Ace et Tyler étaient arrivés devant la maison familiale des Cruz. Traînant derrière eux une petite valise, ils s'engagèrent dans l'allée. Il faisait très bon pour un mois de février, et le soleil brillait haut dans le ciel. Les deux amis s'étaient rejoints le matin même à la gare, et avaient fait le trajet ensemble. Sur le chemin, Ace lui avait décrit ce que Tyler pouvait voir en bus. Ils étaient passés devant l'ancien collège de l'espagnol, et la petite mairie. C'était comme si Tyler faisait du tourisme de proximité, découvrant les lieux où Ace avait passé son enfance.

Bien entendu, tout cela était une diversion pour que les deux amis ne pensent plus à ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Bien qu'ils ne s'étaient jamais concertés et n'avaient jamais parlé de ça, ils étaient en train d'officialiser leur relation. Mais s'ils ne le disaient pas à haute voix, ce n'était pas vraiment le cas, n'est-ce pas ?

Lorsqu'ils arrivèrent devant la porte d'entrée, Tyler s'arrêta. Il n'avait jamais été aussi stressé qu'à cet instant précis. Il avait imaginé la manière dont il allait être accueilli de mille et une façons. Ace n'avait dit que très peu de chose à son père, en réalité. Il l'avait juste prévenu qu'un ami allait les rejoindre pour fêter son anniversaire ensemble. Felipe n'était pas complètement dupe, et il s'était douté qu'il s'agissait du même garçon dont ils avaient parlé peu avant Noël. Mais Ace n'avait jamais évoqué purement et simplement le lien qui les unissait à sa famille. Il avait cependant maintes et maintes fois rassuré son compagnon. Son père et Cassie n'allaient rien trouver à dire, il le lui avait promis. Mais en était-il si sûr ? On ne sait jamais réellement ce que cette annonce déclencherait, même chez les personnes les plus proches de nous. Malgré les avancées sociétales de cette dernière décennie, annoncer son homosexualité, ou du moins sa bisexualité pour Ace, n'était pas facile. Loin de là.

— Ça va aller, souffla Ace en souriant à son ami.

Tyler lui adressa un timide sourire.

— Pour toi aussi ?

Ace se mordit la lèvre.

— Bien sûr.

Mais le brun voulait simplement rassurer son ami. Il était aussi nerveux que lui. Au fond, Tyler pouvait s'en moquer un peu, ce n'était pas sa famille et il n'avait pas à les revoir si tout cela se passait mal. Pour Ace, c'était différent.

Il chassa ces pensées noires de sa tête. Il connaissait sa famille, et elle l'aimait énormément. Alors, son cœur se pinça. Il aurait aimé que sa mère soit présente pour vivre ce moment important dans sa vie avec eux. Avec lui.

— Allons me présenter à beau-papa, murmura Tyler en appuyant sur la sonnette, coupant l'herbe sous le pied à son compagnon.

Leurs cœurs battirent à l'unisson alors qu'ils entendaient du mouvement à l'intérieur.

La porte s'ouvrit et une petite tête châtaine fit son apparition.

— Papa, ils sont là, s'écria-t-elle d'une voix pressante.

Puis elle tourna son attention sur son frère.

— Ace ! Enfin te voilà.

Elle prit son frère dans ses bras, heureuse de le retrouver.

— Bon anniversaire ! lui souhaita-t-elle.

— Merci, minipousse.

La jeune fille s'écarta lorsque Felipe arriva.

— Bonjour, et joyeux anniversaire, s'exclama le patriarche.

— Merci, papá.

Ace serra son père dans ses bras. Tyler s'était tenu respectueusement à distance pendant tout l'échange.

Le brun se racla la gorge lorsque son père se tourna vers le jeune homme à côté de son fils.

— Je vous présente Tyler, mon...

Ace ne termina pas sa phrase, mal à l'aise, ne sachant comment introduire celui qui partageait sa vie depuis peu.

— … Petit-ami, prit les devants Tyler.

Il tendit sa main dans un sourire poli. Felipe lui rendit sa poigne.

— Enchanté, Tyler. Je suis Felipe, le père d'Ace, comme tu t'en doutes. Je suis très heureux de faire enfin la connaissance de celui qui a su mettre Ace dans tous ses émois.

Tyler eut un léger rire et son cœur se calma. Le premier pas avait été fait, le plus naturellement possible. À côté de lui, Ace ne disait rien, quasiment aussi immobile qu'une statue. Il regardait son père et tentait de décrypter ce qu'il pensait. En vain. Il n'avait même pas réagi à la façon dont Tyler s'était présenté à son père.

