109.3 - La journaliste et le strip-teaseur

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Il remarqua qu’il avait une aiguille dans sa main, relié à une intraveineuse. Il détestait cette machine. Ce n’était pas la première fois qu’il était hospitalisé, mais il avait toujours horreur des aiguilles. Se retrouver dans ce corps aussi étrange avait été pour lui une expérience surnaturelle.

Flint souleva une partie du chandail de son époux et observa les abdominaux musclés qui n’avaient pas été recouverts par la prothèse.

— En tout cas, ton alter ego savait prendre soin de son corps… remarqua-t-il.

— Je le déteste, avoua Gabriel. Ma bedaine me manque.

— Dis-toi que ce n’est que temporaire. Avec tout le grabuge que les médias sociaux font sur mon roman et ce qui t’es arrivé hier, Perséphone va bien finir par nous remarquer. Il ne nous manque plus qu’à retrouver Estelle, Shayne et Lucas. Pour ce qui est des jumeaux, je vais devoir trouver une façon de m’approcher d’eux sans que Kylie me colle la police au cul… Disons que je n’ai pas fait une très bonne impression…

Le blessé cligna des yeux.

— Dois-je en déduire que tu as trouvé ta mère ? questionna-t-il.

Flint secoua la tête.

— C’est elle qui nous a trouvé, répondit ce dernier.

L’ex-golem tenta de se relever, mais gémit de douleur.

— Reste allongé, chéri, dit le capitaine. Je vais appeler une infirmière.

— Pas la peine de te lever, il y a un bouton près de moi… fit Gabriel.

— Ah bon ? C’est la première fois que j’entre dans un hôpital de ce genre… On n’a pas ces gadgets à notre infirmerie, non ? Ça serait pratique…

— Faudra demander à Luna et Cassandra, parce que je n’y connais rien en technologie, continua le colosse, très inconfortable sur ce lit d’hôpital. Par contre, j’ai déjà été hospitalisé pour un virus que j’avais choppé. Je suis resté coincé deux semaines avec plusieurs antibiotiques et je ne pouvais rien manger, tellement j’étais malade. Bref, c’était bien avant que je commence cette carrière.

— Étonnant… toi qui n’es jamais malade…

Gabriel haussa les épaules. En tant que golem, il n’avait jamais connu de grippe ou d’infection grave. Il n’avait pas été blessé non plus, de toute son existence, ni même avait-il saigné. Le guerrier avait reçu plein de coups magiques sur son corps, mais cela ne lui avait jamais fracturé ou brisé les os. Charlie Tabris, de son côté, était très humain et pour cette raison, il ressentait toutes ces choses nouvelles. Sans oublier qu’il vivait dans un corps similaire à celui de Lucas Markios…

— As-tu de la famille, dans cette dimension ? demanda Flint, tout bas.

Le malade fit signe que non.

— Ici, j’ai passé à travers plusieurs familles d’accueil, répliqua Gabriel. On m’a déclaré orphelin alors que je n’étais qu’un nouveau-né. Mes géniteurs m’ont abandonné. J’ai donc décidé en grandissant que je n’avais pas tellement besoin de mes parents. Je ne pouvais compter que sur moi-même. Vers mes dix-huit ans, j’ai fini par quitter la maison d’accueil où j’ai vécu pour partir m’installer dans un appartement de la basse-ville. C’est là que j’ai commencé à m’injecter de la testostérone… Je suis toujours en contacts avec mes parents adoptifs, mais je suis très indépendant, désormais.

— Ça n’a pas dû être facile… répondit Flint. Te réveiller avec ce corps je veux dire…

— Pas vraiment… Le Gabriel que tu n’as jamais connu, l’assistant de ta mère… C’était un homme trans. J’avais fini par oublier ce détail, mais le Conclave me l’a rappelé…

Gabriel tournoya un doigt au-dessus de sa tête, pour désigner le plafond. Le grand blond comprit qu’il voulait en fait lui parler de la simulation.

— Si tu as été capable de te souvenir de tout ça, ça expliquerait donc pourquoi mon alter ego a écrit notre histoire… formula Flint. Il y a tant de choses qu’on ignore de cette dimension… et en même temps, c’est comme si nous y avions vécu toute notre vie… Je trouve cela étrange… pas toi ?

