Chapitre 10 - Que l'on s'efforce de s'enfoncer (1) - Vous coulez à pic

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Ludwig arriva au point de ralliement accompagné de Laura et de trois membres de la SEA : Amaya Sterred, Anthony Dinar et Corinne Angstrom. C'était respectivement une secrétaire, un cartographe et une soldate recrutées par l'agence internationale, afin de compléter l'équipe. Le point de ralliement se situait à Littlemore, près du parc scientifique appartenant au Magdalen College de la ville.

— Alors, c'est ça votre « entrée secrète » ? demanda Anthony à Ludwig en montrant quelque chose au sol.

L'interpellé baissa sa tête : une plaque d'égout rouillée, datée 1858, était solidement vissée sur le l'armature en métal. Ludwig opina du chef.

— C'est bien ça, Dinar. Maintenant, pouvez-vous laissez la place à notre ensorceleuse pour qu'elle puisse desceller cette plaque ?

Le cartographe ouvrit la bouche, l'air confus, mais un regard de l'ambassadeur le fit ravaler sa réplique, et il se poussa pour laisser Laura s'approcher de la bouche. Cette dernière s'accroupit, jusqu'à toucher du bout du nez le métal froid et sûrement nauséabond. Pourtant, elle ne fronça pas du nez et murmura :

— מתכת נגועה, העתק של העבר, חשוף את הסודות שלך…

Un chuintement, puis un tonk sourd retentit. La plaque grinça, puis les joints sortirent dans un éclatement sec. Suivant les « oooh » admiratifs de la part de Dinar et Sterred, Laura se tourna vers Ludwig pour lui indiquer que tout était bon.

Le blond acquiesça et se pencha pour agripper la plaque ; bandant ses muscles qui firent gonfler son veston, il souleva la lourde plaque et la posa sur le côté… avant de remarquer les regards impressionnés de ces compagnons.

— Cessez de bailler aux corneilles et descendez ! leur lança-t-il en cachant son sourire.

— Elle pesait combien, à ton avis ? demanda Sterred à Dinar tandis qu'ils descendaient, leurs voix parvenant à la surface sous forme d'échos :

— Une bonne centaine de kilos, vu le modèle, intervint Angstrom avec un fort accent russe. Skit, c'est un vrai ours, ce type !

— Je vous entends, annonça Ludwig en prenant l'échelle pour descendre, faisant taire les concernés ; il se tourna vers Laura, qui le suivit dans sa descension.

Une fois qu'ils furent en bas, ils se tournèrent vers les fonds ténébreux et puants des égouts d'Oxford… qui, à l'étonnement mitigé de l'ambassadeur, étaient bien plus larges et tortueux que prévu. L'eau saumâtre coulait à quelques pas d'eux, son clapotis nullement affecté par les immondices qu'elle charriait.

— On avance, annonça le chef du groupe en allumant sa lampe, geste suivi de près par les autres explorateurs.

La marche qui suivit fut longue, très longue. Pour passer le temps, les trois employés discutaient entre eux de leurs mésaventures dans leur dernière mission, qui s'était également passée dans des souterrains. Comme ils risquaient d'y être pour longtemps, Ludwig s'adressa à Laura :

— Tu as peur de l'obscurité ?

— Pourquoi cette soudaine question ?

— Eh bien… C'est juste que cette ambiance me rappelle les jeux d'horreur auxquels je jouais au lycée.

— Ils étaient effrayants ?

— Non, avoua le blond en haussant ses épaules. C'est juste que le lycée n'est qu'un lot de mauvais souvenirs.

Bien qu'il ne la voyait pas, il sentait qu'elle acquiesçait. Soudain, il eut une soudaine envie de lui parler de son rêve, et du Tranchecoeur. Était-ce le bon moment, cependant ? Avec l'arrivée de Yannis, les Sinueux et la pression que lui mettait Dodson sur les épaules, Ludwig avait tendance à être plus vulnérable qu'auparavant.

— Laura, je…, commença-t-il, mais il fut coupé par Corinne :

— On arrive !

