108.1 - La Fête du Canada

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Je vous préviens que si je ne reçois pas de remboursement tout de suite, je compte vous poursuivre ! lâcha une vieille dame mécontente en anglais, de l’autre côté du téléphone. Ne me dites pas que vous êtes incapable de revérifier mon dossier, maudite paresseuse ! C’est la troisième fois que je vous appelle ce mois-ci et vous me dites toujours que le paiement passera la semaine suivante ! Vous n’avez pas respecté notre marché à deux reprises ! Pour qui me prenez-vous ? Une vache ?!

Et elle continua encore et encore. Kylie Sanders fixait l’écran de son ordinateur en maudissant son patron de lui avoir donné un chiffre de travail durant un jour de fête. La pauvre musicienne arrivait à peine à survivre à son appartement, en compagnie de son frère. Elle en avait marre de cet emploi et avait hâte de le quitter.

Pour la dernière fois, Madame Thomas, notre compagnie s’excuse pour tous les désagréments causés par les dernières factures, lui répondit-elle avec la même langue. Je m’assurerai de contacter les ressources humaines afin de porter plainte contre mes collègues qui ont mal fait leur travail, si ça peut vous rassurer. J’ai déjà laissé une note dans votre dossier pour avertir le département des facturations de vous renvoyer votre argent d’ici la fin de la semaine. Puis-je faire autre chose pour vous aider, pendant que nous y sommes ?

Bien sûr ! N’oubliez pas d’aller vous faire foutre ! hurla la cliente mécontente.

La vieille dame raccrocha, si violemment que cela résonna dans le tympan gauche de la punk. Elle lâcha l’appareil et se prit la tête, pour la serrer rapidement.

Aïe ! Maudite garce ! couina-t-elle.

Elle se tourna vers sa voisine du compartiment à droite.

— Stacy, t’aurais pas des cachets pour ma migraine… ? gémit-elle en français.

Une petite rousse, inoccupée, lui sourit et lui passa une bouteille en plastique qu’elle sortit de son sac. Kylie en prit deux et lui rendit le contenant.

— Je te revaudrais ça, promit celle-ci.

La dénommée Stacy secoua la tête et lui sourit. La musicienne comprit qu’elle n’avait pas besoin de s’en faire. Tous les employés de cette compagnie de téléphone et d’internet savaient dans quoi ils s’étaient embarqués en rejoignant le centre d’appel, cependant ils étaient bien payés et avaient plusieurs bénéfices, tels que les soins dentaires et visuels. La majorité d’entre eux ressortaient toujours du grand bâtiment à la fin de leur chiffre de travail, avec les oreilles fumantes. Parfois, ils étaient tendus et avaient besoin d’aller se décompresser. En revanche, ils avaient une jolie salle de jeux où ils pouvaient se détendre durant leurs pauses. Ils avaient le droit d’emporter des livres de lectures, des mots croisés et du papier pour dessiner.

Kylie regarda sa montre et constata qu’elle avait fini de travailler pour la journée. Elle soupira de soulagement, ferma le dossier de sa cliente mécontente, puis se déconnecta de son compte d’employée.

— Madame Thomas est un vrai paquet de nerfs ambulants, hein ? dit Stacy. Elle a fait pleurer Madeleine, la dernière fois qu’elle nous a appelés… Le patron était furax…

— Juste pour ça, ça me donne envie de faire augmenter la facture de son prochain paiement… grogna la jeune femme dont l’oreille faisait toujours mal.

— En tout cas, j’espère que tu passeras une bonne soirée avec ton frère. Embrasse-le de ma part. Ça fait longtemps qu’on l’a vu, mon partenaire et moi.

Stacy Roy avait un léger accent du nord-ouest de la région du Nouveau-Brunswick. Elle était venue s’installer à Ottawa afin de poursuivre ses études, mais finalement avait préférée se ramasser assez d’argent pour s’acheter une maison. Elle était rapidement devenue amie avec les jumeaux Sanders, lorsqu’ils étaient venus se faire engager par la compagnie.

— Tu diras à Bobby de venir faire un tour à notre appart', répondit Kylie. Il a oublié son chandail sur le divan, la dernière fois qu’il est venu visionner un match de hockey.

— Bah, on verra, répliqua la rousse. On doit faire une virée à Gatineau avec notre groupe d’amis. On vous rapporte quelques Molson Dry ?

— Nah… Je n’en bois plus depuis ma dernière cuite. Par contre, Scottie va probablement en vouloir. Ramenez un paquet de six.

— OK ! Bonne soirée, ma grande !

Elles se tapèrent dans les mains, puis la grande musicienne s’éloigna vers la salle des employés où on rangeait tous les manteaux et les espadrilles. Les employés n’avaient pas le droit de marcher avec ces derniers à l’intérieur du bâtiment. Il y avait quelques-uns de ses collègues qui prenaient leur pause du souper. Elle les salua, puis ramassa ses espadrilles et ses affaires personnelles avant de se rendre près de l’entrée de la salle. Elle tira alors la petite carte d’identité, attachée à un élastique, qu’elle gardait à sa ceinture et la passa devant un scan qui confirma la fin de son chiffre.