— Et moi, je m'appelle Cassie ! s'écria la jeune fille. Ravie de faire ta connaissance.

Elle aussi, tendit sa main.

— Tout le plaisir est pour moi, jeune demoiselle.

Ace ne savait pas comment Tyler arrivait à n'afficher que sa bienveillante joie de vivre, dans un pareil moment. Il réussissait même à charmer sa sœur, si on en croyait ses yeux brillants.

— J'aime déjà ton petit copain, Ace, s'exclama-t-elle, tout sourire. En plus, il est beau...

— Cassie.. souffla Ace en rougissant.

Les trois compères rirent devant la mine gênée du brun. La franchise de sa sœur finirait un jour par le tuer de honte.

— Entrez, le repas est prêt, annonça Felipe, en hôte de la maison.

Tyler le suivit et regarda autour de lui. Il aperçut les petits cadres à l'entrée mais ne dit rien.

Felipe conduisit son invité dans le salon, où la table avait été dressée.

— On sera plus à l'aise ici que dans la petite cuisine.

C'est alors qu'Ace remarqua que son père et sa sœur s'étaient apprêtés pour l'occasion. Cassie avait enfilé une petite robe, et Felipe avait sorti une chemise et un de ses pantalons qu'il gardait pour les moments festifs. Ace se sentit touché. Ils n'avaient pas pris à la légère la venue de Tyler.

Tyler prit la parole, hésitant.

— C'est la mère d'Ace ?

Il avait employé le présent, ne sachant pas véritablement sur quel pied danser. Mais il était impossible d'entrer dans le salon sans voir le grand tableau qui représentait Isabella. Il ne pouvait pas ne pas en parler.

— C'est exact. Il t'a parlé un peu d'elle ? répondit Felipe, d'une voix posée.

Tyler se tourna vers son ami.

— Pas vraiment. Vous savez comment il est...

Il ne voulait pas froisser Ace. Mais le regard que lui jeta le brun le réconforta. Il n'avait rien fait de mal.

— Elle est décédée il y a tout juste cinq ans, maintenant. Cancer du sein, ajouta Felipe pour donner une explication à Tyler. Les médecins n'ont pas réussi à enlever la tumeur entièrement avec l'ablation de son sein. Elle s'était trop développée.

— Je suis désolé, répondit Tyler, ému.

Felipe lui lança un regard remerciant. Puis, son visage s'illumina et il tapa dans ses mains.

— Allez, ce n'est pas le moment de ressasser le passé. Nous avons un anniversaire à fêter. Et une belle rencontre, aussi.

Tyler lui sourit. Ils s'assirent alors, Felipe face à Tyler, de sorte que les deux amis soient à côté.

Tout en dégustant le plat que Felipe avait préparé avec l'aide de Cassie, ils parlèrent de nombreux sujets : l'enfance d'Ace où son père conta des anecdotes plus embarrassantes les unes que les autres, provoquant l'hilarité de sa sœur et de Tyler, mais aussi la vie de Tyler et ils n'échappèrent pas à la question la plus importante de toutes. Et ce fut Cassie qui la posa.

— Vous vous êtes rencontrés comment ? demanda-t-elle, curieuse.

Les deux amis se regardèrent. Tyler rit devant la grimace d'Ace.

— C'était à la bibliothèque de l'université. Il était mon camarade pour le projet dont je vous ai parlé.

Tyler ne put s'empêcher de mettre son grain de sel pour rendre mal à l'aise son ami.

— Au début, Ace ne m'aimait pas du tout. Je peux vous dire que ça a été dur pour lui de m'accepter ainsi que ses sentiments envers moi. On a échangé quelques mots et aussi des coups...

— Tyler, t'étais pas obligé d'évoquer ça, reprocha Ace devant l'air choqué de Felipe.

— Vous vous êtes battus ?

— Je dirais plutôt chamaillés, rectifia Tyler sans écouter son ami. Vous savez ce que c'est, il faut savoir à qui on a affaire.

— Bon, ça suffit, l'interrompit Ace, agacé. On peut parler d'autre chose ? Tu sais que j'en suis pas fier.

