87.1 - Le général et l'ambassadeur

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Shayne lisait le journal qu’Estelle lui avait mentionné. Il était assis dans la cuisine du manoir où l’adolescente et son groupe avaient passé quelque temps. Misaki et Cassandra fouillaient le bâtiment en compagnie de Lucas. Ils devaient commencer leurs recherches quelque part et pour cette raison, ce village était le plus sécuritaire. Ils n’avaient pas encore croisé les araignées géantes, mais avaient réussis à dénicher quelques traces de pas de la panthère, près de l’entrée de l’immeuble. Le vampire les avait tout de suite reconnus. Il ne comptait pas s’éloigner des lieux, avant que les autres soient prêts à repartir.

Après avoir lu le manuscrit rapidement, le général avait remarqué un étrange détail. La fille du maire disait que leur communauté était plutôt rustique, simple. Il n’y avait aucune mention de technologie dans ce qu’il avait lu. L’auteure se vantait que cette communauté avait été fondée par son père, cependant tout portait à croire que ce n’était pas le cas.

Cette demoiselle a sûrement passé une vie recluse dans ce manoir, au point d’en ignorer l’état du monde dans lequel elle se trouvait, se dit le vampire. Elle n’a vu les véhicules métalliques sur les routes ou bien les ruines qui entourent cette communauté. Même Drokaï semble… étrange… Ses anciens propriétaires ont essayé de fortifier les lieux, mais tout ça a été détruit avec le temps. Qui plus est, j’ai remarqué que certains bouts de terres sont inégaux. Ils ont essayé d’enterrer plein de choses, je crois. Si ça se trouve, ce manoir est en fait très récent…

Shayne avait assez voyagé pour reconnaître quand certaines personnes commençaient de nouvelles modes ou bien quand des objets faisaient taches dans le décor. Selon lui, ce manoir ne collait pas du tout avec le reste du village fantôme. Il était luxueux et plus propre. Estelle et ses amis l’avaient nettoyé un peu, mais il restait l’endroit le plus beau de tout le quartier. Même Cassandra trouvait l’atmosphère particulièrement étrange, mais elle n’aurait su expliquer si tout cela était surnaturel.

En tout cas, la demoiselle de ce journal confirme que tous les problèmes partent d’Archenwald. Je vais devoir en parler avec Flint et les autres, lorsqu’on sera réuni. Il a tant de choses que je ne comprends pas dans ce monde… et pourtant…

Il se leva du banc auquel il était installé, dans la cuisine. Ensuite, il se dirigea au salon, où il croisa Lucas.

— Avez-vous trouvé quelque chose d’intéressant ? demanda le général.

— Non, rien… dit l’ambassadeur. J’ai même cherché pour une chauve-souris, comme on nous l’avait indiqué avant notre départ, mais il n’y en avait pas. Cet immeuble est complètement vide.

— Dans ce cas, on devrait mieux partir. Ramassez ce que vous pouvez dans le garde-manger et on suivra les traces de Nox.

Lucas remarqua que Shayne n’était pas dans son état habituel. Il semblait soucieux, voir, agité. Le général se frotta le menton. Il réfléchissait de tout ce qu’il avait appris durant sa lecture. Il comptait la reprendre une autre fois, raison pour laquelle il venait de ranger le manuscrit dans son sac de voyage.

— Quelque chose ne va pas, Monsieur Wolfe ? questionna Lucas. On dirait que vous avez vu un fantôme.

— Cet endroit ne m’inspire pas confiance. J’ai lu le journal d’une ancienne occupante de ces lieux, tel que conseillé par Estelle… Je trouve que quelque chose ne colle pas au récit. Il n’y aucune mention des technologies plus récente, nulle part, alors que les environs sont remplis de déchets et de machines détruites. C’est comme si ce manoir ne devait même pas exister dans cette période du temps, ni même ce monde.

Lucas grimaça d’incompréhension. Il ne savait pas comment réagir à une telle affirmation. Il n’était pas spécialisé dans les phénomènes paranormaux, contrairement à la Septième Brigade. Lui, son domaine, c’était la diplomatie et la maîtrise de l’arme blanche.

— Où voulez-vous en venir, Monsieur Wolfe ? demanda-t-il.

— Je crois, ou du moins je le pense, que ce manoir devait en fait appartenir à notre monde, mais qu’il a été aspiré dans cette dimension avec quelques-uns de ses citoyens. Ça expliquerait le sentiment de dépaysement que je ressens, lorsque je le compare avec les autres ruines.

— Sans vouloir vous manquer de respect, Shayne, je crois qu’on le saurait, si un manoir avait disparu de l’une de nos villes portuaires.

— J’ai conscience que vous êtes un noble soldat de l’armée de Lanartis, cependant, j’ai déjà connu des phénomènes similaires par le passé. Et souvenez-vous, tout ce qui se fait engloutir ici, finit par se faire oublier par le collectif des mortels. Il est fort possible que les gens aient déjà oublié notre existence, dans l’autre dimension. Nous avions oublié les esprits élémentaires et maintenant, c’est à notre tour.

L’ambassadeur secoua la tête.

