Lily essuie ses larmes puis prend la main de son frère.

Ensemble, ils avancent côte à côte, s’enfonçant plus encore dans l’infini couloir jusqu’à se trouver devant une grande porte entrebâillée. De la vapeur chaude s’en échappe par l‘encablure.

D’un œil désolé, Martin regarde sa princesse en lui rendant sa main, puis entre en premier dans la pièce. Il s’enfonce au milieu du brouillard, quelque part, avant de disparaitre.

Lentement, Lily voit s’éteindre la silhouette de son frère. Elle se retrouve seule, dans cette épaisse brume fiévreuse. Ces maudits nuages la font frissonner mais Lily fait preuve de courage, allant à la place qui est sienne, restant ensuite bien sage, debout, le dos plaqué contre la fraîcheur du carrelage en faïence puis attend.

D’où elle se tient, il n’y a guère plus de visibilité qu’en pleine nuit, à la différence qu’il fait gris. Le gris est partout. Lily distingue à peine ses nus pieds et se souvient malgré elle du film de morts-vivants l’ayant traumatisée.

Elle craint que ces monstres d’outre-tombe aient déjà repéré Martin, s’apprêtant à l’agripper pour le dévorer. Soudain, un violent spasme la parcourt.

Sa peau se hérisse.

Heureusement, d’après son frère, il leur suffit de fermer les paupières pour se protéger des zombies. Mais Lily redoute davantage ce qu’il s’y dissimule d’autre.

Cela fait maintenant trois quarts d’heure que les minutes s’égrènent sans qu’elle n’ait bougé le petit doigt. Vingt minutes qu’elle a entendu ce cri rauque et laid, ce monstrueux grognement qui trahit un obscur plaisir à en faire trembler les murs.

Lily commence à avoir des fourmis dans les jambes. Elles la picorent, l’engourdissent avec leur venin. Enfin elle sent la moiteur de l’air s’estomper. La vapeur chaude qui se dissipe lui signale qu'elle pourra bientôt ouvrir les yeux.

Parce qu’elle fait confiance à Martin qui a souvent les meilleures idées, Lily sait qu’elle devra bientôt bigler pour flouter sa vue, évitant ainsi des cauchemars à venir du fait des images. Mais c’est plus fort qu’elle. Sa vision, elle préfère la garder intacte cette fois, alors que l’horizon se dégage.

Martin est recroquevillé.

Il a la tête posée sur le torse de Claude, allongé avec lui dans la baignoire. Claude prend soin de son fils, caresse tendrement les cheveux de son petit garçon.

Lily n'aime pas ces images.

Martin avait raison.

Elle regrette mais c’est plus fort qu’elle et regarde quand même.

Voir Vador mettre ses pattes sur son frère, pourquoi ne fait-il pas ça à Hélène ? Pourquoi la forcer à les regarder se faire des câlins ? Ne se rend-il pas compte que ça fait mal ?

Son frère, son matelot, son paradis, Lily n’a pas envie de le partager avec quiconque. Elle et lui c'est pour la vie, à l’infini, partout et en toutes saisons. Voir quelqu’un d’autre l'enlacer la rend inconsolable.

Boucle d’or jalouse Claude secrètement, elle aimerait prendre sa place dans la mousse.

Il est méchant, perfide, comme tous les mercredis, et comme si cela ne suffisait pas, il en profite pour dire des secrets à l’oreille de Martin sans qu’elle ne puisse entendre quoi que ce soit. Cela la bouleverse plus que tout le reste.

Le dos toujours collé contre le mur, elle ne voit que des lèvres remuer.

— Tu es bien installé mon garçon ? chuchote Claude en arrosant Martin avec la poire.

— Oui.

— C’est notre moment, mon garçon. Le moment entre un père et son petit garçon. Son fils. C’est toi mon héritier, tu le sais n'est-ce pas ?

Martin hoche la tête, le regard perdu dans celui de sa sœur. Il déteste devoir lui faire subir ça, mais heureusement, le matelot sait qu’elle n’est pas une tricheuse. Il en est convaincu, la princesse ne voit à cet instant rien d’autre que des images cryptées.

— Mon garçon, quand tu seras grand, dit Vador, tu marcheras sur mes traces. Toi seul le pourra. Tu accompliras ce que je n’ai pu faire, osé ou même songé imaginer, et bien plus encore. Je vais tout t’apprendre mon garçon, afin que tu deviennes le Claude de demain.