Chapitre 21

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Enfin, Ace était arrivé. Après quelques heures en train et dix minutes de bus, il était devant la maison familiale, dans la petite ville de Morristown de 19 000 habitants. Il était revenu chez lui, pour deux semaines. Mais c'étaient les semaines les plus compliquées pour sa famille et lui.

À peine le petit portillon franchit, que la porte de la maison s'ouvrit en grand.

— Ace ! cria une voix allant dans les aiguës.

Une petite boule d'énergie courut en chaussons avant de se jeter dans les bras d'Ace.

— Cassie, tu vas attraper froid en pyjama, s'exclama Ace en riant.

Il attrapa Cassie et la souleva de terre pour la porter dans ses bras. La jeune fille enfouit sa tête dans le creux de son frère et le serra très fort contre elle.

— Tu m'as tellement manqué, gémit-elle.

Elle ravala un sanglot étouffé.

— Toi aussi, minipousse, souffla Ace, le cœur serré par la joie de revoir sa sœur.

Il reposa Cassie par terre mais elle refusa de le lâcher pour autant.

— Jeune fille, laisse ton frère entrer. Il va attraper froid, et toi aussi.

Le père d'Ace regardait, attendri, les retrouvailles entre ses enfants.

— Écoutons papa, ou il va se fâcher, chuchota Ace.

— Comme s'il en était capable, rétorqua Cassie d'une voix assez forte pour que son père entende.

Enfin, la jeune fille se décida à lâcher Ace. Elle tenta de se saisir du gros sac qu'Ace avait rempli d'affaires pour les vacances, en plus de son sac à dos. La voyant peiner, Ace la poussa gentiment et souleva son sac. Cassie lui prit alors la main libre et le pressa pour rentrer.

Une fois à l'intérieur, Ace laissa tout tomber pour serrer son père dans ses bras. Son étreinte virile et ses bras forts lui avaient manqué. Lorsqu'il embrassa son père, Ace vit ses yeux briller. Felipe se retenait de pleurer, tellement heureux de retrouver son fils qu'il n'avait pas vu depuis la rentrée en septembre.

— Laisse tes affaires ici, tu les monteras plus tard. Allons manger, tu dois avoir faim.

Ace acquiesça et ils allèrent tous les trois dans la cuisine. Le petit couloir qui y menait était décoré par des petits cadres photo de la famille. On pouvait y voir Ace à 7 ans, tenant sur ses genoux sa petite sœur. Il y avait également une photo de toute la famille, pour les 40 ans de Felipe.

— Papa a cuisiné une paella tout seul ! Je n'ai même pas eu besoin de l'aider, s'exclama Cassie.

— Mes talents de cuisiner se sont améliorés, annonça fièrement Felipe.

C'était Isabella qui cuisinait, avant.

— Nous n'avons pas encore goûté, indiqua Ace, un sourire coquin aux lèvres.

— Eh bien mange, et tu m'en diras des nouvelles, rétorqua Felipe en ébouriffant les cheveux de son fils.

Il s'assirent et firent honneur au repas. Felipe s'était surpassé et bientôt, il ne resta pas une seule miette de la paella.

Ils discutèrent de tout et de rien pendant le repas, évoquant surtout la fac. Ace en profita pour leur annoncer qu'il avait réussi ses examens. Bien qu'il le savait depuis quelques jours, il voulait leur dire en personne, et pas à travers un portable. Felipe et Cassie sautèrent de joie à l'annonce et son père alla même jusqu'à ouvrir une bouteille de champagne pour trinquer. Cassie en réclama mais Felipe refusa de lui en servir. Elle fit alors les yeux doux à son grand frère pour qu'il interfère en sa faveur. Elle avait quinze ans, elle était assez vieille pour une gorgée. Felipe céda sous la pression de ses deux enfants. Déjà qu'il avait beaucoup de mal face à Cassie seule, alors si Ace était de la partie, il n'avait aucune chance.

La jeune fille serra de nouveau son frère dans ses bras et lui claqua un gros baiser sur la joue.

Avec son père, ils étaient les seuls dont Ace tolérait leur contact. Et Cassie ne s'en privait pas. Ils étaient le jour et la nuit sur bien des aspects ; Cassie adorait le contact humain.