En effet, ils tombèrent sur un escalier descendant dans les profondeurs ; quand la soldate passa sa lumière dans les ténèbres, l'éclairage n'était pas assez suffisant pour en mesurer la taille. Ce noir d'encre était toujours aussi fascinant, surtout quand on savait qu'il dissimulait des secrets néfastes…

— C'est loin, constata Amaya

— Hein ? répliquèrent à l'unisson les deux autres.

Ludwig soupira ; bien que formulé maladroitement, il comprenait ce qu'Amaya avait lancé. Si leur objectif se trouvait en bas de cet escalier, cela leur aurait prit plus ou moins une petite heure pour pouvoir l'atteindre. Seulement, Ludwig pressentait qu'il y avait anguille sous roche…

— Une magie spatiale ? s'enquit-il auprès de Laura.

— Il semblerait bien, confirma-t-elle en penchant sa tête sur le côté, comme pour écouter les murmures de l'ombre. Mais je n'arrive pas à sentir où elle se situe exactement…

— C'est le comble, remarqua Anthony.

Un « aïe » retentit, résonnant dans les couloirs clapotants et nauséabonds. Ludwig s'accroupit pour observer les marches de l'escalier ; sèches, et surtout propres. Quelqu'un devait passer nettoyer l'endroit, car un sortilège automatique prenait trop de temps et d'énergie à mettre en place, et surtout à maintenir.

— On descend, annonça-t-il aux autres en se redressant. Corinne, Laura, vous passez devant.

Elles acquiescèrent, et posèrent le pied sur la première marche, et… rien ne se passa. Pas de piège, d'alarme, de faux panneau coulissant pour envoyer un gaz mortel. Le blond fut soulagé, et il suivit les deux femmes dans la descente, talonné par Dinar et Sterred.

L'atmosphère avait changé, c'était surprenant : les murs n'étaient plus couverts de moisissure, et l'air était frais, léger. Malgré cette ambiance moins dégoûtante, le glou glou incessant avait été remplacé par un ronflement semblant provenir du fond. L'escalier, longeant le trou carré, les menait inlassablement à s'arrêter plusieurs fois pour se reposer.

Une seconde… Ludwig leva les yeux, et jura : la lumière des égouts était toujours visible, le groupe n'avait pas descendu d'un poil. Il fit part de ses observations à Laura, qui répondit :

— Le sort n'est pas localisé, j'aurais dû m'en douter…

— Tu peux le désactiver ?

— Si je peux ? (elle sourit, sortant un talisman de sa poche) Je vais m'occuper de ça !

Formules inaudibles, crépitements muets, et ils sentirent leur échine frissonner quand la magie chuchota autour d'eux, répondant à l'appel de la magicienne. L'effort était visible sur son visage, couvert d'une fine pellicule de sueur, ses traits tendus comme une peau de tambour. Soudain, un claquement dans l'air, et l'escalier se brouilla… Avant de disparaître !

— Meeerde !!! hurla Amaya en se cramponnant à Anthony.

— On tombe ! cria ce dernier.

— Merci de nous le faire constater ! lâcha Corinne, prenant une position de parachutiste.

Ludwig grogna sous la pression de l'air. Étrange, car leur chute venait juste de débuter. Attends une seconde… Il écarta ses doigts, et sentit les changements de poussée qui lui confirmèrent son doute : le vent. Puissant comme jamais, il soufflait dans leur direction opposée, ralentissant considérablement leur retombée…

...avant de s'écraser lourdement sur quelque chose de mou.

Ludwig prit quelques instants avant de se remettre ; il vérifia qu'il n'avait rien de cassé, puis se tourna vers les autres. Grognements, geignements, mais aucun bruit qui indiquait quelque chose de grave.

— Qu'est-ce que c'était que ça ? grommela Corinne en se relevant.

— On aurait dit une illusion, répondit Ludwig. Tout le monde est prêt à repartir ?

Ils indiquèrent que oui. Ludwig regarda autour de lui : ils se trouvaient dans une immense caverne, encerclée de pierres séculaires et qui semblaient évasives. On aurait presque dit qu'elles voulaient s'écarter d'eux, rendant l'espace plus volumineux qu'il ne l'était réellement ; Ludwig se doutait que l'illusion n'était pas encore totalement réduite à néant, et quelques résidus devaient ça et là provoquer des effarouchées d'optique.