Felipe ne dit rien tandis que Tyler souriait à Ace. Il se contentait de regarder son fils, en buvant une gorgée de son vin. Il n'avait jamais vu Ace aussi embarrassé mais heureux à la fois. Cela se voyait à des kilomètres à la ronde, il rayonnait de bonheur, en cet instant précis. Les personnes les plus chères à son cœur étaient réunies autour de cette table. Il pouvait voir à quel point il tenait au petit blondinet assis à côté de lui. Depuis la discussion qu'il avait eu avec lui le soir peu avant Noël, il s'était que c'était plus qu'un ami pour lui. Il fallait bien plus que ça pour réussir à changer Ace aussi profondément. Et que ce soit Tyler ou bien une fille à la place, cela ne changeait rien pour lui. Il ne voulait que le bonheur de son fils. Et aujourd'hui, il l'était. C'était tout ce qui importait.

Cassie se faisait exactement la même remarque. Elle n'aurait pas cru revoir un jour cet Ace, qui lui avait tant manqué depuis la mort de leur mère. Elle camoufla son émotion derrière un sourire tandis qu'elle écouter la joute verbale entre son frère et son ami.

Après le dessert, vint l'heure des cadeaux. Felipe et Cassie n'avaient acheté qu'une petite babiole, car le plus gros avait été donné à Noël. Tyler s’éclipsa furtivement tandis qu'Ace remerciait sa famille pour le petit cadre photo où Felipe avait inséré des photos d'eux trois. Ainsi, ils pourront toujours être près de lui, même à New-York.

— Joyeux anniversaire, souhaita une nouvelle Tyler en tendant à son ami un paquet cadeau.

Ace le regarda, surpris.

— Tu n'étais pas obligé de m'offrir quelque chose.

— Peut-être, mais je tenais à le faire.

L'espagnol se saisit du cadeau et l'ouvrit sans rien dire. Ses yeux s’agrandirent lorsqu'il tint dans ses mains écartées la veste qu'il n'avait pas pu acheter lorsqu’ils étaient sortis en centre-ville, quelques mois plus tôt.

— Tu ne m'avais pas dit que tu l'avais acheté, souffla Ace.

— Bien sûr que non, idiot. Sinon, ça n'aurait plus été une surprise, répondit Tyler. Je suis allé la chercher le lendemain. Je comptais te l'offrir pour Noël au départ, mais avec tout ce qu'il s'était passé, c'était devenu compliqué.

— Comment tu pouvais savoir que mon anniversaire approchait ?

Tyler lui sourit, fier comme un paon.

— J'ai joué de mes contacts.

— Merci, répondit simplement Ace, ému.

Ses yeux brillants de bonheur fut la plus belle des récompenses pour Tyler. Le brun l'enfila immédiatement pour la montrer à Felipe et Cassie.

— T'as vraiment d'excellents goûts, Tyler ! lança Cassie. Maintenant qu'on y est, je suppose que tu es aussi derrière l'achat du bonnet...

Le blond lui fit un clin d'œil.

— Ace est autant nul en matière de mode ?

La jeune fille leva les yeux au ciel.

— Si tu savais !

— Hé, je suis à côté ! rouspéta Ace.

Cassie lui tapota gentiment l'épaule, comme pour signifier qu'elle l'aimait, malgré son manque visible de goût vestimentaire.

La journée continua, baignant dans une atmosphère paisible et heureuse. Cela faisait bien longtemps que la maison Cruz n'avait pas retenti de rires et de cris. Elle vibrait d'amour fraternel, paternel et d'amour complice.

Tyler avait été accueilli chaleureusement dans la famille. Il sentit qu'il avait d'ores et déjà sa place parmi eux. Il allait devenir pour lui comme une seconde famille. Qui ne le voudrait pas, en les regardant ?

En voyant Felipe, Cassie et Ace, il ne serait pas douté une seule seconde qu'ils partageaient la perte d'un membre cher. Là, se chamaillant devant un jeu de société, ils ressemblaient pareil à toutes ses familles normales. À travers Cassie, il retrouvait Ace. Sa sœur démontrait un fort caractère, tout comme le sien. Il était également certain qu'elle deviendrait une très belle femme et qu'elle attirerait beaucoup de regards sur elle, si ce n'était pas déjà fait. Elle possédait déjà cette beauté étrange et mystérieuse qui l'avait attiré chez Ace. Tout comme lui, elle s'abritait derrière une carapace, même si elle était moins dure que celle d'Ace. Tyler supposait que la mort de leur mère était la raison de tout cela.

Il aurait aimé connaître cette femme qui avait semblé être le centre de l'univers d'Ace. Tyler leva alors les yeux sur le grand tableau qui les regardait. Il crut, durant un instant, voir la femme en portrait couver du regard sa progéniture et l'homme qu'elle aimait pour toujours et à jamais. Il cligna des yeux. Son expression était redevenue telle qu'elle était.