140.4 - Le début d'une nouvelle ère

7 minutes de lecture

— C’est vrai, répondit enfin le vieux mage. Mais souviens-toi que je n’avais aucun contrôle de mes faits et gestes avec Thanatos aux commandes. Après sa mort, j’ai pensé qu’il valait mieux taire cette affaire, car je ne voulais pas créer une ambiance anxiogène parmi nous. Même si j’avais voulu l’empêcher de faire du mal à son fils adoptif, je n’aurais pas pu le faire.

— Alors c’est ce qui t’a poussé à collaborer avec Troyd, lors de la guerre ? Par culpabilité ? Avec toutes les horreurs qu’il a commises… je ne comprends pas.

— S’il est devenu comme ça, c’est en partie ma faute. J’ai été trop faible pour repousser l’influence de mon ancien maître, de mon esprit. Hélas, même en tant que vassal de Thanatos, je n’approuvais pas tous les faits et geste de ton oncle. La destruction d’Aeglys m’a sauvé d’un lourd fardeau. J’ai eu de la chance qu’Hypnos soit près de moi, quand c’est arrivé. C’est grâce à lui si je suis toujours là.

Flint hocha la tête, alors que son mari rentrait dans leur chambre.

Gabriel avait retrouvé sa silhouette habituelle, bien avant d’être enceint.

Celui qui avait voulu connaître la joie de donner naissance à ses bambins avait aimé son expérience, mais il se souvenait encore de la fameuse journée où il avait accouché… Il y repensait souvent, même.

TUEEEEEEZ MOIIIIIIIIII ! avait-il hurlé, de sa grosse voix virile, alors qu’il était allongé sur le lit de l’infirmerie. JE VEUX MOURRIRRRRRRRRRR !

L’anesthésie n’avait pas fonctionné, apparemment. La dose n’avait pas été assez puissante pour l’endormir lors de sa césarienne. Cassandra avait grondé l’anesthésiste qui commençait à peine le métier. Cette scène avait provoqué la panique générale et l’excitation chez Flint qui avait admiré son mari, en plus de filmer tout l’accouchement pour ses parents.

Au bout d’une heure et demie, tous les bébés avaient été délivrés, en parfaite santé. Les quatre nouveaux poupons faisaient la fierté de leurs parents et étaient chouchoutés par presque tous les membres de la Septième Brigade. Gabriel n’avait conservé aucune cicatrice, grâce aux talents de l’elfe.

En ce moment, Gabriel portait un biberon vide qu’il avait fait boire au petit Matteo, juste avant sa sieste. La chambre des bébés était aussi celle de leurs parents. Le colosse passait la majorité de son temps avec eux, désormais, quand il ne travaillait pas au réfectoire. Il n’avait jamais été aussi épanoui de toute sa vie. Cependant, il ne pensait pas recommencer cette expérience de si tôt.

Accoucher de quatre bébés d’un coup l’avait assommé.

Gabriel sursauta lorsqu’il vit les anciens traits de son créateur, assis là où devait se trouver son fils. Il avait déjà compris de quoi Flint et lui discutaient, puisqu’Artael lui en avait parlé, ce matin-même, en même temps que son mari. Il avança donc vers eux, une main dans sa poche de jean et le visage assombri. Il posa le biberon sur le pupitre de Randell et fixa son partenaire de vie, peu impressionné.

— Nous ne sommes vraiment pas obligés de faire ça, tu sais ? fit Gabriel qui s’adressa à Flint. Randy a déjà vécu son lot de tragédies.

— Ne t’en fais pas pour moi, papa, répondit le vieux mage. Il a raison de s’inquiéter. Après tout, Virgile a bien essayé de s’en prendre sa fratrie. Ce que Troyd a dit est vrai. Il les a protégés quand tu dormais ou que tu étais occupé. Il a gardé ce secret trop longtemps, je dois dire.

— Mais… pourquoi n’a-t-il jamais rien dit ?

— Je l’ignore… c’est une chose que Troyd a emporté avec lui dans sa tombe… ou plutôt, sa nouvelle vie. Tout ce que je sais, c’est que je suis coupable de sa démence par l’intermédiaire de Thanatos. J’aurais pu l’aider, si on ne m’avait pas possédé…

— Non. Ce n’est pas de ta faute, répliqua Flint. Le dieu qui se servait de ton corps agissait pour ses propres intérêts, alors que toi tu ne voulais que retrouver ta famille. Tu n’es pas responsable des actes de mon oncle. Par contre… j’ai l’impression que nous l’avons tous abandonné alors qu’il avait besoin de nous.

— Il a quand même tué Nash, grogna Gabriel.

— Je sais ! Mais cela ne m’empêche pas de culpabiliser. Il souffrait en silence.

Randell haussa les épaules et prit une grande respiration.

— Malheureusement, mes chers parents, ce sont des choses qui arrivent. Nous ne pouvons rien y faire, autre que ne jamais répéter cette erreur avec nos proches.

— Troyd a quand même essayé d’agresser Lucas quand nous étions adolescents, remarqua Flint. C’est à cause de lui que nous avons perdu mon frère.

