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En cette fin d’après-midi et pour la deuxième fois d’affilée, les portes du quatrième étage s’apprêtent à s’ouvrir sous leur nez. Et cette fois encore, Martin est prêt à bondir comme Usain Bolt sur les starting-blocks. Il se tourne vers son père, attendant son feu vert pour fuser. Claude opine sans faire de suspense.

Aussitôt, Martin détale jusqu’à sa mère, toujours en discussion avec le docteur en blouse blanche.

— Maman !

— Mon chéri, réplique-t-elle en sentant des petits bras se refermer autour de sa taille.

Son visage s’illumine. Elle se met à hauteur de Martin pour l’étreindre de toutes ses forces. Hélène laisse échapper des larmes de bonheur. Elle se sent renaître, enfin à moitié.

— Mon ange, où est-ce que vous étiez passés ?

— Au petit coin.

— Non, non je parle de la journée.

— Salut ma puce, les interrompt Claude.

Hélène perd son sourire en l’instant.

— Comment elle va ? Et non de dieu que s’est-il passé ? ajoute Vador en jouant son rôle à la perfection.

Hélène se redresse gagnée par la rancœur et lance, pour la première fois de leurs années de mariage, un regard noir de reproches à son mari. La peur soudain semblant s’être envolée.

— Pourquoi tu ne m’as pas rappelée plus tôt ? J’étais folle d’inquiétude. Ta fille se vidait de son sang pendant que tu prenais du bon temps !

— Je n’avais plus de batterie ma chérie, réplique Claude, se sentant observé par le médecin.

Il lui adresse un regard le plus neutre possible tandis qu’Hélène ne décolère pas.

— Et alors ? Tu pouvais pas trouver un téléphone ? rétorque-t-elle tout en serrant plus fort Martin contre elle.

Claude s’efforce de garder son sang-froid.

— J’ai vu ton message bien trop tard. Je n’avais plus de batterie et comme je n’ai encore jamais vu de cabine téléphonique en forêt, réplique-t-il avec une pointe d’ironie, essayant de faire bonne figure, il m’était impossible de t’appeler.

— C’est ça, prends-moi pour une imbécile. En attendant, je...

Soudain, Hélène s’interrompt en voyant Claude devenir livide. Elle connait par cœur cette colère qui ne demande qu’à l’étrangler, la rouer de coups. Claude bout à l’intérieur, Hélène le sent. Elle le sait. Tout comme elle sait aussi qu’en présence d’autrui il ne tentera jamais rien. Quand il explose, c’est toujours à huis-clos.

— Ta fille va bien, tempère Hélène en fuyant son regard haineux. Elle dort. On parlait justement d’elle avec le médecin.

— Docteur Klein, pédopsychiatre, bonjour monsieur, lance-t-elle en le saluant.

Claude regarde la main qui lui est offerte et l’empoigne à contrecœur.

— Madame.

— Votre femme a raison, lance Dr Klein, serrant fermement la main froide de l’homme maigre qui lui fait face.

Les yeux plongés dans les siens, elle le scrute, pendant qu’elle marque volontairement un silence, comme si inconsciemment elle actait qu’elle ne sentait pas ce père de famille. Sa femme, en le voyant pâlir face aux reproches qui lui était adressés, a viré au vert et depuis ne semble plus dans son assiette. Des mimiques trahissent même son stress. Le docteur a comme un mauvais pressentiment. Elle espère se tromper mais les faux calmes de cette trempe, Dr Klein en a vu bien des centaines. Ils lui donnent envie de vomir et de les voir dans des centres spécialisés, ou derrière les barreaux, au lieu donner des coups dans des coins jusqu’au ko dans les cœurs.

Il a envie de la marbrer. Claude déteste qu’on le provoque et encore plus lorsque c’est sournoisement. Cette bonne femme semble vouloir lui faire passer un message en le fixant sourdement. Sentant qu’il monte en pression, Claude s’empresse de ranger les mains dans ses poches. Afin de calmer les naissants tremblements.

— Qu’est-ce que ce veut dire au juste « votre femme a raison » ?

