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Près des portes coupe-feu, Hélène aperçoit enfin l’un des organisateurs. La main dans celle de sa fille, elle presse le pas et traverse l’immense hall du complexe sportif.

— Bonjour Mesdames, lance chaleureusement un vieil homme avec un badge des championnats régionaux autour du cou. Papiers officiels s’il vous plaît.

Lâchant la main Lily, elle fouille en quatrième vitesse dans son sac, avant d’en sortir deux pièces d’identité pour les tendre au vieillard.

Ce dernier s’amuse de la voir transpirante :

— Ce n’est pas le moment de performer ma petite dame, rassurez-vous, vous n’êtes pas en retard, lui dit-t-il en la devinant stressée.

Hélène lui rend un sourire de bienséance avant de le voir rayer deux noms sur une liste et lui rendre ses papiers.

— Merci monsieur.

— Attendez une minute, ordonne-t-il en la voyant s’éloigner. N’oubliez pas votre dossard ! Quelque chose me dit que vous en aurez besoin durant cette journée.

— Il y a des chances oui.

Cette fois, il vient de lui arracher un sourire sincère, c’est une victoire pour lui. Une petite, mais une victoire quand même. Hélène peut lire dans les yeux de cet homme de la vieille école, et qui doit avoir le même âge que son propre grand-père, une affectueuse bienveillance tandis qu’il lui remet le précieux sésame.

—Et voilà. Vous héritez du numéro 27, chère madame. Puisse-t-il vous porter chance !

— Merci infiniment, monsieur.

Hélène est captivée par le bleu cendré des iris du vieil homme, puis se saisit du dossard avant de se retourner pour le remettre à Lily, mais elle constate qu’elle a disparu.

Son cœur s’accélère :

— Oh non, non, non, pas maintenant ! souffle-t-elle.

Elle regarde autour d’elle, passant la main dans les cheveux et se demande où Lilly est encore passée. Puis elle sent une main délicate et ridée se poser sur son épaule.

— Si besoin je peux passer une annonce si vous le souhaitez madame, propose gentiment l’organisateur.



— Martin ! s’écrit Lily.

Il est là.

Son frère est finalement venu.

C’est lui, le petit garçon aux cheveux bouclés qui court en t-shirt jaune et qui vient à peine de disparaitre au milieu d’une forêt de jambes d’adultes. Il doit la chercher partout. Ce doit encore être une surprise, une de celles dont son frère a le secret pour lui faire plaisir.

Lily part à sa poursuite sans attendre, attentive à chaque pot de moutarde monté sur pattes croisé sur son chemin. Elle avance à grandes enjambées avec un bonheur retrouvé jusqu’aux oreilles et finit par bousculer une autre petite fille dans son délire enchanté.

— Pardon, j’ai pas fait exprès !

En poussant les portes battantes, dans le gymnase principal, elle constate soudainement que son matelot s'est volatilisé. A côté des poutres et du cheval d'arçon, des cerceaux s'agitent sur les tapis, non loin des stands de collations, mais nulle présence de Martin.

Lily est entourée d’une nuée d’enfants et de parents, d’entraineurs, de compétiteurs et spectateurs, se sentant soudain minuscule au milieu de tout ce monde. Une bouffée de chaleur l’envahit. La foule ne l’a jamais autant impressionnée qu’aujourd’hui. Elle doit à tout prix retrouver son frère, afin que les couleurs habillent de nouveau son monde devenu sans saveur. Elle regarde dans les gradins, sans doute Martin s’y trouve. Habituellement il est assis sur chaque siège, à tous les rangs, brandissant des pancartes en arc-en-ciel pour l’encourager. Mais Lily ne voit rien resplendir en tribune. Son esprit s’embrume.

Brusquement on la tire par le bras, elle trébuche, se rattrape puis se redresse.



— Qu’est-ce que t’es partie fabriquer, bon sang ? s’emporte sa mère en essayant tant bien que mal de prendre sur elle. Ce n’est pourtant pas faute de t’avoir dit de rester près de moi.

Hélène regarde les yeux de sa fille briller comme deux étoiles lointaines, mortes depuis des millénaires. Elle s’accroupit, pour se mettre à sa hauteur.

—Qu’est-ce qu’il t’arrive encore ma chérie ?

— Pardon maman, j’ai cru voir Martin.

La patience d’Hélène commence à s’évaporer.

— Maintenant, tu arrêtes avec ton frère, la somme-t-elle d’une voix aussi douce que ferme. Il ne viendra pas. Avec ton père, ils restent entre hommes pour la journée, et puis ce n’est pas le moment de disparaître comme une andouille. La compétition va commencer…

— Ah les voilà ! Les interrompt soudain une voix féminine. Bonjour les filles.

C’est Renée, l’entraineuse de Lily.