— Vous sautez trop vite aux conclusions, dit-il. Rien ne nous dit que le Roi Davis et Dame Floraine m’ont déjà oublié. Boris et Priya, mes meilleurs amis, ne m’abandonneraient jamais… et je ne pense pas que mon père oublierait ses propres enfants. Nous avons quand même passé plusieurs années à ses côtés.

Shayne sourcilla. Il reconnaissait bien là le fameux entêtement des Markios. Lucas était têtu, tout comme son père et ses frères. Sarah Markios, normalement douce et gentille, pouvait aussi se montrer très persuasive lorsqu’elle partait faire des emplettes. Ce trait était commun chez l’un, comme l’autre.

— Je suis navré de vous avoir contrarié, déclara le général. Cependant, vous le savez désormais que j’ai vécu plus de trois cents longues années. Je m’y connais donc en matière de magie obscure… et malheureusement pour nous, l’enfer est un nid de sorcellerie perfide qui nous suit tous les jours.

Lucas soupira des narines et se mit une main devant la bouche pour réfléchir.

— Je vous présente mes excuses, moi aussi, prononça-t-il. Seulement, je n’ose pas imaginer que mes amis m’aient déjà oublié. Ils étaient ma seconde famille, loin de ma véritable patrie. Croyez-moi lorsque je vous dis qu’ils me manquent.

— Je vous crois, répliqua Shayne. Seulement, cela n’estompe pas mon sentiment de curiosité… D’autant plus que ce manoir m’inquiète. Hélas, cette affaire ne sera probablement pas résolue tant que nous serons des prisonniers de l’enfer.

L’ambassadeur gloussa, ce qui perturba le général.

— J’ignorais que vous parliez aussi bien, Monsieur Wolfe. Contrairement à vos subordonnés, vous avez une très bonne diction.

— Tout cela est en raison de mes nombreuses années de pratique, cher ami, répondit le vampire. Mon vocabulaire s’adapte rapidement selon la personne avec qui je discute, voyez-vous ? Mais je préférerais éviter de parler de ce trait de ma personnalité avec mes collègues, car nous sommes très familiers à Baldt.

— Oh, en effet. C’est ce que j’apprécie de notre belle nation. En tant qu’ambassadeur pour Sa Majesté le Roi Davis, je me dois de parler de cette façon avec les étrangers, afin de montrer tout mon respect à de potentiels employés. C’est épuisant à la longue de tout le temps vouvoyer les gens, mais on s’y fait.

— Dans ce cas, que diriez-vous de me parler comme si j’étais un ami ?

Lucas rougit timidement.

— Vous… tu veux être tutoyé ? demanda-t-il.

— Seulement si ça te convient, répliqua le général. Tu vois ? L’atmosphère change déjà, je te vois rougir.

— Oh, arrêtez… arrête, couina l’ambassadeur. Tu es un général, je devrais normalement te respecter puisque tu es très important… Si je devais te parler ainsi en face de mon roi et de ma reine, je serais probablement dans le pétrin. Ils tiennent beaucoup aux apparences et aux règles de courtoisies.

— Tu n’as pas à t’en faire pour ça avec nous. Les autres te traitent déjà comme un ami, tu peux en faire autant avec moi.

— Merci, Wolfe.

Lucas avança sa main droite vers lui afin de serrer la sienne.

— J’espère bien t’aider, tes amis et toi, à trouver une sortie vers notre monde, ajouta-t-il. J’ai quand même un important rapport de mission à délivrer à mes supérieurs. Ils doivent sûrement me penser mort.

Le vampire accepta la poignée de main de l’homme. Il avait beaucoup de répartie, contrairement à Flint, ce qui était tout à fait normal puisqu’il était aussi un fin diplomate. S’il s’adressait ainsi à lui, était-ce parce qu’il souhaitait faire équipe ? Shayne devait reconnaître que l’ambassadeur lui plaisait déjà, malgré les premières apparences trompeuses. En premier lieu, il pensait qu’il n’en avait que pour Cassandra. Il s’était vite rendu compte qu’il utilisait ses charmes avec tout le monde, tel un caméléon. Il lui rappelait étrangement Nash Markios.

— Pardonne-moi si je te pose cette question… mais comment était ta relation avec ton oncle Nash ? demanda le général, qui posa ses mains dans ses poches. Plus je passe du temps à tes côtés, plus j’ai l’impression que sa personnalité a beaucoup influencé la tienne… Je me trompe ?

Lucas rougit davantage et recouvrit son visage, gêné.

— Oh, c’est la première fois que je reçois un tel compliment… dit-il. Il a toujours été un modèle pour moi, vois-tu ? Quand j’étais un tout petit garçon et qu’on me prenait encore pour une fille, c’était mon idole… Il était tellement chouette et amusant… Tout le monde l’aimait, il était si responsable en plus. Je rêvais de devenir comme lui, en grandissant. Mais lorsque j’ai appris pour sa mort… J’ai…

Il soupira lentement. Le vampire vit une larme couler le long de sa joue pâle. Il faisait sombre dans le salon, même si c’était éclairé avec une lampe à huile. Lucas ne voyait pas tant de choses avec ses yeux, mais la nyctalopie de l’elfe basané était toujours active, peu importe l’endroit.

— À moi aussi, il me manque, répliqua Shayne.

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