L'esprit du 11 janvier - une enquête mythologique

4 minutes de lecture

Chronique de " L’esprit du 11 janvier – Une enquête mythologique "

Bande dessinée de Lehman et Guess parue aux éditions Delcourt

Dès la couverture le ton est donné par une foule amassée en un cortège dense qui semble faire mouvement de gauche à droite donnant l’illusion qu’elle est bien « vivante ». Elle est surmontée ici et là de drapeaux que l’on devine français et de pancartes « JE SUIS CHARLIE ».

L’ensemble est en noir et blanc comme l’étaient ces quelques mots qui ont fait le tour du monde, comme un cri de ralliement, une sorte de signe de reconnaissance entre des êtres humains, mais aussi le Peuple français debout en une seule et même « identité » au-delà de toute considération spirituelle et religieuse.

Me gardant de lire le résumé proposé en 4ème de couverture, je chemine dès les premières images sur des sujets qui me rappellent des images télévisées en boucle sur BFM télévision et de photographies parues dans la presse. Ils retracent assez fidèlement dans le trait et dans le texte les évènements de début janvier 2015.

Sorti en novembre 2015, la démarche des auteurs n’a pas été altérée par les attentats du 13 novembre 2015.

Très vite donc, ils nous amènent à voir autre chose qu’un simple enchainement d’évènements. Pour eux, il se dégage une dimension mythologique. Et donc rien n’arrive par hasard.

Les premières caricatures parues en Europe avaient blessé les musulmans par le fait de la représentation humaine du Prophète Mahomet. C’était pour eux un blasphème. Une semaine après les attentats du 7 au 9 janvier 2015, la une de « Charlie Hebdo » reparaît malgré une rédaction complètement dévastée.

Luz (« Lumière ») est en l’auteur : le Prophète (à nouveau), une larme à l’œil, est à nouveau représenté avec ce message, « Tout est pardonné ». C’est presque une démarche messianique, une leçon d’altruisme religieux, la naissance peut-être d’une nouvelle « religion civile » précédée de phénomènes annonciateurs en apparence disparates.

Les auteurs font ici le pari d’assembler des phénomènes disparates pour découvrir le « monstre » qui selon Alfred Jarry prend forme non pas comme une chimère mais plutôt comme « une beauté originale et inépuisable ».

Un an plus tôt, le 7 janvier 2014, Michel Houellebecq fait paraître un livre sous le titre « Soumission ». L’actualité du moment n’a pas nécessairement le moyen de faire le lien avec ce qu’il se prépare. Mais le texte devient après l’agression de la rédaction de Charlie par les frères Kouachi quasi-prophétique. « Soumission » évoque en effet l’arrivée à la Présidence de la République, d’un homme de confession musulmane, en 2022, et la transformation consécutive et profonde de la société française.

Curieusement Luz est le rare survivant de l’équipe de rédaction, simplement à cause d’une panne de réveil. Il devait fêter son anniversaire, le 7 janvier 2015. En réalité, la Une devait être consacrée à « Houellebecq », une qui ne paraîtra pas.

Les voies du Ciel semblent impénétrables. Il y a comme une sorte d’alignement des planètes, de coïncidences, d’enchaînement troublants d’évènements qui de l’un sauvera la vie en épargnant une quantité non négligeable d’autres, comme à Montrouge ce 8 janvier 2015 avec l’assassinat de la policière municipale suite à un accident sur la voie publique qui conduit Amédy Coulibaly à modifier ses plans, une école juive se trouvant à proximité à l’heure de l’entrée en classe.

Chaque chapitre de cette très belle Bédés nous entraîne comme une dédicace de mémoire, un élément d’enquête, une pièce de puzzle à verser au dossier de quelque chose de plus grand, qui nous dépasse et qui est là sans que l’on puisse d’emblée le voir, spontanément : c’est le mythe, le récit fabuleux.

On connaissait la mythologie des grecs et des romains et combien d’autres encore. Ces deux auteurs nous en propose une nouvelle et tellement proche de nous.

Plusieurs choses viennent s’associer au plaisir de lire cette œuvre. Ce n’est pas un livre politique ou engagé. Le dessin est soigné sans excès et la place pour les bulles est presque équivalente à celle des dessins. Entièrement en Noir et Blanc, comme une démarche photographique qui souvent accentue la vérité et la rend plus accessible.

Fan de bandes dessinées de Pascal RABATE et Christophe CHABOUTE, tous deux aux éditions Vents d’Ouest, je retrouve ici l’ambiance, le trait de crayon et cette douce cruauté de la vie ou de la mort.

Ce livre d’images est construit comme une enquête-témoignage, entraine le lecteur à constater par lui-même l’enchaînement troublant de phénomènes : un assemblage judicieux, quasi-mystique, une société en quête de certitude rationnelle qui se dresse comme un seul homme par résilience à l’encontre de desseins fanatiques.

Une lecture troublante, documentée, référencée en dernière page qui change inévitablement notre regard sur ce que traverse réellement notre société.

Bédé à lire et regarder absolument.

Je vous la recommande.

=O=

Un autre sujet BD sur lecteurs.com en vidéo 4 minutes

Reporter amateur d’un jour pour Lecteurs.com au Salon du Livre – Paris 2013

www.lecteurs.com/article/jean-michel-palacios-reporter-dun-jour-au-salon-du-livre-de-paris/2441277

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