Saagaran

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Figée comme une statue, Hedony tentait de calmer les battements erratiques de son cœur. Elle sentait derrière elle la présence d’une créature imposante. Son haleine nauséabonde la fit grimacer de dégoût et elle se retourna avec lenteur. Elle perdit ses moyens et sa respiration devint saccadée à la vue de cette masse ténébreuse dont la puissance inspirait la terreur. Sa mâchoire puissante, sa taille démesurée, les griffes rétractables au bout de ses grosses pattes. Sa silhouette majestueuse et intimidante.

La crainte et le désarroi fit reculer Hedony. Elle trébucha dans son empressement pour se retrouver les fesses à terre. Elle recula encore. Il lui semblait que l’air manquait et que la pièce était devenue exigüe. Piégée comme un rat. Ses yeux fous furetaient le bureau à la recherche d’une échappatoire.

« On ne te veut aucun mal. » Précisa Connor qui reprenait place sur sa chaise.

Hedony se releva au coin de la pièce. La distance qui la séparait de Connor et de Saagaran lui permettait de garder un œil eux, mais aucun moyen de s'enfuir s’ils devaient lui faire du mal. Sa posture crispée trahissait sa méfiance. Elle tressaillait à chaque imperceptible mouvement de la créature d’ébène à l’embrasure de la porte.

Hedony ouvrait la bouche à la recherche de ses mots, mais aucun son ne filtrait à travers ses lèvres. Elle était impressionnée et terrifiée face à cet amas de muscles. Les yeux de la créature, d’un vert de jade pur, la fixaient.

« Ce… C’est… »

La succube tentait d’aligner une phrase sans y parvenir. Le poids de son regard lui donnait le sentiment d’être tellement faible, de n’être qu’un insecte ridicule qu’il suffisait d’écraser d’une pichenette. Adhara avait raison, ou alors son imagination lui jouait encore des tours. Elle allait se réveiller, comme si rien ne s’était jamais passé. Tout n’était qu’un affreux cauchemar. La succube se mit à trembler, ses muscles semblaient palpiter sous sa peau, tendue comme un arc.

Le patron se racla la gorge. Hedony lui lança un regard apeuré, mais se refocalisait vite sur la créature qui la rendait si mal à l'aise.

« C’est… une panthère. » réussit-elle à articuler.

L’énorme félin, bien plus grand que de coutume, émit un grognement sourd.

« Pas une simple panthère, l’informa monsieur Lynch. Il fait partie des douze créatures merveilleuses qui régissent le monde. Le seul à s’être mêlé à nous autres, les créatures humanoïdes. »

Elle dévisagea Connor et Saagaran tour à tour.

« Les créatures merveilleuses ? » hasarda-t-elle sans comprendre.

Au même moment, la panthère noire s’avança vers la jeune femme, balayant ses interrogations. Mortifiée, Hedony se figea telle une statue. Le félin s’arrêta à quelques centimètres d’elle. Il la renifla alors qu’elle fermait les yeux, résignée. Mais lorsque ses paupières se soulevèrent, Saagaran lui faisait dos et se rapprochait de Connor. Sa voix grave et rauque coupa le silence qui s’était installé.

« Ce n’est qu’une enfant, commença-t-il.
— Elle ne sait encore rien, mais ça ne tardera pas. Elle est en pleine phase d’éveil. »
Le patron de la CGCS n’avait pas quitté Hedony des yeux en répondant à Saagaran.
« Nous avons besoin de te poser des questions. » Reprit-il alors très sérieusement.

La succube passait ses mains sur ses bras. Elle louchait vers la porte dont l’accès était désormais plus dégagé… Ce serait fou, mais faisable avec de la chance. Beaucoup de chance. Quelle était la pointe de vitesse d’une panthère ? Et quelle serait sa vitesse si elle avait un demi mètre de plus que la moyenne ?

