8. Interférence

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Hedony n'en revenait pas, elle avait été à deux doigts de retrouver sa liberté. Il lui aurait suffit d'un rien... Ou que son ravisseur ne soit tout simplement pas armé. Elle bouillait intérieurement. Désormais, elle avançait dans les couloirs sordides de sa prison. Le pistolet dans son dos la poussait toujours plus en avant.

Ils bifurquèrent une dernière fois sur la droite quand une voix au loin s'ajouta à l'écho de leurs pas sur le bitume.


« Veikko ? Kalevi ? »


La jeune femme fronça les sourcils et, inconsciemment, ralentit ses pas. Le canon de l'arme s'enfonçant dans sa chair la rappela à l'ordre.


« Continue d'avancer », chuchota son bourreau à l'oreille.


Elle obtempéra et serra les poings, fixant l'obscurité au bout du tunnel. Sans même voir le nouvel arrivant, Hedony devina qu'il s'agissait du tant attendu Jacob. Celui-ci sortit de la pièce qui lui avait servi de cellule, une corde à la main. Il semblait préoccupé par la présence des liens lorsqu'il releva la tête vers eux.


« Ha ! Vous voilà ! Veikko, Kalevi... »


Il prit alors le temps de regarder la captive pendant qu'il les rejoignait.


« Et Hedony... »


Jacob baissa alors la tête en signe de salutation. Il avait l'air affable, gentleman... L'image qu'elle s'était faite de lui ne correspondait pas. Hedony avait imaginé Jacob comme un homme à l’allure puissante, viril, à l’œil mauvais et suspicieux, un homme qu’elle pourrait détester à la seconde où elle le verrait, mais la personne qui s’était arrêtée devant elle n’était en réalité qu’un quinquagénaire habillé aussi simplement qu'un père de famille. Il portait un manteau rouge et un pantalon de coton beige. Ses cheveux grisonnaient sur ses tempes et son visage arborait la fatigue des années passées. Tout son être transpirait la douceur et la sagesse. Il n’avait rien d’un brigand ou d’un assassin.

Hedony se demanda si les hommes mauvais devaient vraiment en avoir l'air. L'adage dit que les apparences peuvaient être trompeuses, elle se promit de rester sur ses gardes.


« Tu es devenue encore plus jolie que dans mes souvenirs... Je m'excuse de t'avoir fait attendre. »


Jacob voulut prendre sa main, mais la jeune femme la recula aussitôt, suspicieuse. Le quinquagénaire ne parut pas s'en offusquer, mais son regard s'attarda sur ses acolytes plus durement.

Le contact froid du canon dans le dos d'Hedony avait disparu. Elle comprit que Veikko venait de rengainer discrètement son arme.


« Je peux savoir ce que vous faisiez avec ces cordes ? »


Jacob prit un air sévère.


« Et pourquoi... ses poignets sont rouges ? » continua-t-il en la désignant.


Hedony ne sut pas où se mettre. Si elle devait s'échapper maintenant, la laisseraient-ils partir ?


« Je me tue à essayer de lui dire... commença à expliquer Kalevi.
— Ta gueule ! invectiva Veikko. J'ai fait ça uniquement parce que...
— Je ne veux rien savoir ! » le stoppa Jacob en levant la main.


Son regard était devenu sombre.


« Comment avez-vous oser ? C'est notre invitée, pas notre prisonnière ! s’offusqua Jacob.
— C'est ce que je lui avais dit ! », répliqua encore Kal'.


Jacob ferma les yeux et leva le menton. Tout ce qu'ils diraient ne l'attendraient pas. Avec une grimace de dégoût, il jetta ces mots d'un revers de la main avant de reposer son attention sur Hedony. Elle était en train de se frotter les poignets, se souvenant de la morsure des cordes sur sa peau. Jacob lui renvoya une expression à la fois ennuyée et bienveillante pour la rassurer.


« Je suis sincèrement désolé... Je n'imaginais pas qu'ils seraient rustres à ce point... »


Il posa une main sur son épaule. Hedony frémit, mais ne s'écarta pas.


Qui ne tente rien n'a rien, tu as peut-être ta porte de sortie avec lui, pensa Hedony.


