Sauve-qui-peut

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La voiture fonça droit sur un arbre sur le bas côté. En entendant le cri d’Hedony, le tuahine avait braqué, mais trop tard. Il évita le frontal, mais pas l’accrochage. Le véhicule percuta l’arbre de plein fouet, explosant son pneu avant droit et froissant sa tôle sur toute sa longueur dans un crissement métallique et foudroyant.


Ils s’immobilisèrent deux mètres plus loin en laissant une traînée de boue derrière eux. Le moteur cracha de la fumée, mis à mal en étant resté sur une vitesse alors que la voiture restait immobile. Un nuage poussiéreux s’engouffra dans l’habitacle avant qu’Adhara ne se rendît compte qu’il s’agissait du moteur. Il le coupa en tournant sa clé et toussota. La porte côté passager s’ouvrit alors avec fracas.


Des bras jaillirent de l’extérieur pour attraper la succube qui avait reçut un coup sur la tête et peinait à reprendre ses esprits. Adhara fut le plus prompt à réagir. Il sortit son flingue de son holster d’un mouvement et le pointa sur l’intrus.


« Tu la touches et j’te bute. »


Il fit cliqueter l’arme en retirant la sécurité pour ajouter du poids à sa parole. De plus, il réalisa que cet homme était un parfait inconnu pour lui. Plus aucune raison d’hésiter.


L’assaillant leva les mains et recula tandis que la succube recouvrait sa lucidité. Elle retint sa respiration en découvrant la scène qui se déroulait sous ses yeux. Un regard vers l’homme à l’extérieur et elle le reconnut.

Mince…


« Vous n’avez pas beaucoup de temps. Et on a des fortes raisons de penser qu’Hetaeris est à vos trousses. Venez avec nous. »


Adhara écarquilla les yeux. Avait-il bien entendu ? Hetaeris ?

Une peur sourde monta en lui. S’il était à leurs trousses, ils étaient fichus. Autant dire qu’ils étaient morts. Il n’hésita pas longtemps. Il préférait pactiser avec l’ennemi, le vrai, plutôt que d’affronter une créature tel que lui.


« C’est bon, on dégage ! »


Adhara fit signe à Hedony de suivre l’homme et ouvrit sa portière pour sortir à son tour. Il reprit ses affaires sur la banquette arrière avec un pincement au cœur pour son véhicule et, ensemble, ils rejoignirent dare-dare la voiture qui les poursuivait l’instant d’avant.


« Hetaeris ! Non, mais j’en reviens pas ! Hetaeris ! Pensa Adhara tout haut.

— Hetaeris ? C’est qui cette connasse ? Demanda Hedony de but en blanc.

— Un gars que tu trouverais sans doute très beau, mais il est vraiment pas gentil… Alors, on ne traîne pas ! »


Ils s’installèrent à  l’arrière du break et furent cloués sur place en remarquant les deux personnes à devant.


« Pierce, constata Hedony la bouche béante.

— Jacob , précisa encore le tuahine.

— Adhara, Hedony, leur répondit Jacob. »

Sur ces mots, ce dernier s’était retourné vers eux, un sourire affable sur le visage. Adhara, en le voyant, garda la porte ouverte, prêt à ressortir.

« Pour quelle raison est-ce qu’on devrait vous faire confiance ? demanda-t-il, soudain incertain.

— Allons, entre et ferme la porte. Nous n’avons jamais voulu faire de mal à quiconque, et certainement pas à Hedony, mais le temps presse… »


Le tuahine fixa Jacob durant quelques secondes, comme s’il cherchait à travers son regard le pourcentage de vérité dans ce qu’il disait.


« On veut juste vous donner un coup de main, rien de plus. Vous serez libre de repartir quand vous le voulez, dès qu’on sera en sécurité. » Continua Jacob.


La mâchoire d’Adhara se crispa. Il referma la porte à contrecœur. Pierce, Veikko en réalité, en profita pour réinsérer la voiture dans la circulation. Chaque seconde comptait quand on cherchait à fuir une créature telle que Hetaeris.

Le silence se fit pesant dans l’habitacle tandis que le break reprenait de la vitesse. Hedony, coincée entre Adhara et l’homme qui les avait cherché à la voiture, reprit la première la parole.


« Comment ? Comment êtes-vous sorti ?

— Tu ne croyais pas sincèrement qu’une simple prison humaine allait nous retenir ? répondit Veikko d’un air suffisant.

— J’avais bien dit à Tatiana-Tati-Tatani euh bref… qu’elle fasse mettre des runes. Elle m‘écoute jamais, grommela  Adhara.

— Elle en a mis. Mais ils n’étaient pas suffisamment puissants. Jacob a réussi à les briser, intervint Kalevi à côté d’Hedony.

— Encore mieux ! Même pas foutue de faire son boulot correctement !

