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Cachés derrière les voilages blancs qui les protègent, Vador et son héritier observent ces dames vêtues de noir. Elles sont en pleine discussion avec Hélène, dehors, sous le porche de la chapelle, mais semblent plus concentrées par les tombes qui les entourent que par les mots qui s’envolent.

Très bien, songe Claude. Il lui reste encore un peu de temps pour parfaire le conditionnement de Martin :

— Te souviens-tu du jour où nous sommes allés voir les Farfadets et le roi des singes à monocycle ?

— C’est quand on était au cirque avec Lily ?

— Exact. Je parle plus précisément de notre conversation sur le chemin du retour, précise Vador.

Martin ravale sa salive, puis ferme instinctivement les yeux. Des frissons lui parcourent l’échine. Ce jour-là, il avait encore fait le pitre, avec ses crayons et ses dessins, et la glaçante morale reçue de Claude le tétanise encore.

— Regarde-moi, ordonne Claude.

— Oui papa.

Martin rouvre les yeux sur les tombes en déglutissant, puis se tourne immédiatement vers Vador.

— Sais-tu pourquoi, la dernière fois dans cette forêt, tu as dû éviscérer tout le poulailler ?

— Pour aguerrir mon instinct, se souvient le costaud.

— Encore exact mon garçon. L’excursion qui t’attend va faire de toi un spartiate. Et les épreuves qui t’attendent vont…

À l’écoute du mot magique, une excitation brutale revigore Martin qui ne peut contenir son enthousiasme.

— Un spartiate ? Comme dans les 300 ?

— Comme dans les 300.

Vador regarde Martin en se délectant de son emprise.

— Mon grand, si tu triomphes de toutes les épreuves rituelles qui vont suivre, non seulement tu deviendras un spartiate, mais peut-être même aussi que tu seras fait roi. Pas un roi de la Grèce antique ne te méprend pas, mais un roi des temps modernes !

Martin n’a encore rien fait, mais il est déjà fier. Fier que Claude l’imagine incarner un puissant héros, malgré ses sept ans et la peur qui grignote son inconscience.

— Mais avant ton règne, tempère Claude pour garder la pleine attention de Martin, il te faudra d’abord être fort mon garçon. Des gens voudront te faire parler, t’amadouer, te soumettre et ce jusqu’à te voir prosterné devant eux. Mais tu devras garder le silence. Ne dévoile sous aucun prétexte nos secrets de famille. Car la famille c’est ce qu’il y a de plus précieux au monde, tu comprends ?

— Ça veut dire que je vais devoir devenir muet comme une carpe ? s’inquiète Martin.

Voyant son héritier en plein brouillard, Claude l’éclaire de sa noirceur, en poursuivant son ancrage à l’aide du film préféré de Martin.

— Fiston, dorénavant tu as une grande responsabilité sur les épaules. Te souviens-tu quelle réponse réserve le roi Leonidas au sournois messager perse qui lui demandait de soumettre sa cité devant Xerxès ?

Le visage de Martin s’illumine.

— « De la folie. Nous sommes des spartiates ! » réplique mot pour mot Martin d’une voix victorieuse imitant le roi Leonidas.

Martin serre les points, fronce les sourcils puis assène un violent coup de pied sur le thorax du messager imaginaire dressé devant lui, et l’envoie au fond du puits tout comme l’a fait le plus grand défenseur de Sparte.

— C’est très bien mon grand. Et bien tu vois, la vie c’est un peu comme ce film. Garde en tête que les spartiates représentent notre famille. Que tous les étrangers sont en fait des méchants déguisés. C’est moi qui ai choisi l’endroit où les dames en noir te conduiront pour ta grande initiation. Ne l’oublie jamais. Je les ai choisies et elles vont tout me rapporter. Elles vont te tester, voir si tu respectes les règles de ton initiation. Si tu parles, tu perds, et ne reverras plus jamais ta sœur. Si tu gardes ta langue nous serons à nouveau tous réunis. Ces dames vont te suivre durant tout ton parcours. Ce sera dur, je le sais, mais au bout du chemin cette initiation fera de toi un roi. Ce sont donc les mêmes règles ou presque qu’à la maison : Ne parler à aucun étranger. Rester sur tes gardes afin de protéger les tiens, nous ta famille, autant que tu le pourras en préservant le moindre de nos secrets. Ne sois pas muet comme une carpe, mais ne parle jamais de nous, ta famille. Ni de moi, ni d’Hélène, ni de ta sœur. Plus jamais. Fais comme si tu n’avais plus personne.

Martin pleure mais Vador le rassure.

— Mon fils. Les gens sont par nature méchants, cupides et jaloux. Ils voudront savoir des choses mais personne, personne, n’a à savoir combien nous nous aimons fort avec ta sœur, tu comprends ?

— Oui, je comprends…

— Tu resteras fort comme le roi Leonidas, mais, tu seras bien plus malin que lui, que d’envoyer de simples coups de pieds sur tous ceux qui voudront te forcer à parler. Il te faudra utiliser la ruse, la malice et parfois même le mensonge, pour éviter les questions sur nous et que personne n’imagine que tu puisses un jour devenir violent. La violence c’est pour quand tu seras grand, un roi. Même pour t’amuser, ne joue pas, jamais plus, le grand Gulliver en écrasant ces ignares qui nous entourent, comme l’autre fois sur la Grande Roue. La violence c’est uniquement lorsque…

— … lorsque tout le monde a le dos tourné, le coupe Martin qui connait parfaitement l’adage de Vador réservé aux hommes de la famille.

— C’est bien mon fils.

— Je dois partir combien de temps ?

— Quelques jours, ou quelques années. Tout dépend de toi, Martin. Tout dépend de toi, répète Vador en le regardant bien dans les yeux. Plus longtemps tu tiendras ta langue, plus vite tu reverras ta sœur. Plus fort tu seras, plus tôt tu reviendras. Moi, ta mère et Lily, toute la famille compte sur toi dorénavant. Tu es un homme à présent.

Martin a peur mais est tout autant excité. S’il est fort comme un roc et malin comme un singe, tout se passera bien.

— Alors tout est bien comme dans les 300, constate même Martin. Certains jeunes spartiates aussi ne reviennent parfois jamais, ou seulement des années après le rite initiatique.

— Seulement les moins doués, les faibles et les lâches. Mais tu ne fais partie d’aucun d’eux, n’est-ce pas mon grand ?

Soudain, un claquement de porte. Les deux dames vêtues de noir sont enfin prêtes pour emmener Martin.

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