« J'aimerais y aller alors, s'il vous plaît. Cette comédie a assez duré pour moi...
— Il fallait s'en douter », soupira Jacob.


L'homme passa une main sur son visage, agacé par cette situation.


« Ils ne t'ont rien fait de mal, au moins ? s'enquit-il en lançant un éclair à ses partenaires. Tu veux à boire ? À manger ?
— Non merci, je veux juste partir. »


Les épaules de Jacob s'affaissèrent en un souffle.


« Je comprends... Nous aimerions juste te parler d'une chose, lui avoua-t-il, tu veux bien ? »


Hedony croisa les bras pour se réchauffer. L'adrénaline dans son corps s'estompait et elle sentait à nouveau l'air glacial glisser dans ses vêtements.


« Elle a pris quelque chose ? » demanda Jacob à ses hommes en posant une main sur le front d'Hedony.


La jeune femme le repoussa froidement, le visage dépité.


« Oui, elle a acheté des amphets à quelqu’un, répondit Veikko.
— Mais allez vous faire foutre ! Je m'en vais, et pour de bon ! »


Elle se retourna, mais Veikko se mit en travers de son chemin avec son torse musclé et ses larges épaules.


« On ne te retiendra plus longtemps, Fedor, précisa Jacob.
— Pardon ? s'énerva Hedony en dévisageant le quinquagénaire comme s'il venait d'une autre planète.
— Tu ne te souviens pas de nous ?
— Putain ! Mais d'où est-ce que je vous connaîtrais d'abord ? »


Hedony fronça les sourcils. Avait-elle rêvé ? Avait-il vraiment posé cette question ? D’où pouvait-elle se souvenir d’eux ? L’agacement se lut sur ses traits, mais son interlocuteur sourit malgré sa déception.


« Désolé, c'est visiblement encore trop tôt. Abel. Abel était ton premier nom.
— Excusez-moi, mais je ne comprends rien à votre charabia. »


Elle secoua la tête comme pour effacer ces paroles de sa mémoire et força le passage vers la sortie. Veikko se remit dans son chemin et elle buta contre lui. Elle souffla, désirant contenir la colère sourde qui enflait lentement en elle.


« Tu n’as pas encore recouvré la mémoire, c’est normal que tu ne te souviennes pas, continua Jacob. Nous aurions dû te laisser plus de temps, tu vas seulement prendre conscience maintenant. »


Hedony fixa Veikko, ses yeux pareils à des lance-flammes lui sommaient de dégager de son chemin. Le jeune homme resta de marbre, son visage portait un air grave et circonspect. En tournant la tête, la brune croisa le regard de Kalevi. Son coeur se serra en voyant la mine attristée qu'il arborait. Son front plissé traduisait une sorte de supplication à laquelle elle eut du mal à se détacher et fit s'envoler sa mauvaise humeur. Elle le dévisagea un instant, laissant tomber ses bras le long de son corps. Hedony sentait comme un pont entre leurs deux âmes, comme un profond chagrin qu'ils partageaient tous les deux.


« Je dois être en train d’halluciner, ce n’est pas possible… dit-elle en fermant les yeux. Je vais me réveiller, et tout ça n'aura été qu’un mauvais rêve… »


Un mouvement derrière elle l'avertit que Jacob se rapprochait. Des doigts s'immiscèrent dans sa main gauche.


« Tu sens ma main sur la tienne, tout ça est réel. Tout comme ce que je te dis. Ne crois pas, parce que ton esprit est embrumé par la drogue, que tu es en train de rêver. Crois-le ou non, mais la vérité viendra à toi un jour ou l’autre. Et là, tu ne pourras que l’accepter tellement elle sera devenue évidente. Maintenant que je te vois, j’en suis sûr, je ne peux pas me tromper. Tu as les mêmes yeux que lui, la même profondeur d’âme… Il a toujours été très terre à terre et difficile à convaincre.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez. Si ce n’est pas moi qui hallucine, alors c’est vous qui délirez. Vous avez dû fumer la moquette, c’est pas possible autrement. »


Elle aurait voulu le crier, les rabrouer avec audace et assurance que ce qu'ils racontaient n'étaient que pures affabulations, mais sa voix restait atone. Il y avait un rien, un petit quelque chose là-dedans qui semblait vrai.

