Chapitre 4

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Quand Ace arriva à l’université le lendemain, son visage était aussi fermé et froid qu'une pierre. Il avait passé une très mauvaise nuit, Vanessa n'avait cessé de hanter ses pensées. Il n'avait pu trouver le sommeil qu'à une heure avancée, pour se réveiller en sursaut au doux bruit du réveil. Autant dire qu'il n'était pas prêt de passer une journée assis sur une chaise.

L'espagnol repéra ses amis qui l'attendaient à leur endroit habituel. Tandis qu'il les rejoignait, il s'alluma une cigarette. Il devait vraiment se calmer sur la nicotine, il fumait de plus en plus ces temps-ci. Mais tout allait de travers et il commençait à se sentir submergé. Il avait l'impression qu'il contrôlait de moins en moins. Et la douleur au fond de son cœur, qui d'habitude était supportable, devenait plus vive également.

— Salut, Ace ! Comment vas-tu aujourd'hui ?

— Pas d'humeur, grogna Ace.

Abby et Matthew le regardèrent, surpris. Ace souffla, avant d'expliquer en une phrase le pourquoi du comment :

— J'ai vu Vanessa hier. Elle veut officialiser notre relation.

Abby se pinça les lèvres pour ne pas éclater de rire. Matthew, qui se contrôlait mieux, prit la parole :

— Je croyais que c'était clair entre vous...

Ace ferma les yeux en signe d'acquiescement avant d'expirer la fumée.

— On peut parler d'autre chose ? J'ai pas envie d'y repenser.

Ses deux amis hochèrent la tête. Ils discutèrent de sujets plus légers tout en se rendant lentement vers leur premier cours. Le droit administratif n'était clairement pas le domaine qui passionnait Ace : le professeur était soporifique au possible et la matière complètement ennuyante. Pour couronner le tout, Ace croisa Vanessa dans le couloir. Chacun fit l'aveugle, faisant semblant de ne pas avoir vu l'autre. Mais ni eux, ni Abby et Matthew n'étaient dupes.

Bien entendu, la voir fit flamber les pensées d'Ace. Il n'avait pas répondu à son message d'hier dans lequel Vanessa le suppliait d'oublier la conversation de la veille et de faire comme si rien ne s'était passé, lui jurant qu'elle ne ressentait rien pour lui. Ace ne savait pas quoi faire, partagé entre deux émotions. Devait-il fermer les yeux et prendre ses paroles pour la vérité ? Ou mettre fin à ce qui se passait entre eux, au risque que cela lui éclate au visage ? Il devait peser le pour et le contre. Et malgré ce qu'il pouvait dire, Ace n'aimait pas blesser les gens. Il savait que s'il décidait de fréquenter Vanessa, il allait la faire espérer. Elle était prête à tout accepter pour qu'ils continuent de se voir. Et il ne voulait pas l'enfermer dans une relation à sens unique.

Il soupira intérieurement. Il allait devoir avoir une vraie conversation avec elle. Et de ça, découlerait tout le reste. Si elle était sûre de ce qu'elle voulait et qu'elle avait parfaitement compris qu'elle et lui ne seraient jamais ensemble, alors tout finirait par s'arranger. Du moins, il l'espérait.

Il commençait tout juste à parvenir à refouler Vanessa dans un coin de sa tête et à se focaliser sur le cours, que le professeur, un homme bedonnant d'une cinquantaine d'années, le crâne dégarni avec de grandes lunettes carrées, fit une pause dans son propos. Les quelques étudiants dispersés dans la petite salle de cours papillotèrent des yeux, comprenant que cette interruption était inhabituelle.

— Bien, nous allons arrêter pour aujourd'hui, nous reprendrons la prochaine fois. Mais avant que nous ne partiez, s'empressa-t-il d'ajouter en voyant les étudiants ranger leurs affaires, il y a quelque chose dont je souhaite vous parler.

Les élèves se jetèrent des coups d’œils interrogatifs. Ace sentit que ce que le professeur allait annoncer ne lui plairait pas.

— Comme vous le savez, l'université est attachée à certaines valeurs comme l'entraide et la générosité, et a pour but de les transmettre à chaque étudiant entre ces murs. C'est donc dans cette optique que j'ai le plaisir de vous présenter le programme « Échange et Apprentissage » dont je suis le président. Celui-ci a été mis en place il y a de cela quelques années déjà, et j'ai obtenu l'accord du directeur de l'établissement pour poursuivre l'expérience cette année encore. Le programme est ouvert à tous ceux qui souhaitent y participer. Mais comme je suis votre professeur et le président du programme, votre participation sera obligatoire, ajouta-t-il avec un petit sourire en coin.

Alors là, Ace ne le sentait pas du tout. Abby et lui se regardèrent et la jeune fille haussa les épaules. Il fallait attendre d'avoir plus d'explications. Peut-être était-ce une bonne chose ? Ace en doutait fortement.