Au dessert, ils parlèrent de la rentrée de Cassie au lycée et des nouveaux amis qu'elle s'était fait.

— J'ai fait la connaissance d'un garçon, annonça-t-elle, timidement. Il s'appelle David.

— Il a quel âge ? demanda aussitôt Ace.

— 15 ans aussi.

— Papa le connaît ?

— Non.

— Tu l'as déjà embrassé ?

— Ace, interrompit gentiment Felipe. Cesse ton interrogatoire, et laisse respirer ta sœur.

Cassie remercia silencieusement son père.

— Tu ne dois pas te laisser distraire par les garçons, insista Ace. À ton âge, ils sont tous cons et ils ne veulent qu'une chose...

— Mais c'est juste un ami ! protesta Cassie.

— Tu te rappelles comment tu étais au même âge que Cassie ? s'exclama Felipe.

Ace grimaça, se rappelant son passé turbulent.

— C'est pour ça, je ne veux pas qu'elle refasse les mêmes erreurs que moi.

— Elle est très mature pour son âge, elle sait ce qu'elle ne doit pas faire.

Cassie tira la langue à son frère. Ace avait tendance à endosser le rôle du frère protecteur envers sa sœur, surtout depuis la mort de leur mère. Il ne voulait pas qu'elle souffre encore plus qu'elle n'avait déjà souffert.

— Et toi alors ? T'as une petite copine ? demanda Cassie, en fixant de ses yeux bleus son frère. J'espère qu'elle est moins belle que moi.

Ace faillit s'étouffer avec gorgée de champagne. Il toussa, les bulles lui piquant la gorge.

Felipe fit mine de rien mais il attendit patiemment la réponse de son fils.

— Non... je n'ai personne. Et c'est bien mieux comme ça.

On ne pouvait pas appeler ça un mensonge. Vanessa n'était pas sa petite amie, loin de là. Quant à Tyler...

Cassie plissa les yeux, comme si elle trouvait sa réponse louche, mais ne dit rien. Felipe non plus.

Le repas se continua dans l'allégresse générale. Toute la petite famille était réunie et Ace se sentait tellement bien, entouré par les deux personnes qu'il aimait plus que tout au monde.

Ace était heureux, autant qu'il puisse l'être, dans un endroit baigné par les souvenirs de sa mère. Il se sentait à la fois proche, mais aussi tellement éloigné d'elle.

La blague de Cassie lui fit se détourner de sa nostalgie et il joignit son rire à celui, grave, de son père. Contente d'elle, Cassie ne cessait de se tortiller sur sa chaise. Elle ne restait jamais en place bien longtemps. Elle était une vraie boule d'énergie toujours joyeuse. L'exact opposé de son grand frère. Bien qu'elle ait très mal vécu la mort de sa mère il y a 5 ans, elle avait mis un point d'honneur à essayer de retrouver sa joie de vivre. Elle répétait que c'est ce qu'Isabella aurait voulu, qu'ils continuent de rire, pleurer et aimer. Car la vie était faite ainsi, et nul ne pouvait rien y faire. Sans elle, Ace ne serait jamais sorti de sa dépression et de la torture qu'il s'était infligé. Elle avait été son rayon de soleil à travers l'orage qui faisait rage dans sa vie. Et il lui en serait éternellement reconnaissant. Elle était la prunelle de ses yeux, et à travers elle, il voyait la joie de vivre de sa mère.

Il se rappellerait toujours des soirs où, lorsque la douleur était insoutenable, Cassie rejoignait sa chambre et se faufilait dans son lit. Il l’accueillait alors à bras ouvert, et refermait ses bras sur elle. Alors, ils s’effondraient tous les deux en larmes, jusqu'à ce que la fatigue les gagne et qu'ils finissent par s'endormir, blottis l'un contre l'autre. À deux, la douleur était supportable. À deux, on était plus fort.

Felipe ne leur avait jamais dit qu'à chaque fois qu'il les trouvait dans les bras l'un de l'autre, le matin, ses larmes ne pouvaient s'empêcher de couler. Il devait rester fort, pour ses enfants, pour sa femme. Il refermait alors doucement la porte de la chambre, et s'écroulait en pleurs dans le couloir. Quand Ace et Cassie se levaient, il était là, préparant leur petit-déjeuner, un timide sourire sur les lèvres. Il ne laissait rien transparaître.