Le strip-teaseur hocha la tête. Il essaya de se redresser un peu plus sur son lit, Flint l’aida et en profita pour passer l’un de ses doigts près de l’une de ses cicatrices – celle sous sa poitrine musclée. Le blond était fasciné par cette nouvelle apparence.

— Dis Gabriel… formula-t-il. C’est comment… d’être trans ?

— J’aime bien, répondit son mari avec un sourire. J’ai désormais toute sortes d’informations qui me viennent en tête, sur comment m’occuper de mon hygiène personnelle et j’en passe. Je ressens même de nouvelles choses qui m’étaient inconnues lorsque j’étais moi-même. J’ai même de nombreux souvenirs reliés aux périodes… Tu te rends compte ? J’ai des périodes !

Le châtain pouffa de rire mais ressentit une douleur dans la côte. Il devait se retenir.

— Tu t’es toujours demandé ce que ça serait d’être un homme trans, pas vrai ? formula Flint. Tu m’en parlais souvent, quand nous étions seuls.

Gabriel hocha la tête, mais approcha une main de son mari qui la prit dans la sienne.

— Mon alter ego déteste le bas de son corps, commenta-t-il. Mais comme tu peux le voir, pour moi c’est tout le contraire.

— Cette conversation de l’autre fois, avec Nash, a dû te contrarier pas vrai ?

— Oui… Depuis qu’il a dit qu’on pourrait un jour avoir des bébés, toi et moi… J’ai de plus en plus envie que toi et moi, on essaie d’agrandir notre famille. Je ne sais pas si c’est la simulation qui me joue des tours ou non, mais j’aimerais donner naissance à nos futurs enfants. J’aimerais connaître cette joie, avec toi… Ça serait trop bien d’offrir tout plein de frères et de sœurs à nos enfants…

Flint esquissa un sourire et caressa la joue de son mari.

— Si c’est ce que tu désires, j’accepte de le vivre avec toi. C’est surtout la réaction de mon frère qui m’inquiète. Comment va-t-on lui expliquer tout ça ?

Les joues de Gabriel rougirent. Il était rassuré d’apprendre que son époux était d’accord avec lui. Lorsqu’ils sortiraient de cette simulation, il avait l’intention de modifier son corps afin qu’ils puissent tous deux réaliser ce rêve. Tant pis ce qu’en penseraient les autres. Toutefois, il avait conscience qu’ils étaient toujours en guerre. Il devrait peut-être remettre tout ça à plus tard. Mais comme son mari l’avait déjà dit, il y avait aussi Lucas, dans l’équation. Il n’avait pas envie de lui manquer de respect avec cette transformation… Tout ceci semblait si irrespectueux…

Flint cligna alors des yeux et demanda :

— Juste pour être sur la même longueur d’onde avec toi… Tu es toujours un homme, pas vrai ? Ou tu t’identifies autrement… ?

Surpris, le colosse prit un moment avant de répondre :

— Je suis ton mari. C’est tout ce qui compte, non ?

— D’accord. Mais si jamais tu réalisais que tu es trans, je ne t’en voudrais pas.

Les joues de Gabriel rosirent et il hocha la tête.

— Disons que c’est une sensation étrange, expliqua-t-il. Le Gabriel que tu connais est un homme cisgenre, mais l’ancien Gabriel était un homme trans. Mais moi, je suis polymorphe. Peu importe ce que je décide de devenir, je reste la même personne que tu connais. Ton mari. Rien de plus, rien de moins.

— Ça va. Je suis content pour toi que tu sois en paix avec ton corps.

— Merci Flint. Ça me touche beaucoup que tu me dises ça.

Ils continuèrent cette conversation sur le même ton calme. Flint resta auprès de son mari afin de le rassurer. Ce dernier décida d’ignorer ses recherches personnelles pour le reste de la journée. La vie de Gabriel était plus importante que tout le reste. Bien qu’il était intéressé par ce que lui était en train de lui dire son époux, il se demandait comment son père s’en sortait en présence de sa mère.

Athéna était assise sur le divan du salon en compagnie d’Artael. Ce dernier avait préparé du thé et ils discutaient depuis quelques heures déjà. La dame ne s’était pas présentée à son travail, ce jour-là, tel que prévu. Le patriarche de la famille Markios avait décidé de faire de même. Marie n’était toujours pas revenue chez elle, mais elle ne risquerait pas de rentrer pour le souper, comme elle le faisait à tous les soirs.

