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Claude balance sa gauloise et pénètre aux urgences avec un stress inhabituel. Il y a quelques heures, un évènement grave est survenu. Lily aurait perdu beaucoup de sang. Hélène pense qu’il s’agit des premières règles de leur trésor. Cela rend Claude nerveux, il bouillonne d’impatience. Claude veut savoir :

Se pourrait-il, d’une manière ou d’une autre, qu’il y soit pour quelque chose ?

Cette précocité menstruelle est anormale, terriblement anormale. Il craint qu’en service de pédiatrie ils se doutent de quelque chose, mais Claude a beau se creuser la tête pour se rassurer dans les couloirs de l’hôpital, il pioche. Aucune de ses menues connaissances en médecine ne parvient à le calmer. Soudain il bute et bouscule quelqu’un.

— Putain ! lance une voix grave. Vous pouvez pas faire attention ?

Vador se retourne. Un colosse aux épaules pareilles à un demi de mêlée lui fait face. Pas impressionné par cette carrure, Claude fixe l’homme avec insistance de sa lueur malsaine sans un mot.

— Viens ma puce, dit le rugbyman, préférant ne pas s’attarder. On va se trouver un endroit plus tranquille.

Une colère sourde monte en lui, Claude regarde l’homme s’en aller avec sa gosse. Il aimerait l’écraser. Lui montrer qu’il est insignifiant. Qu’un acarien est plus impressionnant que lui.

— Aïe, tu me fais mal !

Claude sort Soudain de sa torpeur, desserrant son poing qui écrase la main de son fils. Sur sa gauche, Martin grimace.

— Allez viens, ne restons pas là.

Avant même de finir sa phrase, Vador file dans le corridor tandis qu’avec sa main douloureuse Martin tente de suivre la cadence infernale. Le costaud rebondit comme une boule de flipper sur les gens mais s’efforce de garder le rythme. Lorsqu’il arrive à son tour à l’accueil, Vador parle déjà à une dame aux airs d’ange :

— Lisa Géraudot, six ans. Elle a été admise ce matin aux urgences, ça vous dit quelque chose ? Je suis son père et j’aimerais bien savoir où elle est.

La quinquagénaire lève les yeux de son écran, puis considère par-dessus sa paire de lunettes l’énième personne qui n’a pas eu la correction de dire bonjour.

— Peut-être bien. Mais pour ça je vais avoir besoin d’une pièce d’identité s’il vous plaît, réplique-t-elle, avant de rester bouche bée, apercevant le passeport posé devant elle.

Restant professionnelle, elle fait l’effort de se contenir, tout comme Claude, qui s’agace en la voyant pianoter lentement sur son ordinateur. Après une bonne minute, elle fournit enfin l’information demandée.

— Chambre 45, quatrième étage.

Aussitôt, Vador tourne les talons, se dirigeant vers les ascenseurs.

— Surtout ne dites pas merci !

Claude serre les dents, et encore les poings, tandis que Martin est déjà dans l’ascenseur. Frénétiquement, le costaud appuie sur le chiffre numéro quatre, comme s’il avait le pouvoir de les mener plus rapidement au chevet de sa sœur.

Les portes s’ouvrent enfin. Martin se précipite vers l’accueil de l’étage avant d’être attrapé par le col.

— Minute, dit Claude, en apercevant une femme en blouse blanche parler à son épouse. Il a un soudain coup de chaud.

— Mais…

— Ne discute pas.

Petite taille et posture franche, le docteur a une main posée sur l’épaule d’Hélène qui s’éponge les yeux avec un mouchoir.

— Allez viens, ordonne Vador, constatant qu’ils sont au service pédopsychiatrique.

Claude cherche une porte de sortie. Agrippé à Martin, il empreinte l’issue de secours la plus proche qui donne sur une cage d’escaliers.

— J’ai envie d’aller au petit coin, se justifie-t-il alors qu’ils se rendent à l’étage inférieur. Ta mère est en pleine discussion avec un médecin et ta sœur ne va pas s’envoler. Alors on n’est pas à une minute près conclut-il.

Martin ne comprend la réaction de son père. Claude s’en aperçoit et tente une diversion. Il fouille dans sa poche puis sort son portefeuille :

— Tu veux quelque chose ? demande-t-il, arrivés devant un distributeur.

— Non merci, répond Martin en secouant la tête.

— Comme tu veux, réplique Claude, avant de refermer la main de son fils avec une pièce en son creux. Mais elle est à toi, tu en feras ce que tu veux. Attends-moi là, je n’en ai pas pour longtemps.

Claude pousse la porte des premiers sanitaires qu’il trouve et souffle un grand coup. Il s’enferme dans les toilettes handicapées et fait un exercice de respiration, avant de se rincer abondamment le visage pour faire descendre la pression.

Tout va bien se passer, se rassure-t-il.

L’inquiétude incrustée sur son visage va s’effacer et personne ne saura qu’elle est toujours palpable bien qu’invisible. Claude craint plus pour lui que pour sa fille. Il devra feindre la surprise et le dégout, avec une pointe de déni, si on lui balance une information qui le mettrait dans l’embarras. Il lui suffira de faire semblant, d’avoir une réaction effrayée de parent aussi faible que crétin.

Ça va aller, comme toujours.

Claude s’essuie le visage puis regarde droit devant lui. L’homme qu’il voit de l’autre côté du miroir n’a pas l’air dans son assiette. Il se met alors une gifle, puis une autre retentissante, pour retrouver les idées claires.

Depuis les années qu’il jouit d’une opulente violence infantile sans se faire prendre, ce n’est pas aujourd’hui qu’on va l’arrêter.

— Allez viens, lance-t-il revigoré en rejoignant Martin, avant de se figer, en le découvrant accroupi devant le distributeur. Bah bonhomme, je croyais que tu ne voulais rien ?

Martin attrape le paquet de bonbons aux couleurs éclatantes pour le fourrer dans son sac-à-dos et se tourne vers son père.

— Oui mais c’est pas pour moi. Les scoubidous c’est une surprise pour Lily.

Claude sourit puis embrasse son héritier sur le front avant d’appeler l’ascenseur.

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