— Bonjour, désolée du retard. C’est ma faute, réplique Hélène.

— Vous parlez de l’incident sur le parking ?

— Comment vous savez que…

— Qu’est-ce que t’as ma grande ? la coupe Renée en mettant une main sur le front de Lily. T’es toute pâlotte ! T’es pas malade au moins ?

— Non elle est en forme, elle a juste besoin de rentrer dans la compétition.

— Tant mieux, on a besoin de notre championne nationale, s’enthousiasme Renée. Allez ouste, je vous l’embarque. On n’est pas en avance et vous non plus de toute évidence, conclut-elle, en regardant les sacs bien remplis aux pieds d’Hélène.

— Ah ça ? Oui. Marta est malade, alors on m’a réquisitionnée à la dernière minute pour tenir la buvette et je n’ai encore rien préparé comme vous le voyez.

Hélène s’accroupit pour glisser un mot à l’oreille de sa fille.

— Ma puce, on va y arriver. Concentre-toi sur ce que tu sais faire et tout se passera comme sur des roulettes. Allez, courage ma chérie. Et n’oublie pas que maman te regarde. Quand ce sera ton tour je serai juste là, au bord de la piste.

Hélène regarde sa fille rejoindre ses camarades dans les vestiaires, puis va s’installer à côté de Pascaline, dont les boissons chaudes sont déjà prises d’assaut.

— J’en connais une qui a encore eu une matinée mouvementée, commente Pascaline en rendant la monnaie a un client, après avoir vu la tête soucieuse de son amie.

Hélène lui sourit.

— Je ne te le fais pas dire, on a frisé la catastrophe.

— Il s’est passé quelque chose ?

— Ah t’es pas au courant, Renée ma demandé si…

— Attends, au courant de quoi ? de quoi tu parles ?

Un jeune homme commence à s’impatienter en les voyant papoter.

— Je t’expliquerai, rétorque Hélène en faisant un discret signe de tête.

Pascaline sert au client son café tandis qu’Hélène se dépêche de disposer barres de céréales, biscuits, fruits et quelques sandwichs maison sur la table.

Ses premiers clients ne tardent pas à arriver. La file ne désemplit pas jusqu’à l’annonce d’une voix métallique, du dossard numéro 27. Hélène a un soudain coup de chaud. C’est le moment. Le temps est passé si vite !

— Je reviens dans dix minutes ma belle, je vais…

— T’es encore là ? Allez du vent. Du balai ! Je ne veux plus te revoir ici, plaisante Pascaline qui déborde d’énergie.

Quelques secondes plus tard, Hélène aperçoit Lily sortir des vestiaires chaussée de ses patins à glace. D’ordinaire tout sourire, sa fille est pareille à une agoraphobe aujourd’hui, tétanisée par l’enjeu. Hélène ne la reconnait plus. Son stress est visible depuis l’autre bout du complexe, là où les minimes passent leur épreuve de gymnastique.

Lily jette un dernier coup d’œil sur les gradins puis se met en position.

— Allez ma chérie ! crie Hélène en remuant les bras au bord de la portion de patinoire réservée aux épreuves combinées.

La musique débute et la foule en délire se calme pour l’entrée de l’artiste.

Lily s’élance. Elle prend de la vitesse et glisse sur la glace comme la reine des neiges, avant de chuter à sa première pirouette, provoquant les murmures des spectateurs.

Hélène met la main devant sa bouche, elle n’en revient pas. Lily maîtrise pourtant cette figure à la perfection en temps normal, mais elle ne semble pas concentrée sur la piste. Son menton pointe constamment vers les gradins et elle vient d’être pénalisée une seconde fois. Le podium vient tout bonnement de s’envoler, alors qu’il ne s’agit que de la première épreuve. La journée risque d’être longue songe Hélène, plus déçue pour sa fille que pour elle, alors que la musique s’achève.

La princesse n’attend pas de voir la note des juges qu’elle se dirige déjà vers sa mère.

— Qu’est-ce qu’il y a ma chérie, tu ne te sens pas bien ?

Lily secoue la tête.

— J’ai mal à la tête et au ventre. Je veux rentrer à la maison…

Ne sachant si c’est du lard ou du cochon, Hélène lui touche le front par acquis de conscience. Elle ne sent ni fièvre ni température de mauvais présage, mais après l’accident provoqué, concilié à l’absence de son frère pour la première fois de sa jeune carrière de sportive, Hélène comprend que ça fasse beaucoup pour son trésor.

— On ne peut pas rentrer ma puce. Je me suis engagée à rester toute la journée à la buvette.

Elle reste un temps à la câliner, puis regarde le tableau d’affichage du calendrier de la compétition.

— Dans un petit quart d’heure, c’est l’épreuve des rubans mon ange. Il faut que tu y ailles.

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