— Bien, maintenant le cœur du sujet : vous devrez produire un court mémoire sur le sujet de votre choix en rapport avec vos cours de l'année : droit constitutionnel, droit de la famille, etc. ainsi que d'autres qui vous seront accessibles au cours du second semestre, comme le droit pénal. (Ace tiqua et releva la tête de son ordinateur.) Je vous le répète : vous serez totalement libre quant au choix du sujet et vous aurez accès à toutes les ressources que vous souhaitez. Pour cela, vous ne serez pas seul : un étudiant de quatrième année vous sera attribué et participera au même titre que vous à l’élaboration du mémoire. Vous serez donc en binôme. Vous aurez également une soutenance à l'oral face à un jury de professeurs qui auront examiné votre Mémoire au préalable.

Les étudiants commencèrent à chuchoter entre eux, personne n'aimait passer à l'oral. Ace soupira en se balançant sur sa chaise. Il ne savait pas ce qui était le pire : devoir travailler à deux, ou devoir faire un Mémoire qui lui mangerait le peu de temps libre qu'il avait. Et puis, il y avait toujours un fainéant dans le groupe qui ne foutait rien. Ace croisa les doigts pour ne pas se voir attribuer un étudiant pareil.

— Votre écrit et votre oral peuvent prendre la forme que vous souhaitez, reprit le professeur. Essais sur une loi en pratique, plaidoyers, ou encore pièces de théâtre, le principal étant que vous mettiez en pratique toutes les méthodes que mes collègues et moi vous avons apprises au cours de ces deux dernières années. Voyez cela comme un exercice fort utile qui vous permettra de vous rendre compte de ce qui vous attendra dans les années futures, quelle que soit votre profession. Mais rassurez-vous, reprit-il, un professeur sera votre référent et vous aidera tout au long du processus. Ayez en tête que ce travail ne pourra qu'être positif pour vous et qui plus est, ill est largement valorisé.

— Pour quand est-ce que nous devrons l'avoir terminé ? demanda un étudiant de la première rangée.

— Tout déprend de vous. Libre à vous de soumettre votre travail au jury lorsque vous déciderez que vous l'aurez terminé. L'oral se déroulera dans les semaines qui suivront. Nous n'avons pas pour but de vous pénaliser.

— Qui sont les étudiants qui travailleront avec nous ? interrogea Ace d'une voix forte.

Le professeur le regarda quelque peu surpris car Ace ne participait jamais en cours.

— Je vous communiquerai les noms en fin de cours. Et je vous annonce aussi que les heures de demain après-midi seront banalisées. À la place, vous vous rendrez à la bibliothèque universitaire pour faire la rencontre de votre binôme d'une part, et pour commencer à réfléchir à votre sujet d'autre part. Ensuite, il en ira de votre responsabilité de trouver des créneaux sur votre temps libre pour travailler ensemble.

Ace fit retomber la chaise sur ses quatre pieds dans un bruit sourd, s'attirant un regard peu amène de son professeur. Entre ses séances à la salle, son boulot à la discothèque pour payer le loyer, le nouveau travail que venait de leur coller leur enseignant et l'autre gars qu'il devrait gérer, il n'allait plus avoir une minute à lui. Il se demanda comment il pourrait tout combiner et posa son front contre sa table. Il commençait déjà à avoir une migraine.

Le professeur répondit à toutes les questions pendant l'heure puis il fit les groupes.

— Mr. Cruz, votre binôme sera un jeune homme du nom de Tyler Scott. Comme vous êtes un bon élève, j'espère que vous réussirez à le motiver à travailler également.

Tous les élèves se retournèrent dans sa direction ; certains, la bouche ouverte, d'autres, lui lançant des regards compatissants, mais presque toutes les filles le regardèrent avec une lueur étrange dans les yeux qu'Ace n'arriva pas à interpréter. Même Abby lui fit une petite mimique, en lui donnant un coup de coude.

Ace s'en foutait. Il cligna plusieurs fois des yeux, réalisant qu'il allait devoir se taper tout le boulot s'il ne voulait pas se récolter une mauvaise note. Il fallait qu'il trouve une solution pour se sortir de cette situation. Quelques minutes plus tard, le cours se termina. il rangea ses affaires et sortit le premier sans saluer son enseignant. Il attendit impatiemment ses amis dans le couloir.

Abby le rejoignit, encore plus excitée que d’habitude, Matthew sur ses talons.

— Putain, Ace, j'y crois pas !

— Quoi ? lui demanda-t-il sévèrement.

— Tu sais qui c'est, Tyler Scott ? Non, je suis sûr que non, ajouta-t-elle en le voyant hausser les épaules. Il a redoublé sa quatrième année...

Mais Ace ne savait toujours pas qui il était.

— On dit que c'est un vrai canon, et qu'il est plutôt bien friqué, si tu vois ce que je veux dire... expliqua Abby, en ne cessant de se trémousser sur place. Beaucoup de filles rêvent de finir dans son lit !

