11. Mésaise (1/2)

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Des femmes. Des femmes partout. Belles, séduisantes... En train de se dévêtir. Adhara en avait l'eau à la bouche. Elles s'approchaient, d'une démarche lente et provocante. Elles avaient un regard... Une étincelle de désir brillait dans leurs yeux, toutes focalisées sur lui. Uniquement sur lui, seul origine plausible de leur libido à peine contenue.

Sauf qu'un raclement de gorge mit fin à son rêve. Adhara ouvrit les yeux dans un sursaut et sentit cette pointe d'humidité au coin de ses lèvres qu'il se hâta d'essuyer.

« Qu'est-ce que... commença Adhara en se redressant du fauteuil dans lequel il s'était installé.
— Nous avons terminé la déposition de mademoiselle Paxton, l'éclaira Taïna. Tu vas pouvoir la raccompagner. »

Debout, à côté de sa collègue se tenait effectivement la victime du kidnapping, et Adhara comprit la raison pour laquelle il avait rêvé de beaux brins de filles... Le souvenir de l'aura ensorcelante de la jeune femme hantait son subconscient au moment où le sommeil l'avait rattrapé. Son air hautain et distant l'intrigua. Il en profita pour lorgner son corps gracile et éthéré, de nouveau envoûté par il ne savait quel motif de sa personne.

« Adhara. »

Nouveau rappel à l'ordre. L'Anahera reporta difficilement son attention sur Taïna. Cette dernière lui lançait un sourire fallacieux.

« Puis-je te parler deux minutes ? »

Il se désigna du doigt, incrédule. Visiblement à bout de nerf, elle soupira et lui prit le bras pour lui parler à l'écart, dans le couloir.

« Une voiture vous attend sur le parking, la première à ta gauche, dit-elle en lui donnant des clés. Conduis prudemment, il y a du verglas. Un coup de fil avant que tu démarres pour l'aéroport et on t'envoie quelqu'un la récupérer, ça va ? Au passage, la fille ne sait pas encore ce qu'elle est. Laisse Connor se charger de le lui dire, d'accord ?
— Euh... »

Taïna inspira profondément en fermant les yeux comme pour rester calme.

« Ne t'avises même pas d'ouvrir son dossier pour en savoir plus sur elle, l'avertit l'inspectrice, devinant à l'avance ce qu'il ferait.
— Non, bien sûr... promit Adhara.
— Je lui ai dit qu'on surveillait ces hommes, alors si elle trouve des documents la concernant, on est foutus...
— D'accord » acquiesça l'Anahera non sans jeter un regard vers la concernée.

La policière aggripa le bras de son interlocuteur pour le reconcentrer sur elle.

« Je lui ai dis que tu seras son garde du corps, alors conduis-toi en un parfait gentleman pour une fois, c'est compris ? »

Adhara hocha la tête et voyant la fin de la conversation approcher, il ne se fit pas prier pour revenir près de sa protégée.

« Adhara ! l'interpella Taïna avant qu'il ne l'ait rejoint. Une dernière chose... »

L'ange déchu tourna la tête.

« Un garde du corps ne couche pas avec sa cliente. »

Fais pas ci, fais pas ça... elle se prend pour qui ? râla-t-il intérieurement. Il haussa les épaules et fit un signe d'au revoir à l'inspectrice. En retrouvant Hedony à l'accueil, il lui trouva un air détaché, insensible voire bougon, mais il comptait bien y remédier.

« Miss Paxton, lança-t-il, Adhara Faraday. »

Pour vous servir, voulut-il rajouter, sauf qu'il ne savait pas le dire en finlandais et n'était pas certain d'être compris s'il continuait en anglais.

L'Anahera effectua alors une petite courbette en se présentant, mais sa bonne humeur disparut lorsqu'il remarqua le peu d'enjouement de la jeune femme. Au mieux le dévisagea-t-elle avec froideur avant de reposer son regard sur la sortie, les bras croisés sur sa poitrine.

Décidément... à quoi m'attendais-je ? Rencontrer des gens chaleureux dans un pays de l'Arctique, c'est trop demander...

Il laissa tomber ses galanteries dans un soupir, puis maugréa encore des inepties sur sa mission alors qu'il devait être en vacances. Il se dirigea vers la porte sans savoir comment proposer à Hedony de le suivre. Heureusement, un coup d'oeil au-dessus de son épaule lui indiqua que la brune lui emboîtait le pas.

Ils passèrent les battants du commissariat d'Helsinki et foulèrent le sol gelé du parking. Chacun s'installa dans la voiture dans un silence religieux. Un nuage de buée se formait devant leur visage au rythme de leur souffle, témoin de l'air glacial qui les enveloppait. Hedony frissonna. Sa ceinture bouclée, elle se contenta de serrer un pan de vêtement sur son dos et de fixer un point au loin. Et Adhara restait là, pantois. Il était derrière son volant, prêt à partir, la clé était dans le contact, mais il n’avait aucune idée de comment aborder cette créature à côté de lui, ni ce qu’il devait faire exactement. Hedony savait-elle qu'il devait la ramener en Angleterre ? Quelle excuse allait-il inventer pour qu'elle veuille bien l'accompagner alors qu'elle se montrait si distante ? Et surtout... Comment allait-il communiquer avec elle ? À chaque fois qu’on lui avait parlé, c’était en finlandais. Adhara, lui, ne connaissait pas un traître mot de cette langue qu'il trouvait trop gutturale. Il tenta pourtant de se rappeler quelques expressions qu'il avait pu entendre et comprendre pendant ses rares missions dans le pays.

« Kertoa… mitä ? (1) » baragouina-t-il, peu convaincu.