Il repéra rapidement une bouche béante et mal éclairée, de la taille d'un homme. Prudent, il intima les autres à ne pas s'approcha et fit un signe de tête à Laura, qui lui rendit un regard entendu. Un murmure, et l'air vibra d'une brève lumière irisée, puis elle secoua sa tête.

Il s'engagèrent donc dans la bouche, qui baillait sur une pente plus raide, mouillée et glissante derechef. Formidable… Avec son poids, Ludwig était obligé de se mettre sur ses fesses pour éviter de perdre l'équilibre.

— On s'enfonce, constata Amaya en regardant par dessus l'épaule du blond.

— On s'ennuie, ajouta Corinne avec un soupir.

— On s'enfuie ? proposa Anthony, ajoutant une dernière goutte au vase d'agacement de Ludwig, qui déborda.

— On vous apprend à être discret dans vos formations ? demanda-t-il sèchement.

Les trois loubards se turent sur le champ, leurs bouches entrouvertes. Ludwig tiqua ; le problème avec les académiciens, c'est qu'ils n'ont aucune expérience du terrain. Il avait crû que Corinne canaliserait les deux autres, seulement elle n'était pas aussi disciplinée qu'il l'avait espéré.

La pente s'assainit, pour finir par s'aplatir sous un plafond moins naturel, plus sculpté. Des formes serpentines s'enroulaient autour de piliers soutenant la voûte, gravées dans la roche amoureuse de la terre. Le sol argileux fut remplacé par des vieilles dalles, que Ludwig identifia comme provenant du 7e siècle après JC.

Le couloir où ils déambulaient n'était éclairé que par quelques torches faiblardes et rougeoyantes, qui ne fumaient pas néanmoins. Leur crépitement, petits cliquetis dans cette sombre atmosphère, les oppressait telle une horloge qui s'approchait du glas.

— Je sens deux présences qui s'approchent, les mit en garde Laura.

Ludwig se tendit ; la confrontation était de toute façon inévitable, car ils en auraient besoin pour glaner des informations. Heureusement, si les prédictions de Laura étaient correctes, la supériorité numérique leur conférait un avantage non négligeable.

Sauf qu'on est en terrain inconnu pour nous et familier pour eux… Argh, qu'aurait fait Ugo dans cette situation ? Son ami savant disparu aurait probablement possédé un gadget génial ou aurait concocté un plan démentiel. Ludwig, lui, était démuni.

— Ils sont à quelques mètres, continua Laura.

— Préparez-vous, lança Ludwig en sortant un pistolet de sa poche.

Corinne sortit son arme, et tous sentirent le picotement familier d'un sortilège qui se chargeait ; Laura était plus que prête.

Des pas, clopinant à leur oreilles attentives, s'approchaient avec le même rythme que leur battements de cœur. Une sueur froide coula le long du dos du blond, ses jointures se blanchirent sur son arme. C'était le moment pour savoir si tirer de sang froid était aussi simple que de commander un fish'n'chips.

Deux visages apparurent. Deux visages beaucoup trop familiers pour ne pas être douloureux. Beaucoup trop reconnaissables pour ne pas trouver l'excuse de la confusion. Ludwig s'estomaqua, s'arrêtant si nettement que les autres le percutèrent, brisant leur concentration. Quand aux deux Dardants du Sinueux, ils se pétrifièrent sur place, mimant la réaction du jeune homme.

— Jinn ? Solis ?

* * *

*Lucans

Près de deux cents pieds sous terre… Voilà qui est inquiétant, pensa Lucans en rangeant son appareil de géolocalisation, devenu inutile à cette profondeur. En dessous, les ondes ne passaient plus du tout, et on ne pouvait compter que sur la magie pour nous aider.

Il coula un regard à Kara ; cette dernière n'était pas une mage dite « mentale », donc elle ne parvenait pas à utiliser ses pouvoirs pour réussir à localiser précisément les Dardants. Néanmoins, sa présence rassurait beaucoup le jeune scientifique, qui savait qu'au moindre accroc, Kara serait là pour le protéger.