Quand elle sortit de l’immeuble, la jeune femme se dirigea vers le stationnement et ramassa sa motocyclette qu’elle avait garée et verrouillée avec un cadenas. Elle enfila son casque de sécurité, mis en marche son véhicule et emprunta la rue Vanier afin de se rendre sur le pont qui se rendait à la basse-ville. La musicienne et son frère vivaient dans un appartement, mais elle choisit de rouler un peu plus au sud, pour finalement arriver au Parc Strathcona, où Scottie avait la permission de garer sa cantine mobile.

Elle se gara tout juste devant le véhicule de son frère.

— Ah ? T’as déjà terminé ? demanda le jumeau, alors qu’il tourna son regard vers sa sœur.

— Ouais… fit cette dernière. Tu me prépares un sandwich au bœuf effiloché, s’il te plaît ? Une assiette de frites avec ça.

— Tout de suite.

Celui-ci avait un filet dans les cheveux pour les empêcher de tomber dans tous les sens. Il faisait chaud ce jour-là et le parc était rempli d’adolescents et d’adultes qui étaient venus célébrer la Fête du Canada. Le restaurateur aurait bien aimé travailler près la Colline du Parlement, mais elle était réservée à d’autres activités comme à chaque année.

— Nadine ne travaille pas, aujourd’hui ? interrogea la musicienne.

— Non, fit Scottie. Elle avait de la visite chez elle qui est arrivée de Montréal, hier soir. Je lui ai laissé le reste de la journée. Je ne vais pas tarder à fermer, de toute façon. Les concerts ne vont pas tarder à commencer et j’ai mal aux pieds.

— Les autres cantines mobiles semblent attirer un peu plus l’attention, sur les routes.

— Et c’est l’heure où tout le monde retourne à la maison…

Scottie préparait le sandwich de sa sœur en même temps qu’ils se parlaient. Celle-ci avait déjà sorti un billet de dix dollars canadien pour payer son assiette, mais son frère le refusa.

— Laisse, c’est moi qui paie, dit-il. Tes potes m’ont laissé un généreux pourboire après votre concert de l’autre jour.

— Ah, cool ! s’exclama la punk. J’aime bien notre nouveau guitariste. Il est assez zen comme mec. Il s’entend bien avec notre bassiste.

La jeune femme avait son téléphone d’ouvert, sur l’un des nombreux réseaux sociaux auxquels elle était inscrite pour faire de promotion des Sewer’s Rodents, le nom de sa bande. Ce titre anglophone était une référence aux rats d’égouts, dont la jeune femme éprouvait une certaine sympathie, parce qu’ils étaient rejetés de tous.

— As-tu eu le temps de lire ce que je t’ai envoyé par courriel ? demanda Scottie.

— L’histoire sur Scribay ? formula-t-elle. Ça m’avait l’air intéressant mais le premier chapitre était trop long. Du coup, je n’ai pas pu le terminer…

— D’après les rumeurs, ce mec vit pas très loin de chez nous. Et bizarrement, le nom de la ville où vivent ses personnages est aussi celui de l’une de nos ruelles…

— Je trouve ça louche, franchement. Ça ne m’inspire pas confiance.

— Moi j’aime bien la dynamique entre les personnages. J’ai lu une dizaine de chapitres depuis hier. Son père fait un peu la promotion de son livre à son travail.

— Je ne vois vraiment pas pourquoi il ferait ça, puisque c’est un livre gratuit…

Scottie haussa les épaules, puis sortit les frites de l’huile végétale avant de les poser dans une assiette. Il se tourna ensuite vers le bœuf effiloché qu’il avait fait cuir dans une panne, à côté et ajouta un peu de sauce barbecue.

— Peut-être qu’avec un peu de chance, une maison d’édition finira par le remarquer, fit le cuisinier. C’est rare que j’accroche à un livre français, dernièrement… Les auteurs franco’, me perdent avec toutes leurs règles grammaticales… ouf !

— Et du c’est Fantasy, en plus… Je pensais que c’était pas du tout ton style… ajouta sa sœur. Quand même, il a écrit trois livres de cette grosseur, en quelques années ; il devait avoir beaucoup de temps libre…

— D’après ses notes d’auteurs, il souffre d’agoraphobie et d’anxiété sociale, ce qui fait qu’il ne peut pas travailler en public.

— Il ne survivrait pas une tabarbak de journée dans un centre d’appel…

Scottie posa le plat devant sa sœur, avec des ustensiles en plastiques. Après qu’elle ramassa le tout, elle rangea son téléphone portable dans sa poche de manteau et s’éloigna vers une table à pique-nique qui se trouvait près du véhicule de son frère. Le jeune homme fermait la fenêtre des commandes et descendit de la cantine mobile afin de retirer la pancarte du menu. Il rangea le tout et partit rejoindre sa sœur pour s’asseoir un moment.

— J’empeste la graisse de frites, dit-il avant de retirer son tablier et son filet.

— Au moins tu aimes ce que tu fais, exprima Kylie. Moi, je te jure, une fois que j’aurais ramassé assez d’argent pour me payer mes études en musique, je vais crisser là cette place de marde et m’inscrire à l’Université d’Ottawa.

— Je te verrais bien comme prof de musique… par contre, vire ton langage grossier, sinon ils ne prendront pas… T’as passé ta vie avec un instrument dans les mains… Je ne vois pas pourquoi ça ne pourrait pas continuer.

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