140.2 - Le début d'une nouvelle ère

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Nash était assis au bar du réfectoire du vaisseau depuis plus d’une heure. Après la mort de Troyd, il avait décidé de rester à l’écart des autres afin de réfléchir. Pour la plupart d’entre eux, ce qu’ils avaient vécu étaient des hallucinations corrompues de leurs passés, qu’ils avaient déjà oubliés. Pour lui, c’était un souvenir bien enfoui de sa vie privée qui était revenu au grand jour. Son frère l’avait forcé à revivre ce cauchemar : celui de son alcoolisme. Un détail que plusieurs de ses amis les plus proches n’avaient jamais connu avant cet incident et dont il était peu fier.

Le châtain fixait une bouteille remplie de vin avec la ferme intention de résister. Plusieurs années s’étaient écoulées depuis son dernier verre. Tout ceci n’était plus qu’un vague fragment de son passé pour lui, mais il se souvint des nombreuses nuits passées dans sa chambre, à pleurer, où il n’avait fait que boire en silence. C’était bien avant la formation de la Septième Brigade. Il n’y avait qu’Artael et le Père Shalom qui avaient été mis au courant, dans cette période de sa vie, ainsi que quelques membres des alcooliques anonymes de Baldt.

Troyd avait réussi à lui faire revivre tout ça, six mois plus tôt. Et depuis ce jour, il travaillait dans son coin et se fermait de plus en plus à ses proches. C’était comme s’il avait rechuté dans la dépression… Non, il avait carrément fait une rechute, seulement il était dans le déni. Il ne savait pas comment gérer toutes ces pensées et toute cette honte. Pour lui, l’alcool avait été une échappatoire à son anxiété maladive. Il avait refusé de se faire traiter, jusqu’à ce que tout éclate durant la rébellion, en octobre et novembre 3913 AD. Pour lui, ça faisait maintenant sept ans qu’il était sobre…

Il se souvint que Shayne l’avait une fois écouté alors qu’il conduisait la calèche, lors de sa plus grosse crise. Repenser à tout cela lui donnait envie de boire un verre. Il voulait oublier. Ses antidépresseurs ne l’aidaient plus tellement. Sa dose n’était plus assez suffisante pour lui. Il n’arrivait même plus à se confier à qui que ce soit, comme s’il se sentait pris au piège, dans ses propres pensées. Il refusait même de se confier à Monsieur Plante, son ancien thérapeute. Il n’avait pas envie qu’on fouille encore une fois dans son cerveau, mais il n’avait plus le choix… Il avait besoin d’aide.

— Troyd se faisait abuser et je n’ai rien fait… marmonnait celui-ci pour lui-même, qui prit les bordures du comptoir. Comment ai-je pu ne pas m’en apercevoir… ?

Nash prenait très mal d’avoir participé à l’exécution de Troyd, six mois plus tôt.

Il avait beau s’en vouloir ; ce n’était vraiment de sa faute. Les problèmes de son frère aîné avaient commencé bien avant que Nash soit assez âgé pour pouvoir travailler. Une chose qui étonnerait toujours le châtain, c’était que Troyd avait même protégé leurs neveux de potentielles agressions. Son frère n’avait rien d’un saint et il ne le serait jamais… Cependant, Nash le voyait sous un nouvel angle. Tous ça lui brisait le cœur. Il savait qu’il ne le reverrait plus jamais, mais il savait aussi qu’il avait failli à son devoir de veiller sur sa famille. Combien de fois Troyd avait-il voulu s’enlever la vie ? Il avait enfin compris qu’ils avaient tous deux vécu des moments suicidaires.

Ils auraient pu échanger, s’entraider… Mais non… le jumeau d’Artael avait opté pour le silence et la colère.

— Ce n’était pas de votre faute, Nash, dit la voix de Cerbère, près de sa hanche. Votre frère n’a fait que ce qu’il croyait juste. Oui, il a fait d’horribles choses par la suite, mais je crois que nous devrions respecter ses dernières volontés. Depuis cet incident, le Conseil a été beaucoup plus prudent avec les prédateurs sexuels.

Le porteur hocha la tête et posa sa main sur la poigne de son épée. Bien sûr, il n’était pas vraiment seul puisque l’esprit ne le quittait jamais. Le doberman de la lumière et des ténèbres avait détecté la détresse de son maître tout de suite après qu’il fut sorti de l’incubateur. Il l’avait suivi dans une salle vide où ils avaient eu une conversation après qu’on l’eut examiné. Nash avait été en état de choc ce jour-là et n’avait souhaité voir personne. Cerbère avait réussi malgré tout à s’approcher de lui et de garder silence, alors que ce dernier lui avait caressé la tête.

— J’aurai pu l’aider, si j’avais su… marmonna Nash. Il souffrait comme moi…

— Peut-être… mais il ne voulait pas se soigner. On ne peut pas soigner quelqu’un qui refuse ce genre de traitement professionnel… ni de se confesser…

— Je suis en partie responsable de l’avoir transformé en monstre. Il aurait pu être l’un des nôtres, mais j’étais trop aveuglé par le fait de prendre soin de Flint et des autres. Je n’ai pas vu sa propre détresse…

— Vous n’étiez que des enfants… Allons Nash... Vous ne pouvez pas tout prendre sur vos épaules. Je suis certain qu’il comprenait votre douleur. C’est peut-être pour ça qu’il a choisi de garder cet horrible secret, pour lui. Vous morfondre sur ce que vous n’avez pas fait n’est vraiment pas sain. Je crois que vous le savez mieux que quiconque…

— Oui, mais quand j’étais adolescent, j’aurai pu prendre soin de lui…

— Non. Ce n’était pas votre rôle. C’était à lui de prendre soin de vous, ainsi que votre père adoptif. Mais là, je commence à saisir la gravité de la situation…

— Il fallait bien que quelqu’un élève les quadruplés ! Artael était constamment occupé à nous dénicher de l’argent et s’assurer que nous ne manquions de rien… La seule figure paternelle que j’ai eue dans ma vie était le Père Shalom. Mais tellement de choses se sont déroulées depuis ces années… Pourquoi tout est si compliqué ?!

