72.3 - L'anniversaire du golem

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Gabriel allait se lever pour aller l’attraper, mais le reptile bondit de la fenêtre en plein jour et disparut en vitesse. Un silence de mort régna dans la pièce. Cassandra préféra sortir d’un pas rapide, car elle avait ressenti la colère monter, rien qu’à voir la posture du guerrier bedonnant. Il valait mieux pour elle de ne pas être dans les parages, lorsque ça éclaterait. Aussitôt qu’elle referma la porte derrière elle, Gabriel explosa.

Mais qu’est-ce qui t’as pris d’insulter mon ami !?

Cassandra déglutit et marcha le long du couloir afin de descendre les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée. Elle pouvait entendre les deux mariés se disputer, mais ne faisait plus attention à leurs cris. Elle s’installa sur un banc près de la louve.

— Mon doux… s’exprima Misaki. Que se passe-t-il avec eux ?

— Giotto a fait une remarque que Flint a prise de travers, expliqua la brunette. Vous savez comment est notre andouille de capitaine. Il a de la difficulté à accepter les critiques des gens qui ne font pas partie de son cercle d’amis proches… Ça a mal tourné et notre ami dragon est désormais sur le toit…

— Pourquoi ne suis-je pas étonné ? remarqua le général. L’autre jour, c’était avec moi, là c’est avec un autre collègue de notre groupe… Quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête. Je songe à le rétrograder.

— Allons, ne prends pas de décision ainsi sans même en parler à son père, lui dit Luna. Rappelle-toi que tu es dans notre groupe qu’en tant qu’invité.

— Je suis quand même votre supérieur. Ce comportement n’est pas acceptable pour un capitaine de brigade.

— Comme il n’est pas acceptable qu’un invité de notre groupe veuille tout changer alors qu’il ne participe qu’à un faible pourcentage de nos missions.

— Mais je…

Shayne se tut et souffla des narines.

— Tu marques un point, finit-il par avouer. Il est vrai que je ne fais plus tellement partie de vos sorties de groupe, tellement je travaille d’arrache-pied pour le Conseil de Baldt. Cependant, en tant que général, je dois veiller à ce que toutes nos brigades soient fonctionnelles et que leurs capitaines puissent répondre à toutes les demandes, dans la mesure du raisonnable. Flint ne fait que se comporter comme un gamin, ces derniers temps. Je propose que nous passions au vote et que vous choisissiez un nouveau représentant jusqu’à ce qu’il prenne conscience de ses actes.

— Ou plutôt, apprends à te mêler de tes affaires, lui reprocha Luna.

— Luna ! dit Cassandra.

— Non, mais c’est vrai quoi ! s’exclama la magicienne, furieuse. Je commence à comprendre pourquoi Flint est vénère à chaque fois qu’on questionne ses faits et gestes. Laissez-le tranquille, bon sang ! Il sait ce qu’il fait, vous n’arrêtez pas de lui mettre une pression énorme sur le dos avec toutes vos reproches. Puis bon sang, Shayne… T’es pas avec nous si souvent et nous on le sait comment il se comporte quand tu n’es pas là ! Et on sait comment le gérer, alors viens pas nous dire comment on doit s’occuper de notre équipe ! T’es peut-être notre supérieur, mais le respect, ça se gagne mon coco ! Et là, tu viens de perdre le mien !

Le vampire décida de ne rien dire. Il encaissa toutes les critiques qu’il venait de recevoir de la part de sa jeune amie.

— En même temps, ce que Luna dit n’est pas faux, remarqua Misaki. Notre dynamisme avec Flint est très différent qu’avec toi. On sait que tu es autoritaire et que tu aimes que tout soit suivi à la lettre, selon les directives du Conseil et j’en passe… Cependant, tu le sais mieux que quiconque ici que les Markios n’ont jamais été capables de dompter la bête qui sommeille dans l’âme de notre capitaine. C’est un anarchiste au cœur tendre. Le seul temps qu’on peut raisonner avec lui, c’est quand il est avec des proches. Malheureusement, lui et toi, vous n’êtes plus tellement sur la même longueur d’ondes…

— Oh misères… soupira Shayne. Je regrette la bonne vieille époque où Nash était parmi nous. Tout était si simple avec lui. Maintenant c’est moi qui encaisse les insultes…

— Oui, mais Nash était constamment stressé, remarqua Luna. Nous, on sait comment gérer son neveu. Il faudrait que tu fasses un effort pour mieux le comprendre. Ce n’est pas vraiment une mauvaise personne… Il est juste émotionnel et entêté comme la plupart des Markios… nuance, comme tous les Markios…

— Peut-être, mais s’il commence à s’en prendre aux esprits élémentaires avec qui il ne s’entend pas, nous ne sommes pas sortis de l’auberge, somma le vampire.

