81.2 - Pattes acérées et partie de pêche

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Le lendemain, soit le 8 avril 3918 AD, le groupe d’Estelle avait réussi à quitter le manoir. Les araignées étaient retournées dans leur grotte ou bien s’étaient éparpillées dans la nature. La panthère ne s’était toujours pas manifestée lorsqu’ils avaient déjeuné. Pour cette raison, Wyatt décida de lui laisser un message sur la porte d’entrée. « Partis vers le nord », avait-il écrit sur cette note.

Ils retracèrent leurs pas jusqu’aux bois, vers la fin de l’après-midi et évitèrent le campement des orques et des gobelins, comme la dernière fois qu’ils étaient passés par là. Ils finirent par retrouver la cabane qu’ils avaient abandonnée l’autre jour et virent que personne n’était passé depuis leur dernier passage.

— Ne restons pas ici longtemps, suggéra le mage. Ramassons le strict minimum et repartons lorsque nous serons reposés.

— Arf ! On ne pourrait pas rester pour la nuit ? demanda Kylie. J’ai mal aux jambes…

— Désolé, mais nous devons rejoindre l’association de Cordelia. Nous serons plus en sécurité avec elle, dit son frère.

— Si tu le dis… grogna la jumelle. Ses hommes n’ont rien fait pour nous aider, à part nous envoyer Nox. Et il nous a complètement laissé tomber !

Scottie commençait à en avoir marre des caprices de sa sœur. D’un côté, elle n’avait pas tort. Cependant, la panthère ne les avait pas retrouvés sous les ordres de sa supérieure, mais par le plus grand des hasards.

— On repart dans cinq minutes, dit Wyatt.

— T’es chiaaaaaant… soupira la punk.

Elle lui tira la langue et entra dans la chaumière. Son frère la suivit rapidement et ils fouillèrent l’intérieur du petit bâtiment.

Estelle préféra s’asseoir un moment, sur l’escalier en bois qui leur permettait de monter à l’intérieur de la demeure improvisée. Elle n’avait pas tellement dormi durant la nuit, car son combat avec les arachnides l’avait secouée.

— Cette dimension va finir par me rendre folle, soupira-t-elle.

— Bah, on s’habitue au bout de quelques semaines, remarqua Bella. Une fois qu’on comprend le rythme de ces créatures et ce qui les pousse à agir de la sorte, on finit par se trouver de bonnes cachettes pour survivre.

— Peut-être, mais ce n’est pas une vie, déclara Wyatt.

— Mouais… En fait, avant votre arrivée parmi nous, j’étais certaine que nous ne repartirions jamais… mais là je crois qu’il y de l’espoir.

— Ah bon ? Qu’est-ce qui te fait croire ça ?

L’animal pencha la tête d’un côté ; elle réfléchissait.

— Hmm… fit cette dernière. Peut-être que c’est parce que les portails servent à autre chose qu’à envoyer des démons d’une dimension à l’autre. Remarque, vous êtes passés par ici sans pour autant vous transformer en monstres.

— Eh… c’est un bon point, remarqua Wyatt. Normalement, on associait ces fissures avec les démons. Maintenant… si seulement nous pouvions comprendre comment ils fonctionnent, ça serait plus utile.

— Tout ce que je sais, c’est que ça nous prend une énorme quantité de magie, répondit Bella. La plupart des chamans et des divinités renégates amplifient leur sortilège avec des sacrifices vivants ou bien en offrant un peu de leur sang.

— Donc, je pourrais ouvrir mon propre portail de cette façon ? Je n’ai pas peur de perdre du sang.

La loutre se tourna vers lui, offensée.

— Ne t’y avise surtout pas ! rouspéta cette dernière. La magie du sang est impure et attire les démons, peu importe qui s’en sert !

— Allons, Bella. Je savais déjà tout ça. Pour qui me prends-tu ? Je suis un mage de Baldt, j’ai tout appris aux côtés de l’un des plus grands sorciers de la nation.

L’esprit élémentaire de l’eau leva son pif en l’air, frustrée. Wyatt avait déjà compris que celle-ci n’appréciait pas qu’on la contredise ou bien qu’on lui parle sur ce ton. Dans sa tête, elle était toujours une demoiselle de la haute société et traitait tout le monde comme ses loyaux sujets. Elle s’ennuyait de plus en plus de ses camarades loutres qui lui obéissaient et ne lui manquaient jamais de respect. Le mage était pour elle tout un défi. Elle n’arrivait toujours pas à l’amadouer. Elle détestait perdre ou se sentir ridiculisée.

— Ne fais pas ta mauvaise perdante, dit son porteur. Je sais que tu te soucies de moi. Tu n’as pas besoin de faire ta petite snobe.

Il lui pinça amicalement la joue. Bella bouda celui-ci et tourna son regard dans une autre direction. Il lui caressa ensuite la nuque et elle couina de bonheur. Il connaissait déjà son point faible… Elle adorait les caresses.

— Pfft, elle est mignonne en fait, remarqua Estelle.

— Évidemment que je suis mignonne, dit fièrement le mammifère. Mes amis disent tous que ma fourrure est la plus soyeuse qui soit pour mon espèce.

La loutre se laissa choir entre les bras de Wyatt.

— Mais qu’est-ce que je donnerais pour un bon bain… brailla-t-elle. J’en ai marre de l’eau crassée de cette région. Et les poissons ne sont même pas bons… Beurk…

— Patience, on finira bien par te trouver du poisson frais qui ne goûte pas la merde, répliqua son partenaire. La truite qu’on a mangée hier était excellente, mais souvent on tombe sur des poissons toxiques.

