79.1 - Amanites et toiles d'araignées

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Kylie marchait le long d’un grand salon. Elle venait de grignoter quelques amanites sauvages qu’elle avait trouvées dans le jardin du manoir et avait légèrement mal au cœur. Elle laissa le seau près d’un divan et essaya de se retenir de vomir.

C’était un bel endroit spacieux où ils pourraient se reposer pour quelque temps, mais elle trouvait étrange que personne ne soit venu s’y installer avant eux. Scottie et Nox examinaient l’étage du dessus alors que Wyatt discutait avec la loutre qui le suivait depuis plus de vingt-quatre heures. Kylie avait rapidement remarqué que la petite boule de poils avait un sacré tempérament et qu’elle donnait des ordres à tout le monde, sans s’arrêter. La punk s’était fatigué de ce jeu et avait commencé à l’ignorer à partir du déjeuner. Les autres aussi, d’ailleurs.

Estelle se trouvait au rez-de-chaussée et leur cuisinait un repas sur le petit poêle à bois. Ils avaient été si fatigués, la veille, qu’ils s’étaient couchés près de l’entrée. À leur réveil, ils avaient décidé de transformer ces lieux en quartiers généraux de façon temporaire. D’après ce qu’ils avaient trouvé au garde-manger, ils avaient de quoi survivre plusieurs semaines. Ils étaient bien protégés grâce aux grilles de fers qui entouraient la cour. Cela n’empêchait pas les plus petites bêtes de se faufiler entre les grillages ou les haies. Cependant, ces bestioles-là étaient éliminées sur-le-champ.

Kylie s’installa sur une chaise, devant le divan et essaya de chasser les images qu’elle avait eues dans sa tête, la nuit dernière. Il était impossible pour elle de savoir s’il faisait jour. Ils n’avaient plus aucune notion du temps. Ils ne fonctionnaient plus que par leurs désirs primaires.

À chacun de leurs réveils, Estelle marquait une coche dans un calepin, afin de compter le nombre de journées qui s’étaient écoulées. Ce jour-là, elle avait conclu – ou plutôt décidé – que c’était le 7 avril. Elle s’en voulait beaucoup d’avoir manqué l’anniversaire de Gabriel. Celle-ci préparait de la truite panée, car ils avaient trouvés une rivière qui coulait derrière les grilles du manoir. La ruisseau sillonnait jusqu’au sud de la province et était moins crassée que les autres sources d’eaux trouvées.

Peu à peu, leur situation s’améliorait. C’était la première fois qu’Estelle se sentait heureuse de cuire du poisson. Voilà bien un aliment qu’elle détestait ! Elle était si répugnée de manger constamment des champignons et des plantes sauvages depuis des jours, qu’elle aurait mangé n’importe quoi. De la truite lui paraissait succulent, sur le coup. À côté du plat principal, elle faisait cuire du riz qu’elle avait trouvé dans l’une des armoires. Le grain ne sentait pas le moisi, donc c’était bon signe, d’après Wyatt. Elle avait donc décidé de tout cuire, sans se soucier des conséquences. Après tout, ils avaient tous faim. Elle regrettait de ne pas avoir de margarine ou bien du beurre pour rajouter un peu de saveur à tout ça. Au moins, elle avait du sel et du poivre.

— Ça commence à sentir bon, dit Kylie qui entra dans la cuisine.

Elle avait les mains dans les poches et s’ennuyait un peu. Elle se demandait si elle ne devait pas se rendre utile auprès de son amie, même si elle ne se sentait pas bien. Elle souhaitait discuter avec Wyatt, un peu plus tôt, mais n’appréciait guère Bella. Pour cette raison, la punk n’osait pas s’approcher d’eux. Bref, elle-même ne passait pas une très bonne journée. Sans compter qu’elle ne pouvait pas oublier son rêve.

— Je ne savais pas que tu aimais la truite, dit Estelle en se tournant vers elle.

— Pas tellement, mais j’en ai marre des amanites…

La guerrière s’assit sur le comptoir et ôta ses chaussures. Elle les laissa tomber sous les pieds. Elle mit ses mains sur le bois qui l’entourait et soupira.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Estelle.

— C’est trop embarrassant à expliquer, dit-elle. Mais cette nuit, j’ai rêvé de tes parents…

— Ah… ah bon ?

La blonde gloussa nerveusement. Elle avait fait un rêve en rapport à ses parents, elle aussi. Elle espérait que le cauchemar de Kylie n’avait aucun rapport avec le sien. C’était un souvenir récent qu’elle essayait d’oublier depuis quelque temps.

— Ouais, marmonna la punk. Gabriel était pratiquement nu, mais portait un masque de chien… Il imitait un clébard et jappait… le boss le tenait en laisse… et… euh… ils se faisaient des trucs…

Elle les hallucinait en train de s’enlacer de façon très sexuelle, sous les yeux. Une scène qui ne quitterait pas son subconscient de sitôt. Kylie secoua la tête.

— J’sens que je vais être malade… rajouta-t-elle.

Le teint de la demoiselle tourna au vert alors qu’elle repensait à tout cela. Elle se recouvrit la bouche et essaya de se retenir.

— Ah, leur jeu de rôle canin ! mentionna Estelle. On a fait le même rêve.

— Hein ? dit la jeune femme. Comment est-ce possible ?