Les trois jeunes femmes pouffèrent de rire, y compris la louve. Le général ne s’était pas rendu compte qu’il venait d’utiliser une expression familière, qui faisait référence à l’endroit où ils se trouvaient réellement. Lorsqu’il réalisa pourquoi elles riaient, il se cogna la tête sur la table à quelques reprises. Il râla tout bas des trucs qu’elles ne comprirent pas.

Dia se dit qu’il était mieux pour elle de retourner dans la chambre. Elle ne pouvait pas participer à ce débat, puisque les aubergistes pensaient qu’elle n’était qu’une simple chienne. L’animal descendit donc de son banc et grimpa les escaliers afin de marcher le long du couloir de l’étage supérieur. La porte était toujours fermée, elle l’ouvrit avec sa magie et entra dans la pièce.

Elle vit que Flint était allongé sur le lit et que Gabriel était installé sur une chaise avec le dragon sur son épaule. Ainsi donc, Giotto était revenu. Le golem ne disait rien à son mari, vexé. C’était leur première dispute depuis un bail.

— Allons les gars, ce n’est pas comme ça qu’on devrait célébrer ce trente-deuxième anniversaire, remarqua la louve.

Elle referma la porte derrière elle et bondit sur le lit. Gabriel ne dit rien. Il prit une gorgée de la soupe qui était réservée à son époux. Il fixait un mur depuis un bon moment.

— Il y a du gâteau en bas, allons, couina Dia. Du gâteau et personne ne l’a touché…

Flint soupira et se tourna sur son côté droit. Il regardait un autre mur et voulait éviter de voir l’expression de son mari. Sa hanche ne lui faisait plus du tout mal, mais il se sentait très faible à cause d’avoir passé tout ce temps cloué au lit. Gabriel prit une plus grosse gorgée et fit exprès de faire du bruit.

— Vous allez vraiment me faire parler dans le vide, c’est ça ? continua Dia.

— Je ne sais pas, commenta Gabriel. Si au moins il pouvait s’excuser à Gio…

— Pfft… fut la seule chose qui sortit des lèvres de Flint.

— Nous revoilà quatre ans en arrière, quand cet imbécile n’était même pas capable de se présenter aux autres de manière civilisée, formula le colosse. Tout compte fait, les choses n’ont pas tellement changé… hein, ducon ?

Il tourna sa tête vers son mari. Flint lui répondit avec un doigt d’honneur.

— Non, mais arrêtez, bon sang ! brailla Dia. Vous êtes Flint et Gabriel… vous êtes en couple depuis si longtemps, comment pouvez-vous vous disputer ainsi ! Vous formez une équipe de tonnerre… Alors ça suffit cette fichue querelle ! Vous êtes en train de me briser le cœur… Je vais devoir m’en aller, si ça continue… Je ne peux pas endurer toute cette tension dans votre groupe… C’est… trop difficile…

La louve pleurait à chaudes larmes. Le capitaine et son époux se tournèrent vers elle au même moment, pour remarquer la présence d’une corruption étrange. Une énergie sombre entourait l’animal, alors qu’elle s’enfonçait le museau entre ses pattes.

— C’est quoi ça ?! dit Flint qui pointa la chose au-dessus de la louve.

— C’est ce qui arrive aux esprits élémentaires qui sont corrompus par le mal qui ronge dans le cœur de leurs porteurs, expliqua Giotto. Mais je n’ai pas vraiment à te dire quoi que ce soit, puisque tu ne veux rien savoir de moi.

— Minute, remarqua Flint. Je suis en train de la corrompre… ?

La corruption magique disparut aussitôt qu’il ressentit du chagrin pour elle.

— Ne me ferme plus ton cœur… supplia la louve. Ça fait si mal de me sentir rejetée…

— Ce n’en était pas mon intention, soupira Flint. Je suis désolé…

Il se mit à genoux près de la louve et la supplia à quatre pattes.

— Pourquoi es-tu si cruel envers tout le monde… ? couina-t-elle.

— Je ne sais pas, dit-il. Je suis con, c’est tout… Et puis la colère et la dépression font partie de ma vie depuis tant d’années que c’est maintenant une seconde nature, pour moi.