Hedony tourna la tête vers lui. Ses grands yeux verts le détaillèrent. Elle provoqua en lui un mélange de sentiments très contradictoires. Son arrogance l'agaçait, il la trouvait même antipathique sur le coup, mais d'un autre côté, il était subjugué par la douceur de ses traits, ses lèvres fines, son petit nez retroussé et la profondeur de ses prunelles aventurine. Il eut l’impression de s’y perdre, dans ce vert infini qui rappelait l’herbe tendre du printemps et ce léger parfum de menthe.


« Je sais parler anglais, dit-elle en le sortant de ses pensées.
— Ha. »


Effectivement, son phrasé semblait très correct. Adhara n'avait même pas perçu l'ombre d'un accent dans ce qu'elle venait de dire. Voilà une épine hors du pied, il lui restait à la convaincre de l'accompagner jusqu'en Grande-Bretagne. Il déglutit, tant pour contenir son malaise que pour chercher du courage.


« Très bien, et euh... on m'a chargé de te ramener en Angleterre... »

L'ange déchu laissa sa phrase en suspens, comme s'il espérait qu'elle comprenne et accepte miraculeusement ce voyage. Pendant un moment, Adhara eut l’impression qu’elle n’avait pas entendu. Elle évitait son regard en frottant ses mains sur ses bras à la recherche de chaleur. Il l’observa en attendant sa réponse et son attention dévia sur son corps et ses tatouages. Tout son bras gauche était recouvert de volutes de fumées noircies, d'un portrait de cheval, de fleurs. Même constat sur ses cuisses que son short cachait peu, il distinguait les traits d’autres motifs et il savait qu’il y en avait encore, son décolleté en laissait deviner un. À la regarder ainsi, il n‘avait qu’une envie : retirer tous ses vêtements et découvrir tous les dessins qui sillonnaient sa peau. Et plus si affinités.

L'Anahera se donna mentalement trois gifles lorsqu'elle répondit, non content d'avoir de telles pensées alors qu'il était sensé travailler.


« Oui, l'inspectrice m'a dit qu'il s'agissait de terroristes... Et que pour ma sécurité vous préféreriez que j'aille là-bas.
— Oh ! Oui, c'est exactement ça », se surprit-il à mentir.

Que les dieux bénissent ton intelligence, Taïna. T'as cartonné sur ce coup-là !


Adhara passa une main dans ses cheveux avant de reprendre, plus à l'aise :


« Je ne pensais pas qu'elle te dirait tout ça... »

Hedony l'ignorait à nouveau, trop occupée à admirer la neige draper la ville d'un nouveau manteau blanc. Adhara se rembrunit.


« Je suis claqué. Je te propose de passer le reste de la nuit à l'hôtel, j'ai besoin de dormir avant de penser à faire quoi que ce soit d'autre. Tu es d'accord ?
— Hm-hm » fit Hedony, condescendante, sans lui accorder le moindre regard.

Ça commence bien...

L'Anahera alluma le moteur, mit le chauffage à fond et la voiture sillonna bientôt les rues de la capitale finlandaise.

Durant le trajet, le silence devint opaque. Adhara amorça par deux fois une conversation, par politesse, mais il comprit rapidement qu'il s'agissait d'une peine perdue, la jeune femme ne lui accorderait pas un mot. Elle s'enfermait dans un mutisme qu'il préféra ignorer, bien malgré lui, se concentrant sur la route.

Il mettait sa mauvaise humeur sur le compte de cette soirée étrange. Il ne savait pas lui-même comment il aurait réagi à sa place, après avoir vécu tant de mésaventures. Pour lui, ces missions étaient un quotidien auquel il s'était habitué. Il avait régulièrement à faire à des criminels, des délinquants ou des créatures mettant en péril le secret de la magie, car l'existence de créatures fantastiques devait rester cachée afin d'éviter la panique des hommes. Il y avait déjà eu suffisamment d'épisodes malencontreux qui avaient eux-même conduits à de nouveaux mythes et légendes dans le monde humain. Les sorciers, les djinns, les loups-garous... La plupart de ces histoires étaient tirées de faits réels, occasionnés par des maladresses, mais le but ultime de la société secrète pour laquelle Adhara travaillait était de veiller à étouffer ces bévues et préserver leur anonymat.

« J'ai envie d'une cigarette, déclara soudain Hedony, fixant toujours le paysage depuis sa fenêtre.

Adhara ferma les doigts sur le volant à l'approche d'un virage.

« Je doute qu'on trouvera un magasin ouvert à quatre heure et demie du matin...
— On va au Kämp, je suppose ?

Elle posa sa tête contre la portière, attendant probablement une réponse de l'Anahera.

« Il y a un magasin ouvert sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, juste tout près. Je sais qu'ils vendent du tabac là-bas.
— Je ne vois pas l'intérêt d'avoir des cigarettes pour dormir » railla-t-il, peu désireux de faire un détour ou d'y perdre du temps.


Pour la première fois sur le trajet, elle tourna la tête vers lui pour le regarder. Ses yeux croisèrent les siens et le coeur d'Adhara manqua un battement. Il dû braquer le volant d'un coup sec pour éviter une bordure.


« Ou... je vais attendre de voir si on arrive entier sur place, d'abord » répondit-elle, dédaigneuse.

Piqué à vif, l'homme ronchonna. C'était de bonne guerre, mais il n'appréciait pas pour autant qu'on critique sa manière de conduire. En même temps, si elle n'était pas aussi bien foutue, il n'aurait probablement pas perdu ses moyens... Encore un subterfuge de femmes... Non, pardon, de succube.

Concentre-toi sur la route, mon gars. Tu t'occuperas de son cas après...


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(1) - Que/comment... dire... ?

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