6. Affranchie

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La voie était libre, Hedony s'en étonnait et s'en réjouissait à la fois. Elle détala dans le couloir à en perdre haleine. Ses jambes fendaient l'air comme un aigle en chasse. Le froid irrita sa gorge sèche, mais plus rien ne comptait d'autre que sa fuite. Son échappatoire était là, à portée de bras. Plus que quelques enjambées avant la bifurcation. Elle tenta de se remémorer les tournants qu'avaient pris ses kidnappeurs pour l'amener ici.

À la fin du corridor aux murs défraîchis, elle obliqua sur la gauche. Elle atteignit une grande porte rouge qu'elle se pressa d'ouvrir. Elle atterit alors en haut d'une mezzanine, dans une énorme cellule d'entrepôt. Des étagères immenses se dressaient devant elle, des boîtes, des cartons et des machines de manutentions se momifiaient ça et là. Les vitres, dont la plupart étaient brisées, se situaient trop haut dans les murs pour pouvoir les atteindre. Sa seule solution était de pouvoir actionner les rideaux à lame que Hedony voyait au fond, deux cent mètres plus loin.

La brune n'attendit pas de récupérer son souffle, elle dévala la volée d'escaliers d'une traite et sprinta entre les rayons laissés à l'abandon. Le temps qu'elle atteigne les premières étagères, elle entendit la porte s'ouvrir une seconde fois et un homme pousser un juron.


« Putain de merde, Kal ! Qu'est-ce que tu as encore foutu ? Rattrape-la ! »


Les deux hommes la poursuivirent. Hedony accéléra sa course. Le vrombissement de son coeur bourdonnait dans ses oreilles et comprimait sa cage thorique. Le souffle erratique de ses traqueurs semblait se rapprocher dangereusement. En voulant regarder derrière elle, Hedony percuta une caisse de plein fouet. Ils n'étaient pas derrière elle, mais le bruit venait de les alerter et de trahir sa position.


« Par là-bas ! » hurla Iggy.

Merde !


Hedony reprit sa course folle. Ses pieds touchaient à peine le sol qu'ils se propulsaient à nouveau dans un ballet effrené. Le rideau en lame était juste devant elle. Encore quelques mètres... Iggy déboula soudain dans son rayonnage. Ses foulées longues lui permirent de réduire la distance petit à petit, elle le sentit sur ses talons.

La porte. Elle devait l'atteindre. L'atteindre avant lui. Avant qu'il ne la rattrape.

Son regard se perdit sur les contours de la porte. Où devait-elle actionner le levier qui lui permettra de se sauver ? Elle voulait vivre, elle devait vivre, mais son champ de vision se troublait. Ainsi en mouvement, elle avait du mal à repérer la manette ou le bouton d'ouverture. Elle dévia à droite, trop pressée pour commencer à hésiter sur sa direction et au moment où elle vit un bouton vert, elle se jeta sur lui. Son corps stoppa sa course en se cognant au mur et elle actionna l'interrupteur. Ses doigts poussèrent plusieurs fois dessus, mais la capsule cliqueta dans le vide.


« Ouvre-toi ! Ouvre-toi putain ! »


Elle cria, sa voix se perdant dans les aîgus au fur et à mesure qu'elle voyait Iggy se rapprocher et le volet rester fermé. Peine perdue. Au moment où Iggy tendit le poing vers elle, Hedony l'évita et reprit sa course en sens inverse.

Iggy poussa un juron, frappa le rideau de lames avant de se relancer.


« Kalevi ! Elle revient vers toi ! »


Hedony eut à peine le temps de regarder derrière elle que ce dernier apparut sur sa trajectoire. Surprise, elle changea de direction en sautant par-dessus des caissons vides, manqua de tomber, puis courut dans un nouveau rayon comme une forcenée.

Le Finlandais l'imita avec si peu d'habileté que son acolyte eut tôt fait de repasser devant en sautant au-dessus des encombrants avec souplesse.


« Veikko, tu es sûre que... ? commença Kalevi.
— Bon sang, grouille-toi ! » beugla Iggy en retour.


Les poumons en feu, la jeune femme remonta les marches quatre à quatre de la mezzanine. La porte rouge gronda sur ses gonds lorsqu'elle l'ouvrit. Hedony perdit quelques secondes précieuses car celle-ci s'écartait avec lenteur à cause de son poids, mais dès qu'elle put passer, elle franchit le battant à la hâte.


