Carnaval

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Carnaval de Ray Célestin

Si j’évoque le mot Carnaval sans limiter mon imagination, une foultitude d’images et d’associations d’idées me parviennent à l’esprit.

Avant toute chose, un savant mélange de couleurs, d’émotions et d’individus. Mais aussi, la possibilité de se comporter de manière débridée, voire de forcer le trait, jusqu'à se terrifier par la caricature ou le pastiche. Cela serait un mélange d’odeurs et de saveurs exotiques en provenance des Caraïbes, d’Amérique du sud mais de même, de nos contrées européennes avec nos Géants du Nord, des foules qui se défoulent, aidées en cela par des boissons à volonté et bien d’autres accessoires.

Carnaval, titre éponyme du premier roman de Ray Célestin, se passe en 1919, en Louisiane à la Nouvelle-Orléans. Il relate plusieurs enquêtes criminelles menées en parallèle et portant sur une succession de crimes odieux, barbares et non résolus. Dès les pages initiales, le transport est immédiat.

*

Juste après la première guerre mondiale, me voilà installé en vieille terre française avec ce mélange de cultures aux origines cajun, créole, africaine et européenne. Coincé entre le Mississippi et le lac Pontchartrain, j’entends des musiques de jazz et je vois des bateaux avec des roues à aube. La végétation est partout luxuriante avec les mangroves qui semblent s’avancer dans les eaux. Les quartiers de la ville transpirent des émotions pour le touriste en mal de faire la fête mais aussi des inquiétudes et des croyances car rien n’est serein.

À cela, de multiples raisons que je découvre, page après page : les inondations, les ouragans, la peste espagnole, une terre plus basse que le niveau de la mer qui nécessite que les morts soient enterrés en hauteur, une société sous influence avec ses prêtresses vaudous, les pythonisses. La lutte de tous les êtres vivants dans ce coin insalubre semble incessante.

Ici, les noirs sont relégués à l’arrière des trams, là, la police et les autorités locales semblent corrompues par une Main noire dont les origines se situent en Italie à Monreale. La pluie incessante lave les rues, transforme la terre en boue et retire peu à peu la couleur.

*

Il ne reste alors que du noir, du blanc et surtout du rouge.

Noir comme les nuits où se produisent des assassinats crapuleux avec pour seuls indices, des tarots au dos peint à la main représentant le Magicien, la Justice ou le Pendu et la présence systématique d’une hache. Noir comme les lettres de signalements à la Police qui traduisent d’une plongée sordide dans la psychologie torturée des habitants avec une certaine Mme Ténèbres.

Blanc comme la poudre des drogues, des farines.

Rouge comme le sang qui macule le sol et les murs autour de victimes exécutées avec une rare violence par un individu insaisissable surnommé le Tueur à la Hache.

Me voilà embarqué dans un thriller aux accents de polar, véritable mine d’informations, excellemment documentée et la possibilité d’une plongée dans une ville américaine à l’origine française, cent ans plus tôt. Cette immersion me permet de suivre pas à pas le travail méticuleux d’enquêteurs tour à tour policier, détective, journaliste et mafieux pour pister un tueur diabolique.

Je navigue dans des commerces occultes et parallèles de fausse-monnaie, de fourrures mais aussi de très jeunes filles pour des clients aux mœurs plus que débridés. Et bientôt tout se mélange avec une puissante intimité.

Je me laisse emporter par des notes de musiques aux accents de blues, de Jazz (et ses rythmes du fox-trot et du one-step), d’opéra de Verdi (dramatique portée par la voix de Caruso) et de valses qui viennent animer les soirées dansantes dans les caves, sur les bateaux et dans les enterrements mais aussi à Angola, du nom africain du pénitencier local, avec des chants âpres de prisonniers blancs et noirs travaillant dans les champs.

On découvre un savant mélange des interdits : mariage entre un blanc et une noire, l'absorption d’alcool de bière avec de l’ananas fermenté, de whisky à base de seigle ou d’orge, l’existence d’une Maison de l’absinthe et ceci en dépit d’une prohibition qui s’annonce ; la prostitution avec le quartier de Storyville et les Honky tonks et la consommation de drogues dans des fumeries d’opium tenues par des asiatiques.

" T’imagines, on peut plus se payer une gonzesse, une bière ou une fumette. On est plus en Amérique. "

Les quartiers de la ville suscitent l’inspiration pour le rêveur et le touriste : villégiatures, maisons inachevées de Little Italy perdues dans la brume locale, maisons closes. Les trottoirs se nomment des banquettes et la cité porte des surnoms comme The Big Easy ou le Paris du Mississipi.

Je tombe sous le charme de parfums et de saveurs : chicorée et épices, chartreuse et gombo, gaz d’échappement et sueur, cheveux gominés au macassar.

Je crève de goûter un sandwich po’boy à base de tranches de bœuf, de porc et de bacon, de salade, de mayonnaise, de cornichons à l’aneth et de moutarde à la créole.

Je m’étonne de ces étranges comportements au point de rendre les sains d’esprit cinglés, surtout parmi les milliers de nouveaux venus dont des paysans noirs et pauvres. À ce titre, les archives pénitentiaires consultées par l'auteur et les protagonistes se montrent édifiantes.

J’aimerai monter à bord de ces voitures : une Cadillac noire type 55, une Packard Victoria, une StearnKnight. Je voudrai regarder ces images de Pinup dans les magazines de Belle Bennett, Colleen Moore, Betty Compson, ces surprenantes femmes-enfants.

Le nom des personnages de ce roman arrive comme des raccourcis à ma mémoire : Armstrong, Bechet, Lafitte, Hawkes, Romano, d’Andrea... jusqu’à Al Capone.

Le mélange d’origines et de confessions se prolonge au-delà de la vie qui ne tient qu’à un fil jusque dans les cimetières avec des carrés réservés pour les catholiques, les protestants, les blancs et les noirs ; jusque dans la cuisine locale avec des influences africaine, espagnole, française et italienne.

Il est nul besoin de vous raconter l’histoire car cette enquête haletante, il vous faudra la découvrir :

" le complot est plus fort que la sorcellerie ".

*

Ray Célestin fait ici un saut dans le passé avec une aisance déconcertante au point que tous les chapitres se déroulent avec le regard et l’acuité d’un metteur en scène soucieux de l’exactitude et de la véracité des évocations.

Tout nous emporte dans un merveilleux et angoissant Carnaval.

=O=

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