3.2. Otage

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Les yeux fermés, Hedony voyageait dans le temps, d’une époque à l’autre et d’une vie à l’autre. Une seule chose ne changeait pas : elle était toujours plongée dans la peau d’un homme. De l’existence d’un simple cerf au destin d’un grand monarque, les situations variaient. D’une certaine manière, car encore une fois, un détail demeurait dans chaque vision. Une femme, il y avait toujours une femme…

« Mon Seigneur, nous avons un problème ! » héla une servante.

L’hôte d’Hedony qui ne cessait de faire les cent pas dans le couloir de pierres s’arrêta net. Son visage inquiet se leva pour fixer la domestique.

« Qu’y a-t-il ?
— Votre enfant va bien, mais votre femme perd beaucoup de sang. Elle s’affaiblit à vue d’œil. »

Sans attendre, le suzerain rentra dans la chambre de l’accouchée. Les flammes du feu léchaient la cheminée, berçant la pièce d’un fumet cendré. Des tissus avaient été tendus autour du lit pour préserver sa femme du froid et, dans un coin de la chambre, le nouveau-né braillait dans les bras d’une tante qui le berçait. Le seigneur en fit abstraction et se plaça au chevet de sa dulcinée.

La matrone changea l’éponge, l’imbibant d’une eau tiède, et la replaça sur le front de la souffrante.

« Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qu’elle a ? » s’angoissa le noble.

La sage-femme baissa les yeux, silencieuse, et le suzerain comprit. Il passa une main sur la joue de sa femme qui gémit à son contact.

« Que tout le monde sorte, imposa-t-il à la flopée de femmes dans la pièce.
—Tout de suite, mon Seigneur, opina une femme de chambre.
— Mais ! » voulut contester la tante alors qu’une servante la poussa à sortir.

La porte se referma alors en grondant. Le noble était seul avec sa femme. Il continua à l’observer, serra la paume de sa main et caressa sa joue de l’autre. Faiblement, sa femme tourna la tête vers lui. Ses yeux azurés s’ouvrirent pour le regarder. Elle ouvrit lentement la bouche pour parler.

« Chut, ne dis rien, ça va passer…
— À… tout jamais… réunis… mon amour, murmura-t-elle.
— Non, s’il te plait, pas de tout de suite… »

Il voulait qu’elle reste avec lui. Elle ne pouvait pas partir ainsi, aussi rapidement. Ils s’étaient à peine trouvés… Deux ans de mariage, c’était trop peu. Mais elle refermait déjà les yeux. Sa main serra la sienne avec ses dernières forces, avant de lâcher son dernier souffle.

« À tout jamais réunis, mon amour », sanglota le seigneur, désemparé.

Troublée par cette énième vision, Hedony remua sur sa couchette. Elle vaquait désormais entre le sommeil et la conscience. Des images se fondaient les unes dans les autres. Des épisodes courts, saccadés et tous plus dramatiques les uns que les autres l’assaillaient sans cesse. Mais à travers l’épaisse brume de ces hallucinations, elle percevait aussi la légère odeur de renfermé et de sueur qui exhalait de son lit d’infortune.

« Assez ! » marmonna-t-elle en se retournant sur le matelas.

Roulée en boule comme un fœtus, elle grogna, gémit et bougea les bras comme pour tenir ces cauchemars à distance. L’instant d’après, elle revoyait la scène de la sorcière sur le feu avec effroi. Ce souvenir qui lui revenait le plus souvent et qui la hantait plus particulièrement. À chaque fois, Hedony discernait des détails supplémentaires, et à chaque fois, son hôte analysait la situation de manière plus poussée. Hedony avait même perçu le piaillement des mouettes, les ragots de la foule qui s’éloignait, sans oublier le regard amusé de l’homme en noir, le même qui avait récité les paroles en latin. Ses yeux pareils à l’opaline, d’un bleu glacial, l’avaient fixée et transpercée avec une haine profonde. Une expression et un regard inoubliable, dont l’intensité fit sursauter Hedony sur son lit.

