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Avant même qu’Hélène ne pose le dessert sur sa nappe, une gourmande odeur de poire chocolatée s’engouffrent dans la salle à manger. Les narines juvéniles sont en alerte, les dernières vapeurs du velouté d’asperges se dispersent, et voilà que les papilles s’émoustillent.

Un seul regard vers la tarte suffit pour qu’un estomac monté sur pattes n’avale de travers ce qui est alors en transit :

« Ma chérie fais attention à la fin tu vas finir par t’en mettre partout !», avertit Hélène, avant de repartir dans sa cuisine.

— Oui maman, répond Lily en s’essuyant gauchement le coin de la bouche avec son rond de serviette.

— Et essuies toi comme il faut s’il te plait, cesses de faire l’andouille. Je ne te le dirai pas deux fois, prévient sa mère qui voit venir les bêtises.

Lily a parfaitement entendu mais pressée de goûter la recette héritée de grand-mère, elle continue d’agir à sa guise, s’assure que Claude est toujours autant hypnotisé par la voix du téléviseur grésillant pour oublier les bonnes manières, et se rue sur son assiette afin d’en finir au plus vite.

À grands coups de cuillère à soupe, Lily la vide à une vitesse qui ferait pâlir les plus gourmands, sans manquer de jeter un œil à l’assiette de son frère.

Étrangement, ce soir, Martin n’a qu’un appétit d’oiseau. Il faut dire que les remontrances de Claude à la sortie du spectacle lui ont cloué le bec autant que noué l’estomac. Martin a beau se forcer, le velouté, les croutons ou le jambon, tout semble rester coincé dans sa gorge.

Son esprit est ailleurs.

Lily lui met un coup de pied sous la table pour le réveiller. Martin sursaute, manquant de renverser le contenu de son verre.

— Pourquoi tu fais du boudin ? lui demande-t-elle, en chuchotant, surprise de découvrir une frimousse renfrognée. Finis ton souper parce que moi je veux pas manger ma part de tarte toute seule.

Martin ouvre la bouche mais soudain le téléphone sonne. Tous deux tressaillent et Claude peste, agacé d’être dérangé en plein milieu du vingt-heures :

— C’est pas vrai. À croire qu’on peut jamais être peinard dans cette baraque !

— T’as vu l’heure ? réplique Hélène depuis la cuisine. Ce doit encore être pépé. Dis-lui que je le rappelle quand j’ai fini ma vaisselle, sinon ça risque de sonner jusqu’à demain, tu le connais.

Claude renverse sa tête en arrière, enfile ses pantoufles et se lève de son fauteuil, sans manquer de ronchonner dans sa barbe en allant prendre le combiné à l’autre bout de la pièce.

N’ayant toujours pas de réponse de la part de son frère, Lily en profite pour lui chaparder son jambon avant de le fourrer sous sa dent d’une seule bouchée.

Martin éclate de rire en voyant Lily s’empiffrer comme une gloutonne. Pour une fois que les rôles sont inversés.

— Comment trouvez-vous cette soupe ? lui demande Lily, la bouche pleine.

Petit oiseau semble avoir oublié ses tourments, ceux-ci battent de l’ail maintenant. Prenant son air sérieux, Martin pointe un index en l’air puis attrape son assiette, afin d’en avaler une grosse gorgée.

— Succulente ma foi ! déclare-t-il avec un enthousiasme un tantinet exagéré. Et vous princesse, cette soupe ? dites-moi tout !

— Merveilleuse. Incroyable. Cette soupe est tout simplement un mirage en plein désert, mon cher matelot ! Je dirais même plus. Je dirais…

— C’est pas bientôt fini tout ce cinéma ? grogne Claude, on ne s’entend plus ici ! Allô ? Pépé, tu m'entends ?

Rattrapé par la réalité, Martin se rembrunit d’un coup. Le sourire du moineau s’efface aussi vite qu’il était réapparu et cesse d’encourager sa sœur davantage dans leurs âneries.

Sur le chemin du retour, Claude a découvert les cochonneries qu’il avait faites dans son coin au cirque, et ses menaces ont tellement terrorisé Martin qu’il n’est pas près de les oublier.

Jamais il n’aurait pu imaginer qu’à cause de ses bêtises ni pour autre chose d’ailleurs, il pourrait un jour être séparé de sa sœur.

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