Où est cette putain de sortie ?


De retour dans les couloirs sombres, Hedony se précipita dans les différents tournants. Allant tantôt à gauche, tantôt à droite. Elle passa de nombreuses portes sans jamais trouver d'issue. L'entrepôt lui parut être un labyrinthe sans fin. Hors d'haleine, elle vit enfin un panneau indiquer une sortie de secours. Elle se rua dans la direction donnée, mettant toutes ses forces dans un dernier sprint. Ses bras en avant, prêts à pousser la porte en travers de son chemin. Au moment où elle atteignit le seuil, ses mains se posèrent brutalement sur sa surface dure, mais la porta resta close. Prise de court, Hedony se heurta contre celle-ci.


Aïe !


Les bras endoloris, elle grimaça. Son instinct lui dicta cependant de déguerpir vite. Elle secoua la poignée, tenta de pousser, de tirer... Mais la porte était condamnée. Des bruits de pas retentirent dans le couloir derrière elle. Même si elle avait peu de chance de réussir, Hedony tenta encore de baisser la poignée.


Vas-y, s'il te plaît !


Elle tapa du poing et du pied contre la porte. Encore, encore et encore.


« C'est ça que tu cherches ? »


Hedony respira lentement, le visage baissé, résignée. Elle avait failli... Elle était à nouveau à leur merci. Elle donna un dernier coup de pied de rage dans la porte, avant de se retourner vers son ravisseur. La silhouette sombre d'Iggy ressortait dans la faible lueur du couloir. Il tendit la main, faisant tinter un objet entre ses doigts.


« Je me disais bien que tu serais du genre à nous faire un coup fourré...
— Je ne vois pas de quoi tu parles... »


Derrière lui, la silhouette trapue de Kalevi apparut. De la façon dont il tenait son pantalon d'une main, Hedony devinait qu'il ne l'avait pas encore fermé.


« Veikko, on ne devrait pas...
— Ta gueule, Kal, t'a déjà assez merdé comme ça.
— Mais Jaco...
— Si elle se barre, Jacob viendra ici pour rien ! s'énerva le kidnappeur.
— Je sais, mais...
— Une fois qu'elle l'aura entendu, elle pourra partir. Mais elle doit d'abord l'écouter. C'est de ta faute si on en est là ! Même pas foutu de la surveiller correctement... »


Hedony les observa en reprenant son souffle. S'ils se disputaient, avait-elle encore une chance de filer entre leurs doigts ? Il devait bien y avoir un couloir qu'elle n'avait pas tenté de passer, non ?


« La... potion ne faisait pas effet, Veikko.
— Elle ne fait effet que si tu as envie qu'elle fasse effet, créin ! pesta le deuxième Finlandais.
— J'ai pas envie de voir votre Jacob de mes deux », les interrompit-elle.


Veikko, qui avait attrapé son acolyte d'une poigne ferme, reposa son attention sur elle.


« Ecoute ma mignonne, tu as le droit de me détester. Mais j'avais pas envie de laisser passer notre chance de t'en parler ce soir. On va retourner sagement dans l'autre pièce et attendre Jacob. Il est en retard, mais je ne doute pas qu'il arrivera bientôt. »


Hedony serra les poings. Cet homme lui sortait par les trous de nez. Déjà par son air suffisant, sa manière de donner des ordres à Kalevi et imposer son point de vue. Le suivre en dehors de la boîte de nuit a été son erreur la plus monumentale.


« Une fois encore, j'en ai rien à foutre de votre Jacob ! » dit-elle en haussant la voix.


Elle courut vers eux, tel un bélier, prête à jouer des coudes et à mordre ce qui lui passerait devant le visage pour forcer le passage. Il ne lui restait que deux mètres avant de les atteindre quand Veikko dégaîna une arme à feu qu'il pointa directement sur elle.


« Stop ! »


La jeune femme se figea sur place à la vue du pistolet, et au regard interloqué qu'affichait Kalevi, elle supposait qu'il était tout aussi étonné qu'elle.


« C'est fini, maintenant. On retourne dans la pièce et tu te tiens à carreaux. »


Échec et mat, pour de bon. D'un mouvement avec son arme, Veikko désigna le couloir derrière lui. Plus d'autre choix que de le suivre...

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