90.3 - Le refuge du nord

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Le mage des eaux soupira. Il était assis sur un gros rocher, près de la mer séchée. Il jetait des morceaux de glaces dans l’océan qu’il s’était imaginé dans la tête. Chaque cube rebondissait dans le sable avant de disparaître complètement. Il s’était éloigné du campement et se retrouvait dans les ténèbres. Il ne s’était jamais senti aussi seul de toute sa vie.

— Ah ! Te voilà enfin ! s’exclama Scottie. Ça fait un quart d’heure que je te cherche… Est-ce que… ça va ?

L’éclaireur avait apporté avec lui une lampe à huile et éclairait le terrain, légèrement. Il vit Wyatt hausser des épaules. Il n’était pas dans son état normal.

— Je suis venu aussitôt qu’elle nous a dit… ajouta le jeune homme. Je suis désolé…

— Pourquoi ? Tu n’as rien fait de mal, soupira Wyatt.

— Quand même… j’aurais pu être là plus vite.

Scottie s’installa à côté de son ami et lui passa une canette de bière qu’il sortit de son sac à dos. Son ami gémit de dédain, puis tira sur la capsule pour ouvrir cette dernière. Il but une gorgée en silence.

— Elle ne sait pas la chance qu’elle manque, en tout cas, dit l’éclaireur. Ça faisait des jours que tu nous disais tout ce que tu avais sur le cœur et comment tu comptais la surprendre avec mon jeu de cartes…

Le jumeau n’avait pas tellement eu le temps de pratiquer ses petits tours d’illusion, à cause de leur voyage. Toutefois, après qu’ils eurent revu tous les membres du groupe, la semaine dernière, il s’était proposé afin d’apprendre quelques-unes de ses techniques au mage. Il avait voulu l’aider à gagner le cœur de Luna. Il se rendit compte que ses derniers mots avaient eu l’effet d’une bombe, car le binoclard se pencha vers l’avant et se remit à pleurer.

— Oh merde… je te demande pardon ! supplia Scottie.

Il venait de déposer la lampe à huile derrière eux. À sa plus grande surprise, Wyatt l’enlaça et pleura contre lui. Scottie était le plus grand des deux, ce qui semblait rassurer le mage un peu, comme s’il avait besoin de la présence d’un adulte responsable. Instinctivement, le jumeau lui caressa le dos et derrière la tête.

— Tu verras, mec… Ça ira mieux avec le temps, je te le promets, dit-il afin de réconforter son collègue de travail.

— Tu dis ça parce que t’as un béguin pour moi… rechigna son interlocuteur.

— Mais non… enfin… si… mais je sais toutefois que tu passeras par-dessus cette étape de la vie. En tant que pote, je ne te laisserais pas tomber.

Le mage trembla un peu et serra Scottie encore plus fort.

— Allons, allons ! Je ne vais pas disparaître, dit l’éclaireur.

— T’es trop bon pour moi, pleura Wyatt. Je ne mérite pas ton amitié, Sanders.

L’éclaireur roula des yeux et le laissa pleurer un peu avant de se tourner afin de sortir des mouchoirs de son sac. Il les passa à Wyatt qui souffla si fort dans ces derniers qu’il fit un bruit de trompette.

— Ça va mieux ? demanda Scottie, inquiet.

Wyatt hocha la tête, puis se tourna à nouveau en direction de la mer. Il ne s’était pas rendu compte qu’il avait mentionné à l’éclaireur qu’il savait que ce dernier en pinçait pour lui. Tout était si flou dans sa tête. Cela faisait plusieurs jours qu’ils se côtoyaient et il avait remarqué comment celui-ci l’avait souvent observé discrètement. Le jumeau lui était loyal comme un chien de poche. En premiers lieux, il aurait trouvé ça louche. Cependant, il appréciait beaucoup la compagnie de son ami.

— Je vais mieux… dit le mage. Merci d’être venu.

— Pas de quoi ! Les amis, c’est fait pour ça.

Wyatt ricana avant de donner un petit coup d’épaule à son collègue. Scottie l’imita et ils échangèrent quelques coups avant de rire, comme des enfants.

— Je t’adore, mec, dit l’expert des eaux. Merci pour tout.

— C’est tout à fait naturel.

Ensemble, ils burent quelques canettes de bière et discutèrent de tout et de rien. Ils s’allongèrent même sur le gazon, tout près de la grosse pierre. Ils regardaient la lune rouge, se racontaient des blagues ou bien parlaient de leur journée. Finalement, Wyatt se tourna vers son confident. Il avait quelque chose à lui dire.

— J’aimerais te dire un truc, si tu le veux bien… commenta-t-il.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Scottie.

