Pendant ce temps, dans l’autre dimension, Estelle et son groupe s’étaient trouvé un endroit sécuritaire où passer la prochaine nuit. Elle avait mentionné à ses camarades comment elle avait décidé de nommer le nouveau monde. Sylgea faisait désormais partie de leur vocabulaire commun lorsqu’ils parlaient de cette dimension.

Ils se trouvaient dans une grotte abandonnée, au nord de Drokaï. Celle-ci avait appartenu à des bêtes, mais il n’y avait plus que des ossements et une odeur de moisissure qui imprégnait ses murs. Wyatt s’était occupé de savonner les lieux avec un sortilège de ses inventions et déjà le groupe ressentait une différence.

Une fois les grottes séchées, ils récoltèrent du bois et des aliments afin de survivre pour la nuit. Ils avaient croisé plusieurs créatures sur la route, mais rien qui ne soit excessivement dangereux. La dernière menace avait été le cyclope du village des pêcheurs. Les jumeaux ne s’étaient pas transformés, depuis cet incident.

— En tout cas, je pensais que la vie d’ici serait pire que sur Aeglys, commenta Wyatt. Par contre, plus le temps passe et plus je commence à m’habituer aux nouvelles règles de la nature. Les potions que nous préparons sont efficaces et nous formons tous les quatre une bonne équipe. C’est quand même malheureux que nous n’avons pas encore trouvé des signes de vies intelligentes dans cette région.

Kylie était en assise en face de lui. Elle leva la tête vers le plafond et lâcha un petit rire qui se voulait rempli d’ironie.

— Je préfère mille fois mieux notre bonne vieille Aeglys. Là-bas au moins, nous n’avons pas à combattre sans arrêt. En plus, nous n’avons pas à nous soucier à savoir quel sera la prochaine bête qui voudra nous botter le cul.

Scottie, à sa droite, lui fit un petit rictus.

— C’est marrant que tu dises cela, ma sœur, déclara-t-il. N’est-ce pas toi qui te plaignais constamment sur le bateau que ça manquait d’action, ce voyage ?

Elle rougit sur le coup et déglutit avant de toiser son frère.

— Oui, mais, Sylgea, c’est vraiment de la merde comme dimension ! grogna-t-elle. Tôt ou tard, on finira par crever si on n’en sort pas !

— Faudra bien qu’on meure un jour.

Il retourna son regard vers le petit feu de camp qu’ils avaient installé dans la grotte.

— Je ne te savais pas si défaitiste, soupira Kylie.

— Nah, juste pessimiste, rétorqua-t-il. Je n’aime pas plus cette dimension que toi, mais au moins, nous avons appris un truc important sur nos origines.

Scottie se tourna vers un coin de leur abri où Estelle était couchée, face contre un mur, dans un sac de couchage qu’ils avaient dérobé à Drokaï. Puisqu’il n’y avait pas de gens là-bas, tout n’était plus qu’une question de survie. Ils s’étaient ramassé plusieurs articles dans le simple but de poursuivre leurs recherches sur la route. Quelques allers-retours plus tard, la grotte était suffisamment sécuritaire pour eux.

— La pauvre, elle est exténuée, ajouta le jeune homme, tout bas. Elle essaie de se faire brave et forte, mais ça se voit qu’elle est terrifiée par cette dimension.

— Mouais, fit sa sœur. Mais nous sommes ici pour la protéger. C’est ce que Flint et Gabriel voudraient. Ses parents tiennent à elle comme la prunelle de leurs yeux.

— De mon côté, c’est mon devoir de veiller sur elle, formula Wyatt. Puisqu’elle est mon élève et celle de Luna, je dois m’assurer qu’il ne lui arrive rien.

Il piqua dans le feu de camp avec un bout de bois, afin de répandre les cendres sous la nouvelle bûche que Scottie venait de placer. Ils n’avaient plus aucune notion du temps, mais ils avaient mangé deux repas ce jour-là. Estelle ne faisait qu’une sieste, après avoir passé une bonne partie de la journée précédente à veiller sur ses amis, alors qu’ils se reposaient. Elle avait lancé tellement de champs de forces qu’elle avait complètement épuisée son énergie magique.

— Ses pouvoirs augmentent, vous ne trouvez pas ? fit Kylie.

— En effet, dit Wyatt. Avant, que vous ne rejoigniez notre groupe, elle arrivait à peine à maintenir ses sorts de protections plus d’une minute. On dirait que votre présence la motive à se dépasser. Son dernier bouclier magique nous a servi une bonne quinzaine de minutes. Malheureusement, elle s’épuise trop vite à cause de cette dimension.

— Je considère Sylgea comme une sorte d’entraînement pour elle, mentionna Scottie. De retour en Aeglys, vous verrez une énorme différence.

— Ah, tu crois ? formula le mage. Ce que tu dis a du sens. Vous-mêmes, vous commencez à lancer des sortilèges plus puissants.

Il se tourna vers Kylie et ajouta :

— Ton dernier appel de la foudre nous a permis de tuer trois harpies. Je trouve que tu t’es beaucoup améliorée depuis notre rencontre.

Kylie rougit timidement et se frotta la nuque.