Hedony se tourna face à Jacob, perplexe. Jacob croyait ce qu'il disait. Sa posture posée, son sérieux, son calme... Ses yeux la sondaient avec l'espoir qu'elle comprenne.


« Nous avons besoin de toi », lui avoua Jacob avec sincérité.


Déroutant. Tellement déroutant qu'Hedony en lâcha un rire nerveux.


« Ce ne sont que des supercheries... Vous vous foutez royalement de moi ! C'est quoi toutes ces conneries ? » balança-t-elle en levant les bras.


Indignée, sa voix avait repris un ton de reproches.


« Vous avez besoin de moi ? Et quoi ? Vous me kidnappez et venez me dire, la bouche en coeur, que vous avez "besoin de moi" », insista-t-elle sur les derniers mots.


Les hommes restèrent de marbre, ou plutôt interdits, face à son ironie.


« Vous êtes vachement culottés quand même ! Me kidnapper et puis me demander de l'aide !  Y a un truc que j’ai pas capté ? Elle est où votre caméra cachée ? railla-t-elle, cynique.
— Ce n’est qu’un terrible malentendu, Hedony. Rien ne les excuse, j’imaginais qu’ils seraient plus diplomates… Mais c'est bien vrai. Sans toi... »


Sur ces mots, Jacob leva les mains en signe de reddition, mais Hedony n’était pas convaincue. Elle ne comprenait pas. Comment devait-elle se sentir ? Comment devait-elle réagir face à un tel discours ? Son ventre était noué par la peur, mais elle était suffisamment à l'aise et en colère pour pouvoir exprimer sa rancoeur face à ses ravisseurs. 


« Écoute, tu ne dois pas nous répondre de suite. J'espère très sincèrement que tu sauras nous pardonner pour ça, en temps voulu... on voulait que tu saches qu'on est là... Le jour où toutes les pièces du puzzle seront rassemblées... »


La jeune femme leva les yeux au ciel, partagée entre l'amusement et le mépris tant la sitation était absurde.

Mais bon sang, qu'est-ce qu'ils veulent vraiment ? se demanda-t-elle.

Ils l’avaient enlevée et demandaient maintenant qu’elle leur pardonne. Étaient-ils fous pour dire de pareilles sottises ?


« Ouais, ben c’est mort, votre aide vous pouvez vous la foutre là où j’pense. J’bougerai pas le petit doigt pour vous. »


 Elle recula d'un pas et son dos heurta Veikko. Sa voix, rauque et menaçante, vint chatouiller ses oreilles avec une sensation désagréable.


« Sois plus respectueuse quand tu lui parles... » grogna Veikko.

 Hedony l'ignora, bien qu'elle ravança d'un pas pour ne plus sentir sa présence dans son dos. Quant à Jacob, concentré sur la jeune femme, poursuivit son discours rocambolesque.


« Tu dois te poser beaucoup de questions. Et ce n’est certainement que le début. Tu te souviendras de choses que tu n’as jamais vécues, tu vas avoir des facilités étonnantes et innées pour certaines tâches… Ce n’est pas dû au hasard ou à la chance, Hedony. »


Trop. Cette histoire ne tenait pas la route. C'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. 


« Arrêtez. Stoppez votre baratin, j’en ai marre ! le coupa-t-elle. Vous devez être en manque pour inventer des choses pareilles ! Trouvez-vous quelqu'un, une passion. Consultez un psy, je ne sais pas moi !
— Hedony... Tu possèdes un pouvoir dont nous risquons d’avoir besoin. Et… Tu as cette force de caractère. On ne peut pas l’ignorer, si tu te bats à nos côtés, je sais que tu iras jusqu’au bout.
— Vous êtes fous, vraiment. Vous n'êtes... qu’une bande de cinglés... Des putains de décérébrés ! » 


Elle termina sa phrase comme si elle était désolée pour eux, comme si plus rien ni personne ne pouvait les aider à recouvrer leur esprit. Et c'est sur cette pensée qu'elle se décida aussi. Si ces fous ne la laissaient pas partir, la jeune femme trouverait un autre moyen. En y pensant, il y avait peut-être une fenêtre dans la pièce à côté de sa cellule. Elle bouscula Jacob et courut jusqu'au local en fin de couloir. 


