2.2. Conjoncture

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Phéléna dormait paisiblement dans sa chambre. Avachi dans le fauteuil du salon, Adhara n'attendait plus que l'heure passe. Il regardait autour de lui, fatigué de la journée qu'il avait passée à surveiller sa filleule. Il détaillait les tableaux du salon, contemplait les photos encadrées, profitait de la chaleur du poêle, mais il était seul et s'ennuyait. Un coup d’œil sur l’horloge suspendue au mur lui indiqua qu’il était neuf heures et demie. Sarah, la mère de Phéléna, ne devrait plus tarder à rentrer et son baby-sitting prendrait fin.

Il se leva du fauteuil et fit les cent pas dans la pièce, impatient. Au même moment, la porte dans le hall d'entrée s'ouvrit.

***

Hedony cria de désespoir, du désespoir qu’avait vécu son hôte. Ses sentiments l’avaient assaillie, ils s’étaient encrés en elle comme un tatouage, laissant une marque indélébile dans sa chair, dans son sang, dans son âme. Elle subissait sa peine, éprouvait sa rancœur, goûtait son amertume. Chaque émotion démultipliait les autres et Hedony ne put retenir les larmes et les sanglots qu’ils provoquèrent.

Elle ouvrit les yeux. Une lumière blafarde éclairait l'habitacle de la voiture par intermittence. La panique la submergea lorsque l'homme sur le siège passager se retourna.

« Elle a pas l'air bien, fit-il remarquer.
— Qu'elle se tienne tranquille, sinon elle risque de ne pas aller mieux, prévint Iggy.
— Aïe, ma tête... », sanglota la jeune femme alors qu'une douleur lancinante lui vrillait l'arrière du crâne.

Recroquevillée sur le siège arrière, Hedony voulut toucher sa tête pour évaluer les dégâts, mais ses mains étaient liées dans son dos. Elle testa la fermeté des liens qui l’entravaient et les ficelles mordirent ses poignets, accentuant sa panique.

***

Adhara rejoignit son amie à l'entrée. Celle-ci retira sa veste et un sourire reconnaissant éclaira son visage las.

« Ça a été ? demanda-t-elle tout bas.
— Oui, Phéléna est adorable, de toute façon. Et toi, le boulot ?
— Je suis restée plus longtemps que prévu, désolée. Ces déclarations de TVA m'ont pris un temps fou, mais si je veux partir en vacances, je dois avoir fini avant.
— Ne t'en fais pas, tu avais raison. Tu profiteras mieux après. »

Sarah approuva d'un hochement de tête.

« Je peux te proposer une boisson, une tisane ou quoi ?
— Je vais y aller maintenant, j'imagine que tu dois être fatiguée. Comme ça je ne rentre pas trop tard non plus.
— Bon, d'accord... Fais attention à toi.
— Profitez bien de vos vacances. Au revoir, Sarah. »

L'ange déchu se pencha vers elle, lui fit une bise amicale. Sarah le prit ensuite dans ses bras.

« Merci à toi d’avoir gardé la petite.
— C’est mon rôle de parrain. Puis elle est adorable, je ne peux pas refuser. Allez, bonne nuit. »

Sarah le lâcha à contrecœur et le anahera sortit.

***

La jeune femme porta un regard affolé autour d'elle. Son instinct lui dictait de fuir, mais aucune échappatoire ne se présentait à elle. Son cœur battait fort dans sa poitrine, et avec le déchaînement des émotions qui l'habitaient, l'air lui manqua.

« S'il vous plaît, je... je peux plus respirer. » haleta-t-elle, suppliante.

Iggy tourna la tête dans sa direction. Son acolyte baissa la vitre et un vent glacial traversa l'habitacle. Elle inspira profondément malgré les tressautements causés par ses sanglots et il lui fallut quelques minutes pour recouvrer un semblant de calme.

« Pourquoi faire ça ? Où m’emmenez-vous ? Que voulez-vous ? »

Elle se dandina sur la banquette et, après plusieurs tentatives, se redressa en position assise. La jeune femme se pencha vers ses agresseurs, le visage en larmes.

« S'il vous plaît... Je... Je vous suis d'aucune utilité. »

Le chauffeur afficha un petit sourire amusé. À côté de lui, l'autre homme était embêté, tâchant d'éviter le regard de leur captive.

« Je suis orpheline, je n'ai ni de famille ni de compagnon... Personne ne voudra payer de rançon, s’il vous plaît, libérez-moi ! » Tenta-t-elle encore, mais seul le ronronnement du moteur répondit à ses supplications.

***

Lorsque Adhara tourna la clé de sa porte, celle-ci n'effectua qu'un quart de tour avant de s'ouvrir. Le anahera fronça les sourcils. Il se souvenait pourtant avoir fermé sa maison à double tour. Avant d'entrer, il attrapa son Glock 17 à son holster de cheville. Tous les sens en alerte, il rentra dans son domicile.