Lucans se trouvait être le seul académique de la troupe ; il y avait Kara, puis trois soldats portant des casques cachant leurs traits, lourdement armés au point d'inquiéter quiconque les observait. Ils ne parlaient pas, ne semblaient pas respirer, et ne faisaient que tourner la tête de temps en temps, observant la surface du lac qu'ils traversaient.

Car oui, ils étaient sur un lac.

Dès qu'ils étaient descendus depuis le trou sécurisé dans la sortie de métro à Copse Lane, ils avaient traversé un tunnel mal creusé, puis étaient tombées sur un lac. Un des soldats avait alors sorti de son sac un bateau gonflable, assez solide pour résister aux surprises des récifs, puis les voilà partis à scander Hisse et Haut ! à tue-tête (enfin, pas vraiment, parce que vu l'air des soldats, Lucans n'avait pas envie de pousser la chansonnette…).

L'eau bullait de remouds un peu évasifs, ou moussait parfois… L'ennui gagnait Lucans tandis qu'il tentait de trouver une logique passable dans les glougloutants aqueux ; c'était donc ça, une mission sur le terrain ? Rester assis à rien faire, sans pouvoir utiliser Internet en attendant que quelque chose d'intéressant arrive ? N'y tenant plus, il finit par s'exclamer :

— Bordel, on se les gèle ici !

Tandis que son cri résonna dans la caverne, Kara se tourna vivement vers lui, le fusillant du regard… avant d'agiter sa main devant sa bouche de manière confuse, comme si elle cherchait à… Oh !

— C'est comme ça qu'on fait, sourit Lucans en passant son index devant sa bouche, mimant un « chut » amusé.

— Hmrr…, fit-elle, ne sachant que répondre.

— Mais n'êtes-vous pas d'accord qu'il fait froid, en-dessous ? chuchota-t-il, enfouissant ses mains sous ses aisselles.

— La température est stable, si vous voulez savoir, lui confia la magicienne en haussant les épaules, observant la surface de l'eau. Et puis, ce n'est pas comme s'il faisait vraiment froid comparé à la surface.

— De combien de degrés parlons-nous, exactement ? se demanda à haute-voix le scientifique.

— Je suis pas un thermomètre. Vous en avez pas un sur vous, d'ailleurs ?

— Pas toujours ; d'ordinaire, je peux apporter tout plein d'instruments avec moi quand on part de l'institut pour aller sur le « terrain », mais pas ici. Béryl m'a intimé d'être le plus léger possible au cas-où des Dardants nous attaqueraient par surprise.

— Dans ce cas-là, on serait morts.

Lucans s'étrangla face à cette réplique imprévue, son niveau de stress passant de Franklin en pleine nature à Bugs Bunny dans un terrain de chasse. Avec une voix grelottante (qu'il espérait que ce soit à cause du froid), il s'enquit :

— Vous n'êtes pas sérieuse ?

— Si. Vous voyez ça ? (Kara montra l'eau avec un geste ennuyé) C'est un peu mon némésis en terme de stabilité.

— Quoi, l'eau ?

— Oui.

Juste extraordinaire ; les magiciens, qui pouvaient vous transformer en yaourt à la grecque en vous clignant des yeux, avaient une faiblesse notoire quand il s'agissait de nager ? À moins que… Non, elle peut pas être allergique à l'eau ; dans ce cas, comment elle aurait pu vivre à Oxford ? Il en devait en avoir le cœur net…

— Vous savez nager ?

— J'ai l'air impotente ? s'amusa Kara. Oh ! Je viens de comprendre pourquoi vous avez dit ça… Et vu votre air, vous aviez écarté « l'improbable »… Ouais, ça doit faire un choc !

— Donc… Vous êtes allergique à l'eau ?

— « Allergique » ?

— Intolérante.