— Ouais… mais essaie de te rentrer dans la tête que nous avons formés un lien, toi et moi. Tu ne dois pas rejeter ma présence, sous aucun prétexte. J’ai besoin de toi !

Flint serra l’animal contre lui et se mit à pleurer à son tour, il s’en voulait d’avoir fait souffrir son amie. Il caressa sa fourrure et l’embrassa sur la tête. Elle se calma un peu et lui lécha le menton, en guise d’affection.

— Il s’est passé quoi, au juste ? demanda Gabriel au dragon. Je ne suis pas certain de comprendre… Comment une corruption peut-elle arriver à un esprit élémentaire ?

Le reptile hésita un moment avant de lui répondre :

— Une corruption arrive surtout lorsqu’un porteur entre en crise et qu’il rejette tout ce qu’il croit, comme sa propre foi. Si le cœur de Flint s’assombrit, par exemple, Dia en souffrira. Son geste de compassion a annulé ce qu’il était en train de lui faire. Habituellement, ce genre de phénomène n’arrive que très rarement. Le porteur et l’esprit doivent vivre une émotion négative très intense telle que la haine, le désespoir et parfois même un profond désir de vengeance.

— Donc… si nous devions vivre une situation similaire, toi et moi, tu deviendrais à nouveau la grosse bête féroce que nous avons dû battre au campement… C’est ça ?

— Exact, cependant, comme je l’ai expliqué, c’est un phénomène très rare. Il n’apparaît pas souvent. Le porteur doit surtout avoir une forte résonance au monde spirituel, d’après ce qu’on m’a dit. Puisque Flint est un ange, ceci explique cela.

Le blond cligna des yeux et se tourna vers le dragon.

— Donc, puisque je suis être de lumière, j’ai failli tuer Dia sans le vouloir, à cause de mon émotion négative ? marmonna celui-ci. C’est n’importe quoi ! Comment les dieux ont-ils pu penser que ça serait une bonne idée lors de la création des esprits ?

— Je ne saurais répondre à cette question, répondit Giotto. Par contre, tout ce que je connais de ma fratrie, je pourrais vous l’enseigner, à toi et les autres… Seulement, avec la façon dont tu m’as adressé la parole, plus tôt…

— J’ai compris ma leçon… Je m’excuse de m’être comporté comme un imbécile et de t’avoir traité de cette façon. Je ne recommencerais plus.

— Tu dois le promettre, grogna Gabriel. Ces esprits ont besoin de nous pour une bonne raison et tu t’en es pris à lui, alors qu’il ne voulait que t’aider.

Le colosse prit Giotto dans ses mains et l’avança vers son mari, tel un félin qui se faisait transporter par son maître. Il se leva afin d’approcher le dragon.

— Maintenant tu dois nous jurer de ne plus lui manquer de respect et lui faire un bisou sur la tête, gronda-t-il.

— Euh, le bisou n’est pas nécessaire, hein ? demanda le reptile qui leva son regad vers le gros guerrier. Je ne suis pas un animal de compagnie quand même…

Flint secoua la tête et esquissa un sourire en coin.

— C’est bon, je ne lui dirais plus rien de méchant… à moins d’être provoqué.

— On peut dire que c’est acceptable comme raisonnement, avoua le dragon.

Gabriel posa alors le reptile argenté sur le lit et s’assit derrière lui et près de la louve. Il sourit alors, un sourire réservé à son époux. Même s’il était toujours un peu frustré envers lui, il était heureux qu’il se soit réveillé.

— Tu sais quoi ? dit-il à Flint. La seule chose que je vous demande à tous les deux, c’est d’essayer de vous entendre. C’est le seul cadeau d’anniversaire que je souhaite pour cette année… Enfin, ça et une autre requête.

— Une autre requête ? formula le blond. Quoi donc ?

Le colosse réfléchit à ce qu’il allait dire. Il ne voulait pas empirer l’atmosphère dans la chambre, mais savait que Flint faisait beaucoup parler de lui dans son dos, de la part du vampire. Il espérait qu’ils finiraient par recommencer à bavarder.

— J’aimerais que tu te réconcilies avec Shayne, suggéra-t-il.

— Mais pourquoi ? On n’a aucun point en commun…

— Peut-être, mais il y a un temps, vous étiez quand même en meilleurs termes…

Flint n’aimait guère cette deuxième demande mais se dit que c’était pour le bien-être de tous. Ce fut pour cette raison qu’il allait attendre d’avoir repris des forces, pour essayer de passer un peu plus de temps avec le général. Gabriel espérait que son plan allait fonctionner, car il désirait plus que tout que les disputes cessent entre eux.

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