Nash donna un coup de poing sur le comptoir et soupira. Il s’allongea vers l’avant et se plia les bras devant lui. Ce fut à cet instant que la porte du réfectoire s’ouvrit. Un vieil homme s’avança, alors que Cassandra l’examinait d’un doux regard, derrière lui. Cet homme portait une soutane religieuse. Il s’était rasé la tête, mais avait toujours ce sourire bienveillant. Il faussa une toux. Le châtain se tourna et sursauta.

— Père Shalom ?! dit-il. Mais je… Vous n’aviez pas à vous déplacer pour moi…

— Je me disais bien que sa présence te ferait du bien, expliqua Cassandra, près de l’entrée. Je lui ai demandé de venir te rendre visite.

Cerbère était soulagé. L’initiative de la docteure permettrait peut-être à son porteur de soigner la plupart de ses maux. L’elfe sortit alors de la pièce. Elle voulait accorder un peu d’intimité pour Nash et son père. Le doberman reprit sa forme animale et décida de suivre la guérisseuse. Lui aussi désirait la même chose qu’elle.

Le châtain déglutit alors que le prêtre vint s’asseoir à côté de lui, sur un tabouret. Il reconnut alors son sourire et sa joie de vivre naturelle qui le rassurait tout le temps. Shalom n’avait pas tellement changé.

— Combien d’années se sont écoulées depuis ma mort ? dit Nash. On dirait que ça fait une éternité depuis qu’on s’est vu, vous et moi…

— Je l’ignore. J’ai arrêté de compter, pour être honnête avec vous. Je savais pourtant que nous nous reverrions, un jour.

Le prêtre mit une main compatissante sur l’épaule de son fils, pour lui montrer son soutien. Le pauvre guerrier ne trouvait pas les mots pour le remercier de sa présence, mais le vieil homme décida quand même de le réconforter comme lui seul savait le faire. Il se mit à lui parler des conversations chaleureuses qu’il avait eu avec les gens de leur paroisse avant sa mort, jusqu’à ce qu’il décide de lui dire :

— … mais quelle ne fut ma surprise lorsqu’Athéna en personne est venue me demander de servir son église ! Bénie soit cette femme. Je n’ai jamais été si heureux de toute mon existence ! Cette ville est tout ce dont j’ai rêvé. Et c’est aussi grâce à vous si je suis ici. Sans vous, le Saint Royaume n’existerait peut-être plus, tel qu’on le connaît… Votre présence ici est un miracle, mon enfant…

Nash éclata en sanglots, et plongea dans les bras de son vieil ami. Shalom lui fit une accolade et lui chanta une berceuse de son enfance. Pendant un instant, le châtain retourna à l’époque de ses cinq ans, où le prêtre prenait soin de lui, alors que Mère Agathielle allait bientôt partir pour Lanartis.

— J’aurais voulu que vous m’adoptiez, Père Shalom, dit Nash.

— Je sais… je l’ai déjà deviné au fil des années, mais vous étiez déjà adulte quand je me suis rendu compte de votre détresse. Cependant… voyez-vous… L’orphelinat avait beaucoup trop d’enfants. D’autant plus que mon statut ne me permettait pas d’adopter, légalement. Si j’avais su que le Président Knox était un tel monstre, je vous aurais trouvé de meilleurs parents !

Nash soupira. La tristesse qu’il ressentait semblait disparaître peu à peu. Entendre la voix du prêtre le rassurait. Il oubliait déjà la présence de la bouteille de vin. Il essuya ses larmes, puis se redressa sur son banc.

— Écoutez, mon enfant. Je ne peux peut-être pas réécrire votre histoire, mais sachez que vous serez toujours le bienvenu sous mon toit. Et qui sait… peut-être pourrions-nous aller camper et faire quelques parties de pêches ?

Le châtain cligna des yeux et gloussa.

— Des parties de pêches ? Je pensais que vous aviez peur de retomber dans le lac baldtien, après votre dernière chute !

— Oh, c’était il y a fort longtemps, mon ami… Mais j’ai toujours aimé le poisson… et il n’y a rien de mieux que de ramer un bon radeau au milieu de nulle part. C’est si relaxant que je me sens en communion avec la nature et notre déesse.

— Je me souviens de la dernière fois que vous m’en avez parlée. Un énorme poisson avait bousculé votre bateau et vous avez fait la plonge… Vous avez failli vous noyer, en plus. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

— Mmm… Disons que je vous aie jadis fait la promesse que nous irions pêcher ensemble. C’est maintenant ou jamais, de tenir à celle-ci !

— Cette promesse ? Mais j’étais encore tout jeune…

— Et alors ? Que font les pères et leurs fils à cet âge ? Ils vont camper et pêcher !

— Enfin, la plupart, si…

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