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Maître Armand ne tolère dans sa classe pas plus le bruit que les mauvaises notes, il n’hésite jamais à séparer les binômes les plus turbulents. Pour ne pas les contrarier, il souligne que c’est avant tout pour les initier à l’éducation civique. Selon lui chaque élève, s’il souhaite un jour apprendre à vivre en communauté, doit ouvrir ses pétales aux jeunes autres pousses. Ainsi, se mettre à côté de tout le monde s’apparente à un acte citoyen, mais en réalité l’instituteur espère surtout que certains élèves redoublent de concentration.

Sa méthode, aujourd’hui Maître Armand en est fier. Elle semble enfin porter ses fruits : lors de la dernière dictée, seulement deux écoliers n’ont pas atteint la moyenne. C’est un grand jour. Alors pour récompenser cette progression collective, il leur a préparé une surprise dont les réactions le font se languir.

— Bien, s’exclame-t-il en se frottant les mains. Je vois que vous vous demandez pourquoi tant de mystères. Je voulais simplement tous vous féliciter. Vos résultats sont très encourageants à de rares exceptions, mais rassurez-vous, je ne ferai pas durer le suspense. Vous pouvez dès à présent retourner vos feuilles.

Lily a encore le nez vers la fenêtre.

Comme à l’accoutumée, elle rêvasse sans se sentir concernée par la classe. Martin la regarde, puis retourne sa copie mais n’a pas le temps de découvrir sa note que déjà tous les élèves sautent de joie.

Le hourra général attendu résonne jusqu’au bureau de Madame la directrice. Aujourd’hui, maître Armand ne dispensera aucun cours. À la place, il a organisé avec les parents, et dans le plus grand secret, une sortie au musée de la Planète Bleue.

— On décolle dans une demi-heure, les informe-t-il, enjoué, peinant à percer les cris de joie de l’assemblée. Amusez-vous comme vous voulez en attendant, vous pouvez donc vous lever de vos chaises.

Participant ainsi au jeu de chaises musicales, Martin vient se mettre à côté de sa sœur. Le calme de Lily détonne à ses yeux comparé à leurs camarades.

Pâtes à modeler, lego ou peluches, l’amusement général est consommé jusque dans la piscine à balles du fond de la classe.

— Arrête de faire la tête, lui dit-il.

Lily a les yeux qui scintillent, rivés vers le pré. Pas plus tard qu’hier, elle observait une famille de lapins s’égayer au pied du sol pleureur ressemblant à une vielle sorcière avec ses lianes.

— Je fais pas la tête, répond-t-elle.

— Tu ne devrais pas écouter Lorine.

Lorine, la reine de la frime, est la meilleure élève de la classe. Elle manque rarement l’occasion de revendiquer son statut, quitte à écraser ses camarades au passage pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité quant à son ascendant.

Les deux âmes tourmentées s’échangent un regard complice, bienveillant pour le futur footballeur, capricieux pour la princesse.

— Elle dit que je suis moche et que j'ai de la confiture à la place du cerveau.

— N’écoute pas ces bêtises, réplique Martin en retournant la feuille de Lily. Elle aime bien crâner, mais moi je l’aime bien tes cicatrices sur le front. Elles sont belles et témoignent que toi t’es une vraie aventurière. Une guerrière, une amazone, comme Wonder Woman ! Elle est jalouse, j’en suis sûr. Tu n’es pas moche et puis en plus, Lorine, elle sait pas que quand tu seras grande, c’est toi qui la battras et envoûteras l’univers.

Martin regarde la note soulignée de deux traits rouges et constate que Lily a encore obtenu un D- en dictée, sûrement une nouvelle fois la plus mauvaise note de la classe avec Lucien, même s’il n’a pas vu pas sa copie.

— Bah nan, elle a raison. Je suis moche et en plus j’arrive pas à travailler parce que j’aime pas la vie, sauf quand on est tous les deux, alors pourquoi j’apprendrai ses rouages ?

— Maître Armand dit toujours que pour bien grandir il faut « bien apprendre les leçons que la vie nous donne pour apprendre ses rouages ».

— Mais il parle même pas de l’école quand il dit ça !

— Peut-être, mais ça change rien. Tu dois travailler à l’école parce que tu sais pas de quoi demain sera fait. La prochaine fois tu lui cloueras le bec à Lorine, cette peau de vache, mais en étant gentille. Tu seras pas comme elle, promis ?

Boucle d’or regarde à nouveau par la fenêtre.

— Martin cette prochaine fois n’arrivera pas, alors arrête de dire des bêtises. De toute façon, c’est pas grave parce que quand je serai grande, j’irai vivre avec lui, dit-elle en souriant.

Martin se penche et remarque au fond de la cour un hérisson approcher d’un pot en fleur dont les plantes colorées de mauve s’épanouissent en hiver. Il sourit à son tour en voyant la boule qui pique y enfoncer ses narines, puis réfléchit à une solution pour Lily.

Mieux que quiconque, Martin sait combien il leur est difficile de se concentrer sur Tortue Mathématique ou le Gobelet Français à l’heure des devoirs ou en classe. Les leçons peinent souvent à être assimilées, car beaucoup de choses prennent déjà une immense place dans leur tête, polluent leurs pensées, torturent leur esprit jusqu’au moment du coucher. Heureusement, Martin a des facilites et surtout une mémoire d'éléphant mais ce n'est pas le cas de sa sœur.

Alors que Lily se demande encore comment fait son matelot pour aimer tant l’école, maître Armand les observe.

Il s’inquiète pour cette petite qui accuse déjà un sacré retard. Pratiquement incapable de lire, de compter correctement, et sa concentration est au ras des pâquerettes. Malgré tout elle s’exprime plutôt bien pour son âge à force de côtoyer son frère. Il ne sait pas d’où vient le problème, mais maître Armand n’imagine pas qu’il vienne de l’environnement familial, puisque Martin est premier de la classe prise dans son ensemble filles et garçons réunis (Lorine n’étant que la meilleure des filles).

D’avant en arrière, Lily bat des pieds sous sa chaise. Elle est songeuse et se met à douter. Martin la regarde, il est inquiet lui aussi, mais il a peut-être une idée pour la convaincre de s’améliorer.

Par deux fois, il tapote sur le serre-tête de la princesse afin d’attirer son attention puis lui murmure à l’oreille.

— Tu te souviens quand on courait à travers les champs de blé ? On s’amusait à dépiauter autant d’épis qu’on pouvait pour se couvrir de céréales. On en avait jusque dans les chaussettes et tu adorais par-dessus tout nos parties de cache-cache. Tu disais qu’être invisible te permettait de …

— … voir le monde différemment avec des choses que je voyais pas avant, l’interrompt Lily en fixant soudain son frère.

— Eh bien l’école c’est pareil, affirme Martin d’un ton résolument convaincu. Derrière chaque leçon se cache des tas de blés derrières lesquels tu pourras se cacher. Tu auras tellement de montagnes de connaissances que les terres aux quatre coins du monde n’auront plus aucun secret pour toi. Tu pourras t’y aventurer sans que personne ne s’en aperçoive jamais, sauf moi bien sûr. Je t’observerai avec mon télescope sur mon bateau du haut d’une vague.

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