— Disons que ça s’est réellement passé… C’était quelques semaines avant que nous partions pour Lanartis. Je rentrais chez nous après avoir terminé mon travail en ville et ils avaient oublié de verrouiller la serrure…

— Oh ma pauvre… ! Quelle horreur ça a dû être pour toi !

Estelle soupira et haussa les épaules.

— Ce n’est pas la première fois qu’ils font une bêtise de ce genre, avoua-t-elle. Mais bon, si ça les amuse, je ne vois pas trop le problème…

Disant cela, l’adolescente essayait de ne pas fondre sur place, tellement elle avait honte de discuter de ce sujet avec sa nouvelle partenaire de combat. La soirée précédente, elle s’ennuyait de ses parents. Puisqu’elle s’était couchée entre les jumeaux, dans leurs sacs de couchages et les coussins du divan, leurs esprits avaient sûrement été affectés par le sien. Leurs liens psychiques devenaient de plus en plus forts, à chaque jour.

Kylie arrivait à ressentir la présence de sa porteuse à quelques mètres du manoir, et l’adolescente aussi pouvait détecter cette dernière. Elles commençaient aussi à mieux se comprendre, à force de se fréquenter. Estelle vivait aussi ce phénomène avec Scottie. Ils formaient une équipe assez solide.

La punk sauta du comptoir et courut en direction d’une corbeille pour dégueuler. Son amie se contenta de secouer la tête. Elle-même avait souvent ressenti des haut-le-cœur en voyant ses parents faire des trucs aussi spéciaux, mais elle était toutefois heureuse de les savoir si heureux, ensemble. Elle s’approcha du zinc et sortit un essuie-main qu’elle trempa dans l’eau du puits qu’elle avait transporté jusqu’ici. Il n’y avait pas d’électricité dans cet immeuble, donc tout se faisait à la main. Elle se tourna ensuite vers la jeune femme à la queue de cheval et lui passa le petit linge humide.

— Ne me dis pas que tu n’as jamais essayé ces trucs avec l’une de tes conquêtes, plaisanta Estelle. Je pensais que tu aimais ce genre de truc…

— Ouais, mais pas avec un homme et surtout pas avec une personne aussi grosse que ton père ! gémit Kylie. Surtout pas avec ses… Oh Athéna, je vais vomir…

Elle renvoya une seconde fois. La petite blonde soupira, pendant qu’elle cherchât un sac de rechange dans les tiroirs. Pendant ce temps, la punk refermait celui qu’elle venait d’user et s’installa à côté de la corbeille.

— Allons, ce n’était rien comme cauchemar, dit Estelle. Au moins ce n’est pas comme la fois où je les ai croisés dans notre toilette, alors que Papa Flint lui faisait une fél…

— Je ne veux pas savoir, trancha son amie, qui ramassa le sac en plastique de la main de celle-ci. Arrête de me mettre ces images dans la tête, je…

Puis, par accident, elle frôla la peau de sa porteuse et eut un flash dans son esprit. Elle vit Flint Markios, penché à genoux, alors qu’il profitait de son imposant mari… L’effet fut instantané : la pauvre guerrière ouvrit le nouveau sac et dégueula.

— Ça m’apprendra à manger trop de champignons frais… fit la musicienne.

— Tu fais un empoisonnement alimentaire, je crois, déclara Estelle. Fais attention, la prochaine fois que tu en cueilleras.

— C’est encore ces maudites amanites ! Je ne retiens jamais lesquelles sont comestibles… En plus, on n’y voit rien dans le noir.

— Tu devrais peut-être aller t’allonger…

— Bonne idée…

— As-tu besoin d’une potion contre la nausée ?

— Tant que tu ne me parles plus de tes parents pour quelques heures, ça ira…

Kylie ferma le deuxième sac et sortit avec les deux paquets pour aller les jeter à l’extérieur du manoir. Estelle soupira de soulagement. Elle savait que ses parents pouvaient être très excentriques et controversés dans leurs activités amoureuses, mais pas au point d’en tomber malade elle-même. Elle se souvint une fois que Misaki s’était tellement inquiété pour la sécurité de l’adolescente qu’elle avait offert de l’héberger quelque temps, histoire de rammener Flint et Gabriel à l’ordre. Évidemment, Estelle avait refusé car ses parents ne la gênait pas du tout.

Alors qu’elle vérifia la truite dans la panne à frire, Estelle se demanda si l’odeur avait empiré l’état de son amie. Elle non plus n’avait jamais aimé cet arôme, toutefois c’était mieux que rien.

Elle avait trouvée des oignons sauvages, ce matin-là et en aurait mis dans cette recette, cependant elle s’était souvenu que les jumeaux y étaient allergiques. C’est Gabriel qui avait reçu cette information, le jour même de leur recrutement. Estelle avait choisi de remplacer ça par de la ciboulette, puisque ses amis en mangeaient à grandes quantités, sans avoir de mauvaises réactions.

L’adolescente vira les truites avec une spatule et rajouta un peu de sel. Elle avait préparé ce genre de repas assez souvent avec Gabriel pour comprendre qu’elle devrait bientôt retirer le tout du feu, sinon elle brûlerait sa nourriture.

Ah, flûte, se dit-elle. J’ai oublié de mentionner à Kylie que les rêves psychiques sont normaux, d’après ce que Nox m’a dit hier… Tant pis, ça sera pour une autre fois !

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