— Tu as beaucoup changé depuis la dernière fois qu’on s’est vu… remarqua la déesse qui prit une gorgée de son thé. Je me souviens encore quand tu étais jeune et innocent… Rien ne semblait t’affecter.

Le père de famille rougit.

— Je suis passé de conseiller à président, pour finalement me retrouver à tourner des plaquettes de burgers dans un casse-croûte et à gérer ses employés… Je n’appellerais pas ça une évolution, crois-moi.

Il pouffa de rire et elle sourit.

— Et moi je suis l’esclave de Perséphone dans cette dimension, alors je crois qu’on est dans la même galère, informa-t-elle. Cette dernière doit être très en colère que je ne me sois pas présentée au bureau de toute la journée, même si elle m’a donné congé. C’est comme ça qu’elle est avec tous ses employés.

— Elle s’en remettra, fit l’homme à la queue de cheval, un sourire aux lèvres.

— J’aime bien ton sens de l’humour, en tout cas.

— Notre fils Flint commence à déteindre sur moi.

Athéna déposa sa tasse de thé devant elle et se posa les mains sur les jambes.

— Qu’en est-il de ta relation avec Mademoiselle Prescott… ? Est-ce que vous…

— Nous sommes en très bons termes, si c’est ce que tu veux savoir, répliqua le restaurateur. Nous étions en couple pour quelque temps, mais ça n’a pas fonctionné. Nous sommes restés de très bons amis.

— Oh… je vois… Je suis heureuse que tu te sois fait une bonne amie, par contre.

— J’ignore où elle se trouve dans cette dimension. Le plus important est qu’elle soit en sécurité. Cependant, je dois te parler d’un tout autre problème… Il s’agit de notre fille. Tu sais déjà de qui je te parle, n’est-ce pas ?

La déesse hocha la tête.

— J’ai ressenti sa douleur lorsqu’elle est devenue une déchue, répondit-elle. Tout ceci est de ma faute. J’aurais dû intervenir et interagir plus souvent avec elle. Mais je ne voulais pas lui mettre tout le poids de notre mission sur ses épaules. J’étais tellement fière de tous ses accomplissements en tant que guérisseuse…

Son regard était rempli de tristesse et de doute. La Princesse de l’Olympe avait cru bien faire quand elle avait demandé à Flint de l’aider dans sa cause. Néanmoins, elle savait qu’il était impossible de prévenir certaines actions, à moins de posséder de puissants dons en divination. Elle pouvait lire ce qui se passait uniquement dans le présent, jamais dans le passé, ni l’avenir. La boule de cristal de son bureau était offerte à toutes les divinités qui veillaient sur leurs planètes de cette manière. Les vrais voyants étaient très rares.

La porte d’entrée s’ouvrit et Marie Sage entra à l’appartement. Elle avait changé de vêtements depuis la veille et portait un uniforme de travail. Celle-ci était vétérinaire et avait procédé à plusieurs opérations importantes dans les dernières heures. La veille, elle avait couché chez une collègue de travail qui travaillait tout près de leur boutique. Elle avait réussi deux de ces chirurgies, mais ils avaient perdu un chat qui allait bientôt fêter ses quinze ans. La pauvre Marie avait dû s’excuser auprès de son propriétaire et avait fini par aller boire un coup dans un bar local, avant de revenir à la maison.

— Je suis rentrée… dit-elle, fatiguée. Je…

Elle posa son regard sur le visage de Diana Kingston, alias sa propre mère. La vétérinaire se figea. Elle ne l’avait vu qu’en photos.

— B… bon après-midi… déglutit Marie..

— Je peux partir si vous le voulez, remarqua la journaliste qui se tourna vers Artael, puis la jeune femme au sarrau de vétérinaire.

— Non, ça ira. Papa m’a dit qu’il essaierait de vous contacter. Je ne m’attendais pas à ce que vous répondriez à ses courriels.

— Je suis ici simplement pour faire connaissance avec lui, puisque je n’ai jamais eu la chance de le revoir après… notre aventure d’un soir…

Marie rougit et secoua la tête.

— Inutile de m’en parler, répliqua-t-elle, vexée. Vous êtes ici pour lui. Pas pour moi, ni les autres quadruplés que vous avez abandonnés.

Sur ces mots, la docteure pour animaux se dirigea vers sa chambre et claqua la porte derrière elle. Athéna regretta tristement cet échange. Sa fille la détestait.

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