Mais ses enfants n'étaient pas dupes. Et lorsqu'ils le voyaient pleurer, seul dans son coin, ils venaient le serrer dans leurs bras. Ensemble, ils exprimaient leur colère, leur tristesse et leur amour.

Le repas se termina et ils firent ensemble la vaisselle. Puis, Cassie partit se coucher, exténuée par le trop-plein d'émotions. Elle claqua un baiser à son frère et son père et monta les escaliers pour rejoindre sa chambre.

Felipe termina de ranger la cuisine et Ace en profita pour s'éclipser. Il rejoignit le salon et s'approcha, presque timidement, de la cheminée. Il leva les yeux sur le grand cadre qui trônait sur le mur au-dessus. Il esquissa un pauvre sourire.

— Hola, mamá.

Le portrait d'Isabella ne lui répondit pas, bien sûr. Elle était là, comme emprisonnée dans une éternelle jeunesse. Elle souriait, avec ses yeux verts dont Ace avait hérité et sa bouche, toujours rieuse. Elle était assise quand la photo avait été prise. Son menton était posé sur sa main, la tête légèrement penchée, une mèche de ses cheveux bruns lui barrant le visage, et l'autre retenue derrière son oreille. Elle portait les boucles d'oreilles que son mari lui avait achetées, pour son anniversaire.

C'étaient le jour de ses trente-cinq ans. Un an avant que le cancer n'apparaisse et lui brise la vie. Felipe lui avait demandé de prendre la pause, appareil photo en main et elle avait ronchonné, lui disant qu'elle n'était pas photogénique. Mais elle s'était exécutée. Felipe lui fit une remarque – Ace ne savait toujours pas laquelle, et il ne voulait pas le savoir – et elle avait éclaté de rire, de son rire cristallin et chantant. Puis elle avait posé son menton sur sa main et encore amusée, par la blague de son mari, elle avait souri. Felipe avait appuyé sur le bouton, et voilà.

C'était la plus belle photo qu'ils avaient d'elle. Elle était magnifique, emplie de grâce et de beauté.

Ils avaient cherché un endroit où la faire développer, dans la plus grande taille possible, avant de l'accrocher au mur du salon.

Isabella couvait de son regard tout le salon, comme si elle voulait montrer à sa famille qu'elle les aimerait toujours.

— Tu m'as manqué. Tu me manques.

La voix d'Ace se brisa. Il souffla doucement pour chasser la boule qui lui bloquait la gorge.

— J'ai tant de choses à te raconter... J'aurais aimé que tu sois là pour me donner tes précieux conseils, me dire que faire.

Isabella semblait regarder son fils bien-aimé. Elle semblait sourire pour lui.

— Te amo, souffla Ace.

Une larme perla au coin de son œil, avant de glisser le long de sa joue. Il renifla doucement, avant s'essuyer la joue, d'un geste presque rageur.

Il sentit un bras se poser autour de ses épaules. Ace s'appuya contre son père. Felipe et Ace restèrent ainsi, quelques minutes, à contempler la beauté de celle qui fut une épouse et une mère.

— Nous irons la voir, demain, si tu veux.

— D'accord, répondit Ace en chuchotant, de peur que sa voix ne se brise de nouveau et qu'il s'écroule en pleurant.

— Allons discuter un peu, toi et moi.

Il entraîna son fils devant lui, prit les plaids qu'il avait emmené d'une main, deux bières de l'autre et ils sortirent sur la petite terrasse du jardin.


Ils s'emmitouflèrent dans les couvertures et s'assirent sur le petit sofa. Ils se complurent dans le silence, appréciant leurs bières. Puis, Felipe prit la parole :

— Quelque chose a changé chez toi, Ace, depuis cet été.

Ce n'était pas un reproche, loin de là.

— C'est vrai, admit Ace. Je m'en suis rendu compte aussi.

— Tu es beaucoup plus souriant qu'avant. Et je sais bien que ça n'a rien à voir avec le fait que tu rentres pour Navidad. Tu semblais... plus heureux pendant le dîner. Même si quelque chose te tracasse.