Le mage secoua la tête.

— Non. Il s’agissait de Virgile sous l’apparence de ton oncle. Ton grand-père s’y connaissait en potions. Il n’a eu besoin que d’un seul cheveu de Troyd et cela lui a permis de se transformer.

— Et comment se fait-il que tu saches tout ça ?! formula le capitaine, choqué. Tu étais son complice pendant de nombreuses années…

— Tu as déjà toutes tes réponses, papa…

Dégoûté, Flint fit les cents pas dans la chambre de Randell. Son fils et son époux l’observèrent pendant un moment. Quand il réfléchissait, il valait mieux ne pas l’interrompre. Au bout de quelques minutes, Gabriel s’adressa au vieil homme.

— Ça a dû être une expérience horrible de ne pas être en contrôle de ton corps, dit-il. J’imagine que tu voulais tout nous dire, n’est-ce pas ?

— Bien sûr… je mourrai à petits feux de l’intérieur, chaque fois que j’étais témoin des agissements horribles de ces hommes. Mais Thanatos s’en fichait. Il ne voulait qu’agrandir notre armée de clones… Et évidemment, Troyd était notre cobaye idéal, puisque son physique avantageux était parfait pour cette expérience…

— Oulalah, Randy…

Gabriel frôla la joue du vieux mage, pour lui démontrer son affection. Ce dernier avait les yeux larmoyants et prenait la main de son père. Il rajeunissait tout doucement, pour devenir un jeune adulte, puis un adolescent. Une fois redevenu un préadolescent, il sauta dans les bras du colosse et éclata en sanglots.

Flint commençait à s’en vouloir d’avoir éveillé ces mauvais souvenirs chez Randell. Il s’approcha de son époux et prit son fils dans ses bras.

— Je ne veux plus revivre tout ça ! hoqueta le garçon. Je ne suis plus cet homme…

— Je sais… répondit le grand blond. Tu es notre fils. Je suis désolé.

— Peut-être qu’on devrait changer ton prénom ? suggéra Gabriel. À force de t’appeler Randy ou Randell, tu dois te sentir mal à l’aise…

Le garçon hocha la tête et prit la main de son gros père qui le regardait avec tendresse. Il était temps pour le couple de décider comment ils appelleraient leur fils. Il lui fallait un nom propre qui ne soit rien qu’à lui, qui soit l’objet de toute leur affection.

Ce fut à cet instant qu’un éclair traversa l’esprit de Flint.

— Mmm… Je crois que j’ai le parfait prénom pour toi ! Que penses-tu de Chris ? C’était celui de ton véritable père, dans le monde des ténèbres.

— Tu… tu connais son prénom ?! s’exclama le petit garçon, émerveillé.

Il se mit à pleurer de plus belle. Flint hocha la tête et posa sa main sur son épaule.

— Oui… Nous avons lu son journal et vu quelques vidéos de son partenaire Thomas et lui, reprit le blond. Il a tenté de refaire sa vie après que ta maman et toi êtes partis… mais bon… je comprendrais si tu voulais quelque chose de différent.

— N… non ! couina son fils. Je veux garder ce prénom… Il est parfait pour moi !

— Le nom de mon grand-père ? remarqua Gabriel, ébahi. Eh bah… pourquoi pas ? Je crois qu’on n’aurait pas pu trouver mieux. Christopher Ryan Markios ou un truc dans le genre ? Ça aurait du style, avouez-le.

— Nan, nan, nan ! rouspéta Flint. Chris tout court. C’est plus mignon comme ça.

— J’ai un nouveau prénom ! brailla l’enfant, ému par la décision de ses parents.

Le couple avait compris que pour le jeune mage, c’était comme s’il revenait à la vie, encore une fois.

Ainsi donc, Randell était devenu de l’histoire ancienne. Ils venaient d’enterrer cet homme pour de bon. Plus jamais il ne reviendrait hanter l’esprit de ce pauvre enfant qui ne souhaitait qu’une chose : vivre une expérience paisible aux côtés de ses nouveaux parents. À partir de ce jour, il porterait le nom complet de Chris Markios ; une nouvelle identité qu’il avait tant recherchée.

Le garçon essuya ses yeux et enfouit son visage contre le torse de son gros père. Il se sentirait toujours en sécurité, dans ses bras.

— Maintenant, va falloir qu’on avertisse tout le monde et qu’on change quelques trucs dans la base des données, mais je crois que ça fera l’affaire, expliqua Flint à son époux. J’ai hâte de voir la tête des autres lorsqu’on va leur faire la nouvelle !

— Et comment ! s’exclama le colosse. C’est comme si on donnait naissance à notre sixième enfant ! Enfin… on se comprend.

Flint lança un regard incrédule à son mari et finit par rigoler. Ce fut à cet instant qu’ils entendirent des pleurs, depuis leur chambre. L’un des bébés s’était encore réveillé.

— Mince, Darius a sûrement besoin que je lui change sa couche ! soupira Gabriel.

Annotations

Vous aimez lire TeddieSage ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0