Étonnés, les hommes se regardèrent avant de la suivre d'un pas pressé. 

Sans grande surprise, Hedony se retrouva coincée entre quatre murs. Aucune échappatoire. Son seul espoir résidait en une minuscule lucarne carrée à peine plus large qu'une balle de basket.


« Fais chier ! » jura-t-elle.


Le temps de ressortir, les trois hommes passaient l'encadrement de la porte. Piégée comme une biche devant les phares d'une voiture, la jeune femme recula jusqu'à sentir les briques froides contre son dos. 


« Je vous en supplie... Laissez-moi juste partir... » insista-t-elle, excédée.


La tête contre le mur, Hedony leva son visage vers le plafond. Elle retenait ses larmes. Le stress, l'angoisse, la crainte... Tout lui revenait en pleine figure. Et si tout n'était effectivement qu'une supercherie ? Lui faire avaler des salades pour ensuite l'égorger... Aucun ne voulait la laisser partir. Elle restait là, bloquée dans une usine désaffectée, contre son gré... 



« On n’a pas fait tout ce chemin pour que tu rentres chez toi comme si de rien n'était et que tu te tapes des mecs par dizaine comme on t'imagine bien capable de le faire. »


La brune reconnut la voix de Veikko. Elle attendit, immobile.


« Tu dois nous croire. On est certainement pas les seuls à s'intéresser à toi... » continua le Finlandais.


Hedony ricana. C'est sûr, des mecs lourds, elle en connaissait. Alors il n'y avait rien de moins vrai sur le fait qu'on s'intéressait à elle. À se demander parfois comment elle faisait pour les attirer tous ainsi... et d'avoir eu la malchance de tomber sur lui. 

Veikko serra les poings en l'entendant rire.

« On peut t'expliquer ces visions que tu as eues... Elles ne sont pas anodines.
— Il n’y a plus rien à expliquer. C'est juste des hallucinations. C'est pas rare quand on prends des drogues... Mais moi, au moins, je garde mes pieds sur terre. Je vais trouver un moyen de dégager d'ici et retourner vivre ma vie parfaitement normale... Puis espérer oublier ce mauvais moment. Et si je vous revois, j'vous jure que ça va barder. »


Les joues humides, elle affrontait désormais les trois hommes du regard, un à un. La mâchoire carrée de Veikko se crispa sous l'effet d'une colère grandissante.  


« Tu as toujours ton mot à dire, n'est-ce pas ? s'irrita Veikko.
— Bien vu l'artiste. Il t'en a fallu du temps pour me cerner ! cingla Hedony en retour.
— Veikko ! prévint Jacob, voyant la situation se déteriorer.
— Tu n’es qu’une…
— Qu’une quoi ? Vas-y, dis-le ! Qu’une connasse ? Et toi alors ? Tu oserais me faire la morale  ? Salopard ! »


Le finlandais explosa. Il réduisit la distance qui la séparait d’elle et empoigna son tee-shirt comme s’il voulait la soulever. La jeune femme se débattit dans ses bras, essayant de mordre le bras qui lui comprimait la poitrine.

«  Moi, moi, moi ! singea Veikko. Il y en a jamais que pour toi ! Tu te prends pour le nombril du monde ? » hurla-t-il.


Ce dernier immobilisa son corps chétif contre le mur en barrant sa gorge avec un bras. Hedony, le visage déformé par la rage, le provoqua qu'encore plus.


« La prochaine fois que tu m'engueules, évites de me postillonner dessus, ça risquerait de gâcher tout mon brushing... »


L'avant-bras de Veikko se fit plus pressant sous sa gorge, donnant plus de difficultés à Hedony pour respirer. 


« Vas-y... Tu... Tue-moi. Si c'est ce que tu veux, réussit-elle à articuler, le défiant jusqu'au bout.
— Ce serait avec plaisir , chuchota-t-il en retour.
— Veikko ! » le rappela Jacob, furieux.


Veikko grimaça. Dans un soupir, il décida de la relâcher. Mais au moment où son bras retomba, une nouvelle voix tonitrua dans le local.


« Mains en l’air ! Tout le monde les mains en l'air ! »

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