— Oh, ce n’est rien, dit-elle. À vrai dire, Scottie et moi on s’est beaucoup entraîné sur le bateau, pendant que tout le monde dormait…

— Ah, ça explique vos siestes occasionnelles, remarqua Wyatt.

— Mm-hmm, fit le jumeau. Nous savions que nous étions entourés de talentueuses personnes, alors on ne voulait pas être un fardeau pour la Septième Brigade…

— Qui a dit que vous l’étiez ? demanda alors le mage. Sûrement pas moi.

Scottie se pencha vers l’arrière et s’appuya sur ses mains. Il prit une longue respiration avant de se rasseoir comme il faut.

— Disons que notre ancienne brigade était plus stricte envers nous, commenta-t-il. Spécialement Ruby. Elle était vraiment déchaînée en ce qui concerne nos entraînements.

— À un tel point que cela nous démotivait et on ne voulait plus participer aux sessions, ajouta sa sœur. On a failli y laisser la peau à de nombreuses reprises…

— Kylie exagère, mais elle n’est pas loin de la vérité. Ruby est gentille et tout, mais elle est beaucoup trop exigeante.

La jumelle se pencha pour remuer la soupe qu’elle était en train de préparer avec son frère : un potage aux légumes et quelques champignons. Les animaux sauvages étaient rares et la plupart qu’ils trouvaient étaient déjà en décomposition. Cette dimension semblait avoir de nombreuses ressources pour survivre, seulement, ils ignoraient si Perséphone et ses sbires avaient détecté leur présence.

— Exigeante, ouais, repris Kylie. Elle nous faisait faire des pompes et des redressements assis tous les jours… ça et du jogging autour de la ville. Je suis vraiment contente qu’on se soit débarrassé de cette folle.

— C’est quand même la petite amie de papa… soupira son frère.

— Je m’en contrefiche…

Elle allait prendre une gorgée de sa gourde d’eau et réalisa que celle-ci était vide.

— Fais chier, râla-t-elle. On va encore devoir bouillir d’autre eau.

— Tu veux dire que je vais devoir en bouillir, corrigea son frère. Tu es trop paresseuse pour le faire toi-même.

Kylie lui sortit la langue et s’allongea par terre avant de s’appuyer la tête sur les mains. Elle s’ennuyait à force de rester là, à ne rien faire.

— Et si on fouillait un peu les alentours ? proposa Scottie. Peut-être trouverons-nous quelques trucs intéressants dans le coin...

— Vous pourriez en profiter pour faire une récolte d’herbes sauvages, suggéra Wyatt. Je resterais ici pour veiller sur Estelle.

— Nous sortirons après le souper, dans ce cas, conclut Kylie.

Et c’est ce qu’ils firent.

Une heure plus tard, les jumeaux sortirent de la grotte et longèrent la rivière qu’ils avaient trouvée près de leur abri, un peu plus tôt dans la journée. Celle-ci était vaseuse mais contenait quelques poissons qu’ils auraient pu attraper pour leurs repas. Ils ne comptaient pas prendre ce risque, étant donné que cette eau aurait pu être toxique. Ils trouvèrent toutefois plusieurs champignons comestibles qu’ils mirent dans leurs sacs : la même sorte qu’ils avaient cueillie pour leur soupe. Il faisait tellement sombre sur ces plaines que toutes sortes de fongus poussaient en abondance. Il y avait aussi beaucoup de mousses près des surfaces rocheuses.

— Papa détesterait cette dimension, dit Scottie qui récoltait quelques morilles près de la rivière. Déjà qu’il a perdu un œil et qu’il a de la difficulté à voir dans le noir, il se sentirait comme un aveugle.

— J’y ai pensé, moi aussi, dit sa jumelle.

Elle s’approcha d’un arbuste avec des baies sauvages et ouvrit un petit contenant en plastique pour les mettre à l’intérieur.

— Sinon, continua celle-ci, crois-tu que ça se mange, du monstre ?

— Je préfère ne pas le savoir, répliqua Scottie qui grimaça de dégoût. Shayne pourrait sûrement en tuer quelques-uns et ça ne le dérangerait pas. Selon moi, on est mieux de se limiter avec les plantes, pour quelques jours.

— Beurk… Je donnerais n’importe quoi pour un bon steak avec de la sauce. On a intérêt à demander à Gabriel de nous cuir un festin à notre retour.

Scottie pouffa de rire.

— Qu’est-ce que j’ai dit de marrant ? fit sa sœur.

— C’est la première fois que je t’entends parler de lui en bien.

— Bah… il est un bon cuisinier, non ?

— Oui, mais tu as l’air si indifférente lorsqu’on parle d’eux.

Elle haussa les épaules, avant de répondre :

— Je n’essaie pas de m’attacher, c’est tout. N’oublie pas que nous sommes sous probation avec eux. Il suffit d’un rien pour qu’ils nous renvoient chez nous.

— Ils ne feraient jamais ça…

— C’est ça, tu ne t’es toujours pas sortis de la tête que tu voulais te taper deux hommes mariés... Mais bon, il n’y a rien que je puisse y faire…

— Kylie… râla son frère. Franchement !