Claude la défie du regard, avec insistance, jusqu’à ce qu’elle baisse les yeux. Dr Klein remarque que l’homme qui ne lui inspirait pas confiance jusque-là, peine à contenir son énervement. Elle ne peut s’empêcher de lui sourire.

— Eh bien, j’entends par-là que votre fille Lisa va effectivement bien. À quoi pensiez-vous monsieur ?

Sans la quitter des yeux, Claude garde le silence.

— Elle dort. Nous lui avons administré les soins qu’il fallait pour qu’elle soit hors de danger, poursuit le docteur.

— Mon chéri, où est-ce que tu vas ? demande soudain Hélène, en voyant Martin s’écarter.

— Il cherche sa sœur, rétorque Claude, en refermant les yeux comme pour éteindre ses démons puis ajoute en tournant les talons : « J’ai un coup de fil à passer ».

— Martin !! s’écrie Hélène.

Le matelot s’arrête net, tandis que Vador est parti calmer ses nerfs.

— Ta sœur est dans l’autre direction, informe-t-elle. Chambre 45.

Aussitôt, filant comme une balle, Martin repart en sens inverse sans s’arrêter devant sa mère et le docteur.

42, 43 puis 44. Devant la porte qui le sépare de sa princesse, Martin ralentit et s’arrête, craignant de la découvrir griffée de l’intérieur jusqu’au fond des yeux.

— Lily ? l’appelle-t-il timidement en poussant la porte qui se met à grincer.

Soudain, il sent une main sur son épaule.

— Tu peux la voir, chuchote Hélène. Mais ta sœur a besoin de repos, alors je compte sur toi pour ne pas la réveiller s’il te plaît.

— Oui maman.

Martin regarde sa mère refermer derrière elle, puis avance jusqu’au chevet de Lily. Il pose son sac à dos sur un fauteuil de géant, puis grimpe sur le lit avant de se faire une petite place auprès de sa sœur et l’enlace.

— T’en as mis du temps, lui reproche d’emblée la princesse d’une faible voix.

— Lily ! s’émerveille Martin, avant de lui faire un bisou.

— Aïe.

— Pardon !

— Je rigole gros bêta, tu peux recommencer mon cher matelot.

— T’es nulle, réplique-t-il en s’allongeant confortablement avant de se tourner face à elle, de sorte de ne pas perdre une miette de leurs retrouvailles.

Comme si c’était la première fois qu’ils se voyaient, les deux âmes ne se quittent pas des yeux.

— T’as gagné une médaille avant de te faire mal ?

Timidement, Lily pince ses lèvres sans cacher sa déception, puis cherche les doigts de son frère sous la couette. Lorsqu’elle les trouve, Martin lui fait un baise main rempli de tendresse, avant de la sentir sangloter.

— Pourquoi tu pleures ma Lily ? T’as encore mal ?

— J’ai cassé ton collier de perles et j’ai pas pu récupérer les morceaux avant de partir à l’hôpital. Pourtant je voulais le faire, je te jure Martin !

— C’est pas grave, je t’en ferai un autre.

— Je sais.

— Mais pourquoi tu pleures alors ?

Lily repense à ses rancœurs inavouées envers Martin, à sa jalousie maladive, à son besoin viscéral d’être toujours auprès de lui aussi, puis se dévoile.

— Je veux qu’on arrête d’avoir des secrets l’un pour l’autre maintenant.

En repensant à sa journée sanguinaire dans la forêt aux milliers d’yeux rouges sous les branches, Martin déglutit. Lily s’essuie une larme, puis chuchote à l’oreille du costaud.

— Je voulais pas que tu restes encore avec Vador.

— Moi non plus ma Lily, avoue Martin. Mais t’inquiète-pas, même si ça va être dur, je te promets de tout faire pour qu’on soit plus jamais séparés.

Sentant le bonheur la chatouiller à nouveau, Lily esquisse un sourire. A l’instant précis, elle donnerait tout pour rester aussi légère. Elle voudrait que ce moment doux s’éternise, dire au matelot tout plein de trucs pour que l’instant se prolonge. Mais la princesse se sent partir dans les bras de son frère, ayant seulement eu le temps de prononcer quelques mots.

— Je t’aime Martin.

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