— Je dois comprendre que toi aussi... ricana moqueusement Ace.

Abby souffla bruyamment et derrière elle, Matthew rougit avant de baisser la tête sous l’œil inquisiteur d'Ace. Ace en était maintenant sûr, Matthew en pinçait pour son amie.

— D'après les rumeurs qui courent, Tyler ne se contenterait pas que des filles. Il paraît qu'il n'est pas contre avoir des mecs dans son lit.

— Je m'en fous que ce soit un gosse de riche doublé d'un homo, bi ou je ne sais quoi, s'exclama Ace. Tout ce que je retiens, c'est qu'il a redoublé son année et qu'il risque de faire foirer la mienne !

Ace se dirigea vers la sortie, laissant ses amis en plan. Il n'avait jamais demandé à participer à ce fichu programme, et il aurait préféré être seul qu'avec un redoublant. Comment ferait-il pour réussir à écrire un mémoire avec un glandeur à ses côtés ?

Ce fut dans une humeur encore plus maussade qu'au début de la journée qu'Ace partit retrouver Andreï pour une séance de musculation à la salle.

XXX

— Tu peux me dire ce qui ne va pas ? résonna pour la première fois la voix d'Andreï.

Au volant de sa voiture, le Russe jeta un regard à Ace. Il s'enfonça un peu plus dans le siège passager et tourna la tête vers la vitre pour regarder les immeubles défiler.

— Me prends pas pour un con, je sais très bien quand ça va pas, Ace. Et depuis quelques jours, c'est de pire en pire.

— Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? J'y peux rien si tout va mal en ce moment.

— Et qu'est-ce qui va mal, cette fois ?

Ace préféra ne pas relever la fin de la phrase, il ne voulait pas se fâcher avec son meilleur ami. Il se contenta de lui faire un rapide résumé de ce que son prof leur avait expliqué.

— Et tu penses que ce Tyler ne t'aidera pas ? lança Andreï une fois qu'Ace eut terminé.

— J'en suis même sûr. C'est un fils-à-papa qui n'a même pas besoin de travailler !

— Mais tu ne l'as pas encore rencontré, répliqua le Russe. Comment tu peux le savoir ?

— Comment veux-tu qu'il en soit autrement ? Je les connais ces gens-là, ils n'ont aucune conscience de l'argent et du travail. Je vais foirer mon année à cause de lui.

Andreï préféra changer de sujet car il n'obtiendrait rien en allant sur ce terrain, Ace était trop borné.

— Quand est-ce que vous vous voyez pour commencer à travailler ?

— Demain après-midi, répondit Ace. Il faut qu'on commence à réfléchir à un sujet.

Andreï hocha la tête pendant qu'il rétrogradait une vitesse.

— Tu m'as dit qu'un professeur vous sera attitré. Il pourra t'aider et si jamais tu te rends compte que l'autre ne travaille pas, tu pourras lui en parler. Il fera quelque chose.

— Peut-être, réfléchit Ace.

Andreï tapota un instant le genou de son ami dans un geste affectif. Quelques secondes plus tard, il s'engagea dans le parking souterrain de leur immeuble et se gara sur sa place.

Cette nuit-là, un cauchemar vint agiter le sommeil d'Ace.

Un jeune homme marchait sur le sentier qui serpentait entre des tombes. Ace reconnut le cimetière de sa ville natale, Morristown. Il pleuvait des cordes mais l'homme ne semblait pas s'en apercevoir. Il finit par s'arrêter devant une pierre tombale où un bouquet de roses posé sur la stèle luttait contre la forte pluie pour ne pas perdre ses pétales. Le garçon tomba à genoux, et se mit à pleurer à chaudes larmes. Il serrait tellement fort le marbre poli que ses jointures devinrent blanches.

Il resta ainsi prostré de longues minutes, son visage reflétant toutes les émotions qui le traversait à cet instant. Un violent sanglot secoua son corps ; il frissonna, glacé jusqu'aux os. Il se laissa aller et colla sa joue chaude contre la froideur de la pierre. Il aurait tant aimé sentir une dernière fois sa peau tiède et pouvoir se blottir contre elle.

— Je te demande pardon, maman, sanglota-t-il. J'ai essayé de réaliser mon rêve, notre rêve, mais j'ai échoué. Je ne veux plus de cette vie...

Le jeune homme leva son visage ruisselant de larmes vers le ciel et cria de toutes ses forces. Il hurla son désespoir, sa haine et sa tristesse, avant de reposer son visage sur le marbre, épuisé.

Lorsqu'il releva la tête, il ne put s'empêcher de lire les écritures gravées sur la pierre.

Isabella Cruz.

(1975-2017)

« À l'épouse, l'amie et la mère merveilleuse que tu as été. Ton sourire et ta joie de vivre resteront à jamais dans nos cœurs. »

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