— Ah ! Non. Disons que l'eau sur votre Terre est étrange : on dirait qu'elle perturbe notre flux magique intérieur, ce qui nous empêche de lancer des sorts et nous affaiblit au point qu'on ne plus nager… (Lucans la regarda, horrifiée, lui arrachant un rire) Et là, vous vous demandez comment j'ai pu vivre dans un pays où il pleut tout le temps ; prenons le problème sous un autre angle. Chez nous, comme chez vous, les poisons peuvent devenir médicaments en fonction de leur quantité, n'est-ce pas ?

— Bien sûr ! C'est d'ailleurs l'excès qui est souvent notre propre poison !

— J'imagine… Enfin bref ; la pluie est en trop petite quantité pour nous affaiblir au même titre qu'un lac ou une piscine. Vous êtes sûr que vous êtes spécialistes des mages ?

— Je suis ingénieur théologique, enfin pas officiellement… Donc je suis curieux quand à vos habitudes !

— Les miennes, ou celles de tout le monde ?

—… !

— Rougissez pas, je vous taquine ! ricana Kara en lui envoya un coup de poing dans l'épaule qui lui arracha un « Aïe ». Fichtre, vous êtes moins solide que vous en avez l'air…

— Normal : c'est juste du gras… et beaucoup d'eau !

Ils rirent ensemble, les soldats eux-mêmes lâchant quelques souffles de nez discrets, rendant l'ambiance moins oppressante.

Cela faisait donc depuis une demi-heure qu'ils étaient sur le lac secoué par des remouds barboteurs. Lucans observait les abysses avec attention, attirant celle de Kara, qui jeta un regard à son tour ; au fond, derrière la vase crasseuse et la boue camouflée, on y voyait quelques lumières scintillantes qui bougeaient trop vite pour que ce soit juste une illusion d'optique.

— Des Snaaït, grommela Kara, se tournant derechef vers les soldats : votre bateau est motorisé ?

— Je ne crois pas, madame, répondit l'un d'entre eux. André le sait peut-être…

Le soldat se tourna vers « André », mais personne : il n'y avait plus que quatre marins sur le navire. Le cœur de Lucans descendit dans ses chaussures.

— Merde ! דם כסף, עוטף את הספינה הטרופה !

Kara réagit au quart de tour, prouvant sa maîtrise des arts mystiques : un drap translucide se posa sur eux, les encapant dans une bulle protectrice, du moins c'est ce qu'il espérait. Soudain, un gargouillement sourd survint derrière eux. Ils se tournèrent.

Ah oui. Merde.

Une gueule circulaire hérissée de dents effilées comme des feuilles A4 fraîchement achetées chez le papetier, mais coupant bien plus. Tout du moins, Lucans n'avait pas très envie d'aller faire une expérience là-dedans pour comparer avec les coupures de papier au travail.

La créature derrière eux fonça sur leur bateau pour l'écraser sous son poids, et vu sa taille, ils allaient être engloutis… Heureusement, elle hurla de douleur quand un éclair aveuglant jaillit du point d'impact, la repoussant en arrière ; le sortilège fonctionnait, c'était déjà ça.

Le Snaaït ; une créature des profondeurs mourniennes qui avait failli disparaître avant qu'on l'ai introduit sur Terre. Normalement, ces monstres ne se trouvaient que dans des réserves naturelles sécurisées, mais un spécimen de cette taille… Les Dardants l'ont sûrement laissé ici pour s'occuper des non-mages, par que les autres craignaient l'eau, et ils le savaient. Alors que les remouds se faisaient plus intenses, les soldats au qui-vive mais n'osant pas tirer, Kara incanta un sortilège qui fit apparaître une lumière éclatante et d'une chaleur étouffante au dessus d'eux, avant de la balancer avec effort sous l'eau.

Rien. Puis, une détonation. L'eau se souleva à quelques mètres d'eux dans une gerbe blanche qui s'éclata contre le plafond, accompagnant le cri du Snaaït qui grinçait à leurs oreilles. Elle ordonna aux soldats de tirer. La mitraille résonna dans la caverne avec une force étourdissante, Lucans se plaquant contre le pont du bateau, les mains sur la tête. Des hurlements. Une secousse, puis deux. Lui qui restait là, cloîtré au sol comme un poutre mouillée sous le poids des âges. Et j'ai même pas regardé la nouvelle vidéo de Floppa… se désola-t-il en guise de dernière pensée.

