement tragique. Je retire tout ce que je viens de dire.

— Pourquoi vous me faite revivre ça ? demande-t-elle inconsolable.

— Pour que vous trouviez le pardon, Aurore. Vous n’êtes responsable de rien. Chacun dispose de son libre arbitre et votre mari aussi, il ne dérogeait pas à la règle. Pierre est le seul responsable. Pas vous. Et si votre reconversion n’est due qu’à cela c’est dommage mais ne vous inquiétez pas. Vous êtes entre de bonnes mains avec moi. Comme je vous l'ai dit je vais faire de vous une journaliste de renom, comptez sur moi !

Elle se redresse, puis rit brusquement.

— Vous essayez de me rendre folle, c’est ça ?

— Pas plus que vous ne l’êtes déjà.

En colère, elle se rapproche tandis que je me contracte en essayant de me lever tant bien que mal, mais je suis toujours retenu par les menottes qui me clouent à ce fichu banc métallique.

— Qu’avez-vous dit ? demande-t-elle froidement.

Elle avance, encore.

Son odeur m’enivre de plus en plus, j’aimerais mordre dans ce cou parfumé. Prendre sur moi. Je dois prendre sur moi. Il me faut redescendre et vite. Je ferme les yeux puis inspire lentement pour amorcer une phase de méditation.

— Qu’avez-vous dit ? répète-t-elle.

— Tant que vous ne serez pas au clair avec vos démons la folie vous guettera.

Je rouvre les yeux, le plaisir ultime est à vingt centimètres de ma bouche.

— Aurore, vous êtes divine. Seriez-vous l’incarnation d’Aphrodite ?

Sa main s’éloigne vivement en élan puis revient plus vite encore avec force. Cette fois, je l’ai bien vu s’écraser sur ma joue.

Annotations

Vous aimez lire Sebastian Quartz ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0