— Et ce n’est pas faute d’avoir essayé, continua Estelle. Nous avons pêché une bonne dizaine de truites cette semaine avant d’en trouver qui étaient comestibles. On peut remercier Wyatt et Scottie d’avoir détecté les toxines…

— En parlant de poison… comment se fait-il qu’on t’ait nommée Belladonna ? demanda alors le mage à l’esprit. Tu savais que c’est le nom d’une plante toxique… ?

La loutre gloussa nerveusement avant de leur dire :

— En fait, c’est parce que j’ai une capacité spéciale qui me permet de lancer un nuage empoisonné vers mes adversaires. Je m’en suis servi souvent par le passé afin de défendre nos abris contre nos prédateurs. Je préfère qu’on m’appelle Bella. C’est plus simple et plus joli…

— Ah… fit Estelle. Dans ce cas, tu aurais pu t’en servir hier, contre les araignées, non ?

— Je ne crois pas. Mon sort ne fonctionne pas sur les créatures qui produisent déjà leur propre venin. Par contre, je pourrais l’utiliser pour vous aider autrement.

La petite blonde entendit Scottie et Kylie s’approcher de la sortie. Elle se leva et remarqua qu’ils avaient rempli leurs sacs d’articles divers. Celui de la jeune femme faisait un peu plus de bruit que son frère.

— Tu devrais enlever les boites en conserves, proposa Estelle. Tu risques de nous faire repérer avec le tapage qu’elles font.

— Je lui ai déjà dit, mais elle ne veut rien entendre, déclara le jumeau.

— Il est hors de question que je laisse ce riz en canne ici ! insista la musicienne. J’en ai marre de manger des champignons et ce truc est encore bon, d’après la date.

Wyatt cligna les yeux, puis baissa son regard vers la loutre.

— Y a-t-il encore une usine à nourriture fonctionnelle, par ici ?

— Je n’appellerais pas ça une usine, formula Bella. Toutefois, certains regroupements d’humains se servent de leurs machines pour y fabriquer des boites en conserves, quand ils ne construisent pas leurs armes et leurs armures… Le camp de Cordelia, par exemple, ne produit que quelques boites par mois. Cette nourriture doit normalement nourrir que les voyageurs. Leurs éclaireurs déposent celles-ci, là où ils peuvent puis repartent d’où ils viennent.

— Je n’aimerais pas être à leur place, en tout cas, dit Scottie.

Le jeune homme regrettait les repas nourrissants qu’il avait à Baldt et aussi avec Gabriel, depuis qu’il faisait partie de la Septième Brigade. Tout était si fade et répugnant dans cette dimension. Il comprenait pourquoi sa sœur avait décidé de prendre ces cannes, cependant il n’approuvait pas qu’elle les prenne toutes.

— Pouvons-nous partir, maintenant ? demanda le mage au reste du groupe.

Ils hochèrent tous leurs têtes. Un instant plus tard, ils reprirent la route. D’après les dires de Nox, le camp des humains se trouvait à une moitié de journée de cet endroit, à pied. Les plus rapides pouvaient s’y rendre en quelques heures. Les plus chanceux qui avaient des chevaux avaient beaucoup plus de facilité pour ce genre de déplacement, toutefois les montures étaient très rares dans cette dimension. Wyatt espérait qu’ils ne croiseraient pas trop de démons en chemin.

— Toujours aucune trace de Nox ? demanda Estelle à Bella.

— Pas du tout, répliqua la loutre. C’est comme s’il avait complètement disparu. Soit il est mort, soit il est retourné dans l’autre monde sans nous prévenir.

— Ça m’étonnerait qu’il l’ait fait… Nox est beaucoup plus respectueux que ça. Il ne l’aurait pas fait sans nous.

— Si tu le dis… mais il ne m’a jamais fait confiance, donc c’est réciproque…

Les cinq voyageurs étaient sortis au nord des bois. De vastes plaines s’étendaient devant eux. Ils ne voyaient rien d’autre que la lueur de la lune rouge. Ils n’entendaient pas le moindre son hostile à l’horizon, ce qui leur permit d’avancer tranquillement, sans se soucier des monstres. L’heure du dîner approchait, mais ils avaient décidé de continuer à marcher. Tous grignotaient des craquelins ou bien mangeaient des champignons ou des noisettes. Wyatt avait remplacé l’eau de leurs bouteilles.

Kylie se sentait mieux que la veille ; les effets des amanites tue-mouche avaient pris une journée pour disparaître complètement. Elle se trouvait à la tête du groupe, prête à défendre ses camarades. Même en dehors des combats, elle préférait faire preuve de prudence. Son frère, quant à lui, se trouvait en arrière de leur formation et avait décidé de sortir son arc et ses flèches, au cas où ils auraient besoin de ses services. Même dans la noirceur, l’éclaireur arrivait à détecter certains mouvements. Il leur restait quelques potions pour lui permettre de voir dans le noir, mais il préférait ne pas les utiliser pour le moment.

— Ça serait vraiment bien si vous pouviez apprendre à vous entendre, ton frère et toi, dit Wyatt à la loutre. Il n’est pas si mauvais que ça, tu sais ?

— Pfft, rêve toujours, commenta Bella. Mais bon, je dois admettre qu’il n’est pas si mauvais que ça, comme vieux schnoque.

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