— Disons que… ce voyage à vos côtés m’a confirmé quelques trucs sur mes propres attirances… J’ai toujours su que je n’étais pas seulement hétéro, voilà.

— Ah… ah bon ? Tu ne plaisantes pas… non ?

— Non. Je ne plaisante pas. J’ai déjà lu cette définition à de nombreuses reprises, dans les dictionnaires du palais de Baldt. Je ne pensais pas que ça me suivrait jusqu’ici, pour être honnête.

— Ah… donc tu es bi ?

Wyatt secoua la tête.

— Non, déclara-t-il. Je suis pan.

— Pansexuel ? Aaah... Tu peux tomber amoureux de tout le monde, même les non-binaires… C’est ça ? Vous êtes rares, comme personnes…

— Ouais… je sais… Mais n’en parle aux autres, s’il te plaît. Je ne suis pas encore prêt à faire ma sortie du placard en public.

— Je comprends… Ça ne doit pas être évident.

— Je te le dis parce que tu es mon meilleur ami, tout simplement…

— Et les meilleurs potes se disent tout, je sais…

— Enfin… pas tout. Il y a certains trucs qu’on garde pour soi.

Scottie s’assit et regarda son interlocuteur.

— Comme quoi ? demanda-t-il en le taquinant. Est-ce que t’aimes te travestir ?

— Idiot ! gloussa le mage. Non, ça c’est plutôt Flint. Tu l’as déjà vu se promener en talons hauts ? Quel phénomène…

— Ouais… notre capitaine n’a aucune gêne.

L’éclaireur reprit sa position allongée, près de son ami. Un long moment de silence s’installa auprès du duo. Ils en étaient à leur troisième cannette de bière, chacun. Tous deux étaient déjà ivres depuis un moment.

— Tu sais quoi, Sanders ? interrogea le mage.

— Non… quoi ?

— Dans le fond, je l’ai toujours su que ma Luna ne pouvait pas me donner ce que je voulais… – hic ! – J’étais juste trop entêté pour l’accepter…

— L’amour rend aveugle, malheureusement… C’est connu. Et pour être honnête avec toi, elle m’a toujours donné cette impression d’être aromantique et asexuelle.

— C’est quoi ça, déjà ?

Wyatt était curieux d’en apprendre un peu plus sur ces termes.

— Bah… c’est quelqu’un qui ne peut pas ressentir d’amour ou le besoin d’aimer… expliqua Scottie. Puis les asexuels, bah… ils ne veulent pas baiser, c’est tout. Je conçois que mes définitions sont pourries, mais c’est à peu près ça…

— Je n’avais jamais entendu parler de ces termes avant, dit le binoclard.

— Et pourtant, tu sais ce que veut dire pan. T’es allé chercher cette expression où ? Dans un livre de cuisine ?

Le maître des eaux allait lui dire littéralement comment il était tombé sur ce mot, lorsqu’il réalisa que Scottie venait de faire un jeu de mot douteux avec l’expression d’une autre langue qu’ils parlaient peu à la république.

— Ha… ha… très drôle, répliqua le mage, avant de froncer des sourcils.

Le jumeau lui tira la langue. Comme réflexe, son ami lui donna un petit coup de poing dans l’une de ses côtes et se mit à glousser comme une pie. Scottie n’eut même pas mal. Il se leva et aida son camarade à se lever.

— Rentrons, maintenant. Gabriel nous fait du risotto aux écrevisses. Je commence à avoir faim. Ah… j’en ai déjà l’eau à la bouche !

— J’ai une meilleure idée, si tu le veux bien… fit Wyatt.

— Quoi don-

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà, son ami le tira vers lui et lui roula la pelle de sa vie. Déconcerté, Scottie recula de quelques pas et cligna des yeux. Son cœur battait à la chamade. Le mage n’était pas dans son état normal. L’alcool le rendait un peu trop sauvage à son goût.

— OK… dit l’éclaireur. C’est le temps pour toi d’aller faire dodo.

— Nan… – hic ! – Ne me laisse pas tout seul…

— Rappelle-moi demain de t’en coller une, lorsque tu auras retrouvé tes esprits.

— Mais euh… tu… me trouves à ton goût.

— Ouais, mais juste quand tu n’es pas saoul !

Wyatt bouda et tituba avant de tomber aux pieds de l’éclaireur. Il perdit connaissance et se mit à ronfler. Il avait perdu son pantalon, ce qui révéla ses slips. Scottie déglutit et soupira. Il devrait donc le traîner jusqu’au camp, sur son épaule. Heureusement pour lui, il avait de bons os. Ce fut avec plein de papillons dans le ventre qu’il transporta son meilleur ami, loin de la plage.

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