Peu à peu, le brouillard dans son esprit se dissipa et la douleur à l’arrière de son crâne l’accabla. Elle se permit d’ouvrir les yeux par intermittence pour regarder autour d’elle. À chaque mouvement qu’elle faisait, les cordes mordaient ses poignets et ses chevilles, ce qui lui tirait de nouveaux geignements et la ramenaient dans cette réalité terrifiante. Ses mésaventures n’étaient pas le fruit de son imagination, mais elle était trop affaiblie pour chercher une issue. Pour l’instant.

« Je m’inquiétais pour toi. » avoua Kalevi sur sa chaise.

La pièce tanguait encore autour d'Hedony, mais elle tourna la tête vers son ravisseur pour vérifier la sincérité de ses propos. Le Finlandais avait une mine contrite.

« Libérez-moi, s'il vous plaît, tenta-t-elle.
— Tu ne perds pas le nord, toi… dit-il doucement. Tu as bien failli m’avoir... si Veikko n'était pas arrivé à ce moment-là... »

Sa voix était paisible, bienveillante lorsqu'il parlait. Il ne semblait pas lui jeter la pierre, il partageait simplement ses constatations.

« Je veux rentrer chez moi… supplia-t-elle en se tortillant sur son matelas pour se redresser vaille que vaille.
— Est-ce que tu te souviens ? changea-t-il de sujet, désormais intrigué.
— De quoi ?
— De tout… »

Hedony soupira. Elle peinait déjà à suivre la conversation, alors s'il communiquait à demi-mot, c'était peine perdue.

« Je t’en prie, libère-moi. Promis, je ne dirais rien…
— Jacob est en retard, mais il ne devrait plus tarder, reprit-il comme s'il ne l'avait pas entendue.
— Kalevi, s’il te plait. »

Le ravisseur se grandit sur sa chaise. Une lueur d'espoir brilla dans ses yeux.

« Tu te souviens de mon nom ? » s'enquit-il avec enthousiasme.

La jeune femme fronça les sourcils. Bien sûr qu'elle s'en souvenait, elle avait entendu Iggy le dire un peu plus tôt.

« Oui… répondit-elle prudemment.
— Mais pas du reste ? »

Hedony hésita... Devait-elle mentir en inventant une histoire ? Mais la perche était trop belle pour ne pas la saisir.

« Quel reste ? La partie où vous m'avez kidnappé ou celle où vous avez parlé de comment me tuer ?
— On ne veut pas te tuer, Hedony, soupira-t-il.
— Alors libérez-moi putain… »

Elle tapa ses poings contre la mollesse du matelas, cachant la fatigue de son visage en l'enfouissant entre ses bras. Un léger silence s'ensuivit, sur lequel enchaîna finalement Kalevi.

« Si tu promets d’attendre l’arrivée de Jacob et que tu l’écouteras, c’est d’accord… »

Libération ! Hedony se sentit soulagée d'un poids énorme, il suffisait de faire la pauvre fille en détresse. Son ravisseur était un coeur tendre, elle s'en doutait, elle ne s'y était pas trompée.

« Tout ce que tu voudras, retire-moi ces cordes… »

Elle poussa sur ses mains pour se rassoir et Kalevi s'agenouilla devant elle.

« Promets-le-moi, d’abord. »

Il avait un air si solennel en disant cela, remarqua Hedony. Pensait-il réellement qu'elle resterait ici à attendre l'arrivée des renforts ? Peut-être que toute cette conversation n'était qu'une ruse. La mettre à l'aise, avec un homme qui semblait réellement gentil, pour ensuite mieux la brutaliser. Elle en frissonna.

« Je... je te le promets.
— Très bien. »

Kalevi lui sourit et se rapprocha encore. Son malaise était cependant palpable. Ses gestes étaient hésitants, maladroits. Il se dépêcha de défaire le lien sur ses poignets, puis releva les yeux vers le visage de sa captive. Il fut comme happé par ses prunelles aventurine. Hedony ne doutait pas qu'en tendant l'oreille, elle aurait pu percevoir le battement erratique de son coeur. Il déglutit et loucha alors sur ses lèvres.

« Je… Je peux ? » bégaya-t-il.

Voilà où était son talon d'Achille comprit la brune. Il était attiré par elle et leur proximité tendait à réduire ses barrières. Elle n'avait rien à perdre à tenter le coup. Elle posa un doigt sous le menton du finlandais et approcha sa bouche de la sienne.

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