Le silence était tel à l'intérieur qu'il s'imaginait entendre la poussière suspendue dans l'air. Le pistolet tendu devant lui, il avança dans les différentes pièces. Il longea le couloir, vérifia la cuisine, revint deux pas en arrière et examina son salon. L'obscurité ne lui permettait pas de distinguer tous les détails, aussi était-il dans l'obligation de mettre la lumière. Il prit une grande inspiration et alluma.

Le contraste lui fit plisser les yeux. Il inspecta néanmoins la pièce. Du sofa, une tête dépassait, de dos. L’intrus avait des cheveux poivres et sels, il restait immobile. Adhara pointait son pistolet sur lui, tout en scrutant le reste de la pièce.

« Adhara. Te voilà enfin. »

Le anahera se figea, abasourdi. En entendant ce léger accent irlandais, ses épaules se relâchèrent et il ferma lentement les yeux. Il baissa son arme en lâchant un grand soupir, signe qu'il avait longtemps retenu sa respiration.

« Je ne suis pas friand des surprises de ce genre... »

Le jeune homme replaça son Glock dans son holster et contourna le canapé. Il aperçut le sourire amusé de son invité en costard cravate.

« Je m'en serais douté, mais tu ne répondais pas au téléphone, répondit-il de sa voix rauque.
— Qu'est-ce qui t'amène ? »

Son patron releva les yeux vers lui. Son regard noisette et ses paupières tombantes témoignaient de sa sagesse. Même si physiquement il ne donnait pas plus de quarante-cinq ans, monsieur Lynch, directeur de la CGCS, donnait le sentiment d'avoir vécu bien plus longtemps qu'il ne le laissait paraître.

« Je pensais que j'étais en congé. » poursuivit Adhara avec une pointe de remontrance.

Le anahera prit une chaise et s’assit en face de son supérieur. Connor Lynch ignora sa pique et joignit les mains sur ses jambes avant de lui expliquer la raison de sa présence.

« Je pense que nous avons un sérieux problème, qui doit être résolu au plus vite. Nous pensons avoir retrouvé la trace d’une personne importante dans la sphère surnaturelle. Des hommes la surveillaient depuis quelques jours et elle vient d’être enlevée par les mauvaises personnes, je le crains.
— Quand on se fait enlever, c’est rarement par les bonnes personnes.
— Mon équipe a perdu sa trace en tentant de suivre ses kidnappeurs. Ils avaient visiblement prévu leur coup. L'équipe a été mise sur la touche.
— Comment tu veux que je réussisse là où tes autres hommes ont échoué ? Puis s’ils travaillent pour toi, ils ont les compétences pour palier à un vulgaire kidnapping… On a tous la même formation. »

L'ange déchu lâcha un soupir d’exaspération.

« J'aurais dû profiter des congés pour partir aux Bahamas... »

L'idée de reprendre le travail plus tôt que prévu l'agaçait. Déjà que son patron était rentré chez lui sans demander permission, il devrait maintenant accourir pour une vulgaire mission de personne disparue ? Adhara ne comprenait pas. Décidément, Connor ne pouvait juste pas se passer de lui. C'était pareil à chacune de ses vacances.

« Tu es le mieux placé pour cette mission. Tu as des capacités que d'autres n'ont pas et tu seras bien plus rapide pour la retrouver.
— Ouais, mais non ! Après, ça retombe toujours sur ma pomme quand il y a trop de dégâts collatéraux ! Ils étaient cinq la dernière fois ! Je les avais butés sans même savoir dans quel camp ils étaient ! s'emporta Adhara en se levant de sa chaise. Il y en avait bien trois de chez nous en plus, termina-t-il en marmonnant.
— De toute façon, ton billet d’avion est réservé. Tu décolles dans une heure, je te conseille d’aller faire ta valise, car tu pars à Helsinki.
— Quoi ? s'indigna le anahera. Mais tu te fous de moi ? C’est une blague ! »

Connor retourna son poignet pour vérifier l’heure sur sa montre.

« Plus que cinquante-huit minutes, le temps presse. Merci Adhara.
— Putain… »

L'ange déchu tira une tronche jusque par terre. Il poussa sa chaise avec énervement et quitta le salon sans dire un mot, mais au moment où il posa sa main sur la poignée de la porte, Connor l’interpella une dernière fois.

« Fais tout de même attention, Adhara. C’est une succube, et il paraît qu’elle est d’une beauté à couper le souffle.
— Ouais, ouais… J’en ai déjà vu des succubes, le jeune homme s’arrêta dans son élan et fronça les sourcils. Ha ! Parce qu’en plus, c’est une femme ? J’ai vraiment gagné le gros lot… youhou. »

Il sortit de la pièce en continuant ses sarcasmes. La porte claqua derrière lui. Connor fixa le mur devant lui, s’adossant au fond du siège.

« Oui, tu en as déjà vu… Mais jamais comme elle. »

Une hybride, pensa-t-il. Et si ses suppositions étaient exactes, il ne s’agissait pas d’un vulgaire mélange de bas quartiers, mais bien d’un mariage subtil avec une race supérieure pure. Alors, lorsque ses hommes lui avaient évoqué sa magnificence encore supérieure aux succubes ordinaires, il n’en avait point douté.

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