« Si tu réponds sincèrement, nous serons enclins à te libérer le plus rapidement possible. Nous pourrons même à t’aider à reprendre pied dans la vie active… Te trouver un logement, un boulot et même t’apprendre à gérer tes pouvoirs… Si tu coopères, bien naturellement. »

Proposition alléchante, mais ça ne prenait pas. Plutôt mourir, se disait Hedony. On ne l’y prendra pas deux fois. Elle fit un pas en avant, l’air de rien, comme si elle acceptait d’échanger. Elle devait gagner du terrain pour se rapprocher de la porte et avoir plus de chance de leur échapper. La panthère grogna ; ses prunelles vertes semblaient la menacer. Même Connor affichait une expression dure. Personne n’était dupe.

« Je vous écoute, abdiqua-t-elle dans un soupir, réalisant que son plan était foireux.
— Installe-toi. » L’enjoignit l’homme au costard gris en désignant la chaise.

Un frisson la parcourut. Un voile de tristesse l'empoigna. C’était la même phrase et le même geste que dans son souvenir dans la peau d’Abel. Le même que cet instant où il avait dit que sa femme serait condamnée à mort. La même indifférence dans ses manières. Ça ne sentait pas bon, pas bon du tout.

Elle prit cependant place, guère rassurée par la présence de la panthère.

« Sais-tu quelque chose sur ces gens qui ont voulu t’enlever ?
— Non, rien, souffla-t-elle, exaspérée.
— As-tu entendu des noms ? »

Hedony hésita un très court instant. Comment savoir lequel des deux camps elle devait choisir ? Dans un cas comme dans l’autre, elle n’avait rien demandé. Elle n’avait pas voulu se foutre dans un tel merdier, putain !

« Non » mentit-elle avec affront.

Connor et Saagaran partagèrent un regard. La jeune femme tentait de garder son calme, de ne pas paraître plus tendue qu’elle ne l’était déjà, mais les battements de son cœur jouaient à l’accordéon.

« Sais-tu ce qu’ils te voulaient ?
— Ils… Elle hésita. Ils voulaient mon aide, récapitula-t-elle.
— Pour quoi ? En quoi est-ce que tu pouvais les aider ?
— Je ne sais pas, ils ont tenu un discours qui n’avait ni queue ni tête pour moi. Enfin… à ce moment-là. »

Elle regarda la panthère. Non, effectivement, sa vision des choses avait bien changé depuis dix minutes. Déjà la nuit dernière avec Adhara, mais désormais aucun doute ne persistait. Une panthère géante qui parle, ces souvenirs qui l’assaillaient sans prévenir, ces discussions avec Jacob… Tant de preuves qui la poussaient dans ses retranchements et lui avaient fait changer d’avis.

« Quel genre de discours ?
— Sur mes… souvenirs, avoua-t-elle en baissant la tête.
— Mais ils ne t’ont pas dit en quoi tu leur serais utile ?
— Non, Adhara est arrivé sur place juste à cet instant…
— Vraiment ?
— Vraiment, affirma-t-elle.
— Et c’est tout ? Vous n’avez discuté de rien d’autre ? Aucun détail, même futile, ne te revient ?
— Oui, c’est tout ce que je sais. »

Monsieur Lynch hocha la tête. Il guetta la réaction de la panthère mais celle-ci restait de marbre. Saagaran étudiait le visage de la succube, songeux.

« Je peux y aller alors ? »

Elle cherchait leur approbation, mais un silence de plomb l’accueillit. Elle se mordit les lèvres.

« Parle-nous de tes visions d’abord.
— Mes visions ?
— Oui, de quoi parlent-elles ?
— Elles sont décousues, je n’y comprends rien. Je ne pourrais pas vous expliquer…
— Aucun élément ne t’a touché ? Un souvenir particulier qui t'a bouleversée ?
— Si. J'ai vu une femme mourir... Et je sais que vous en êtes le responsable. »

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