— Lucans !

Adieu, monde cruel… Finalement, il n'aurait même pas revu Aurélie une dernière fois, cette façon qu'elle avait de sourire pour se moquer de lui, ou de finir ses phrases quand il s'emmêlait les pinceaux.

— Lucans !

Voilà qu'il perdait la raison et qu'il se mettait à entendre des voix… Non ! Attends… Y a aussi des bruits de « splash » et « plouf » là, non ? Il se redressa, pour constater avec horreur une Kara emmêlée dans un déluge de tentacules qu'elle découpait de son épée, malgré le fait que celles-ci l'empêchaient de se noyer dans une mort certaine. Il regarda le Snaaït ; elle ouvrait et fermait sa bouche frénétiquement pour tenter de happer la pauvre magicienne. Il regarda Kara, la panique l'encerlant. Il regarda le Snaaït, la peur l'étreignant. Kara. Snaaït. Kara, Snaaït…

Son sang ne fit qu'un tour, et il hurla à Kara :

— Relâche-la, espèce de monstruosité hydrophile !

Elle se tourna vers lui, scandalisée, tandis que Lucans se mit la main sur sa bouche ; il avait perdu trois secondes à faire n'importe quoi. Néanmoins, la créature avait dû prendre l'insulte personnellement (ce qui, à tout égard, était le but initial), et elle relâcha Kara pour hurler de toutes dents et bave vers Lucans, qui glapit.

Il réussit à esquiver le premier coup vif comme l'éclair, plus par accident que par chance en s'emmêlant les pieds dans un cordage qui le fit trébucher, le sifflement du Snaaït retentissant dans l'air. Le scientifique put admirer avec précision les contours lisses et glabres de la peau de la créature, à mi-chemine entre celle d'un axolotl et d'un hippopotame.

Elle se rétracta, lui laissant à peine le temps de se relever quand elle revint à l'assaut… qui fut tué dans l’œuf par un soubresaut d'origine inconnue. Lucans vit alors Kara sur le dos du Snaaït, balloté de haut en bas comme un rodéo-man sur un buffle shooté à l'adrénaline ; elle avait planté son épée dans le corps de la bête, blessure bien visible car celle-ci suintait d'un vermeil dégoulinant.

— Le fusil d'assaut ! hurla-t-elle à l'encontre du béat. Tire !!!

La réponse nerveuse arriva heureusement avant la réflexion ; Lucans se jeta sur le sac noir au fond du navire, le dézippa, fouilla pour en sortir une lourde pièce de métal, dont l'apparence sinistre ne laissait douter quant à son illustre et unique mission. Avec un déglutissement, il visa le gros corps remuant du Snaaït.

Mais… N'allait-il pas tuer Kara par la même occasion ? Si cette dernière entrait en contact avec l'eau du lac, elle s'y noierait comme un nouveau né ! L'indécision s'empara de ses doigts, propageant moiteurs et tremblements dans son geste. Sacrifier pour être sauvé, hésiter pour ne pas se sentir coupable. Que choisir ?

TIRE.

Une voix résonna comme un gong dans sa tête, balayant toute pensée rationnelle ou morale ; seule n'existait que le fusil et sa cible. Un focus si pointu qu'il en aurait rendu malade n'importe quel sniper ; pourtant, il pressa la détente avec un calme aussi froid que les abysses qui l'entouraient.

Le coup de feu retentit, son écho s'écrasant contre toutes les parois avec un fracas digne de touts les démons hurleurs des quinze enfers. Un hurlement brûla à ses oreilles, sans que Lucans ne puisse savoir si c'était le Snaaït qui rendait l'âme, Kara qui se rendait compte que les cours de piscine ne lui auraient fait pas de mal ou lui-même, complètement incapable de contrôler son corps face à l'acte le plus vil mais le plus altruiste.

Un plouf plus tard, et le silence s'arracha de la dernière plainte d'un Lucans désœuvré, dérivant jusqu'au rivage de l'autre côté du lac souterrain.

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