Ace était surpris. Il ne pensait pas que son père le percevrait à jour autant.

— Tu ne peux rien cacher à ton père, ajouta Felipe, un sourire flottant aux lèvres.

Ace sourit à son tour, et Felipe reprit la parole.

— Tu veux bien dire à ton vieux père à quoi cela est dû ?

Ace plongea son regard dans l’obscurité de la nuit, pour éviter de croiser celui de son père.

— Un ami.

Ce n'est donc pas Andreï ni Matthew.

Ace hocha la tête.

— Eh bien, garde-le précieusement près de toi, cet ami. Quelqu'un qui arrive à percer ta carapace de fer et qui sait tirer le meilleur de toi-même doit toujours rester près de toi. Ces personnes sont rares de nos jours, et cette relation te fera grandir.

Le visage d'Ace s'assombrit. Il fixa sa bouteille de bière et fit tourner le liquide ambré.

— J'ai bien peur que ça soit trop tard, souffla-t-il.

— Pourquoi cela ? s'étonna Felipe.

— Je l'ai blessé. Je le sais très bien. Tu me connais, je me suis emporté et je lui ai fait du mal. Plusieurs fois. On ne s'est pas reparlé depuis, et je ne suis pas sûr qu'il me pardonnera.

— Si une personne t'aime et que tu fais tout pour te faire pardonner, alors elle te pardonnera. Mais tu ne devras plus jamais recommencer, tu m'entends ? Car une personne n'est pas un jouet, elle a des sentiments, des faiblesses et des forces. Si tu transformes toutes ses forces en faiblesses, alors tu la briseras pour de bon.

Ace souffla bruyamment.

— Je sais. Mais je suis perdu dans mes sentiments, et je ne sais plus quoi penser.

Il se tourna vers son père et le regarda. Alors, il fit ce qu'il faisait toujours avec sa mère lorsqu'il avait besoin de ses conseils.

— Que ferais-tu à ma place, si des sentiments contradictoires se bousculent en toi ? Si tu avais envie d'explorer quelque chose avec quelqu'un, mais que cela te terrorise car tu ne sais pas ce qui t'attend et comment t'y prendre, car tout est nouveau pour toi, et tu n'aurais jamais imaginé que cela puisse t'arriver ? Plongerais-tu la tête la première dans l'inconnu ?

Felipe réfléchit longuement. Il avait compris l'appel à l'aide de son fils, le même qu'Ace employait avec sa femme. Il se devait d'être franc avec lui.

— Je ne suis pas mamá, et je ne vais pas me mettre à sa place. Je vais te dire ce que moi, Felipe Cruz ferait, même si je pense qu'Isabella t'aurait donné la même réponse. Si tu te sens prêt à plonger dans l'inconnu, comme tu dis, et que tu sais que la personne avec qui tu as envie de le faire est une bonne personne, qu'elle sera là pour toi et qu'elle t'accompagnera tout au long, alors plonge. Qui sait ce qu'il en ressortira ? Même si tu risques de souffrir, de douter, de ne pas comprendre voire de t'énerver et de prendre peur, je sais que les bénéfices que tu peux en tirer valent la chandelle. Tu découvriras une nouvelle partie de toi que tu ne connaissais pas avant et même si c'est pas terrible au bout du compte, ce n'est pas grave. Tu auras tenté. Tu es jeune, alors vas-y, tente.

Les yeux d'Ace brillèrent dans la pénombre. C'était tout ce qu'il avait envie d'entendre. Son père avait su trouver les justes mots.

Il se jeta au cou de son père et le serra fortement dans ses bras. Felipe lui rendit son étreinte.

— Te amo, mi hijo.

— Te amo también, papá.

Père et fils se séparèrent. Ace frissonna de froid et resserra sa couverture sur lui.

— Je vais me coucher, finit-il par dire. Bonne nuit.

— Fais de beaux rêves, lui souhaita Felipe.

Ace monta les escaliers, en n'oubliant pas ses sacs de voyage, plus apaisé que jamais. Il se promit de se faire pardonner par Tyler, en commençant par lui avouer tout ce qu'il lui faisait ressentir.

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