— Ces runes étaient bien faites, mais on n’apprend pas aux vieux singes à faire la grimace, le détrompa Jacob.

— C’est-à-dire ? demanda Hedony, désireuse d’avoir de plus amples explications.

— J’ai trouvé le moyen de les contourner… Chaque sort a ses défauts. Il suffit de trouver la faille et il est généralement possible d’échapper à sa magie.

— Ouais, encore du travail de débutant surtout, rumina Adhara en contemplant la pluie tomber. »


Le silence retomba sur eux. Hedony était mal à l’aise, comme si un sentiment de claustrophobie l’étreignait. L’averse doublait d’intensité à l’extérieur et donnait à la voiture une certaine exigüité renforcée par la présence des hommes autour d’elle.


Veikko conduisait vite, mais bien traduisant ainsi son envie de se mettre à l’abri au plus vite. La ville ne semblait pas avoir de secret pour lui, il slalomait dans les rues à une vitesse soutenue.


« Comment avez-vous appris que Hetaeris nous poursuivait ? Questionna le tuahine en posant la main sur son bras blessé.

— Nous avons nos sources. »


Adhara grimaça. Hedony le détailla et lui tendit la main.


« Montre ton bras. »


Il s’exécuta.


« Impossible, on a pas de taupe à la CGCS, continua-t-il pour Jacob.

— Hélas, je suis désolé de te décevoir, mais il y en a partout. Surtout là-bas. »


Adhara réprima un gémissement en fermant son poing. Hedony essayait de détacher le vêtement qui recouvrait sa blessure.


« C’est bon signe si ça fait mal, soutint Kalevi en observant les faits et gestes de Hedony.

— Ha ouais ? glapit Adhara en se tordant sur son siège.

— Si la brûlure était plus profonde, tu n’aurais plus rien senti, confirma Kalevi.

— J’aurai sans doute préféré ne rien sentir…

— Faire sortir la salamandre était une bonne idée à la base, mais ce n’est pas le genre de créature qu’on peut contrôler à sa guise, constata Jacob sans quitter la route des yeux. »


La voiture freina d’un coup sec et les pneus crissèrent sur l’asphalte. Devant eux, une silhouette sombre se découpait dans le faisceau lumineux d’un phare de moto.


« Les ennuis commencent, affirma Veikko en serrant les dents. »


Adhara se raidit et récupéra son bras. Tous furent stupéfaits de retrouver leur poursuivant devant eux. Le temps se figea et le silence devint lourd et opaque. Seule l’averse se permettait encore de clapoter sur le toit du break, englobant les passagers dans une ambiance tendue. Hedony retenait sa respiration. Elle ne connaissait pas cette créature qu’on avait lancée à sa poursuite, mais l’anxiété qui opprimait les hommes autour d’elle était lourde de sens.


Le motard retira son casque et attendit sous la pluie. Comme personne ne semblait vouloir sortir, il marcha vers eux. À mesure qu’il avançât, une aura insidieuse les rongea tous les cinq, une crainte sourde les enveloppait. Jacob enclencha la poignée de sa porte.


La créature s’arrêta, dans l’expectative.


« Veikko, tu te souviens bien de l’endroit où il fallait aller si par malheur il m’arrivait quelque chose, n’est-ce pas ? »


Veikko avala sa salive, mais acquiesça.


«  Qu’est-ce que vous comptez faire ? s’inquiéta Hedony à l’égard de Jacob.

— L’un de nous devra bien se dévouer pour le retarder.

— Ne pourrions-nous pas le combattre ensemble, tout simplement ? »


Elle posa une main sur le dossier du siège de Jacob, comme pour lui montrer son envie de l’aider. Elle ne le connaissait pas, mais un sentiment profond lui assurait que Jacob était finalement quelqu’un de bien. Elle devait le soutenir.


« Comment voudrais-tu qu’on se batte contre lui ? Réprouva Adhara.

— Je n’sais pas, moi ! On a des pouvoirs, utilisons les contre lui !

— Mais de quels pouvoirs parles-tu ? ricana-t-il, mauvais.

— Je sais être convaincante ! Personne ne me résiste.

— Tu parles d’un pouvoir… Il faut se combattre, et non pas faire une orgie ! »


Le tuahine se remémora les dires de son ami qui lui avait expliqué les déboires de Hedony en sa qualité de succube. Sa jalousie lui revenait en travers de la gorge. Hors de question que la jeune femme perdît à nouveau le contrôle sur sa nature et son penchant pour la chair.

La succube lui lança un regard plein de reproche.


« De toute façon, même à cinq on ne pourra pas lui arriver à la cheville, maugréa-t-il.

— C’est inutile, les coupa Jacob. Je vais y aller. »


Et sans attendre, l’homme sortit de la voiture pour faire face à leur adversaire.

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