70.1 - La double surprise de Gabriel Markios

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Le dragon et le colosse s'étaient observés pendant un moment. Tous deux semblaient embarrassés par leur conversation de la veille. Leurs compagnons ne savaient pas s’ils devaient s’en mêler, puisque Giotto avait insisté à lui parler tout seul. Ils décidèrent quand même de rester tout près, au cas où quelqu’un devrait servir d’intermédiaire.

— En fait, commenta l’esprit de la création, le sang de mon ancien corps coule dans tes veines. Je le perçois parce que nous, les créatures élémentaires, arrivons à ressentir les particules magiques qui nous ont déjà appartenu. Rien qu’en te humant, j’ai compris que j’avais raison sur toute la ligne.

— Qu’est-ce que ça change au fait qu’il ait ton sang en lui ? demanda alors Luna, qui s’intéressait à la conversation.

— Ça veut dire que même s’il ne peut pas lancer de sortilèges, il pourrait, s’il le désirait, synchroniser avec moi, expliqua le reptile. Ce n’est certainement pas la méthode la plus conventionnelle qui soit de tisser un lien avec un porteur, cependant Gabriel fait partie d’un groupe où plusieurs d’entre vous ont déjà protégé des membres de ma fratrie.

Le golem se prit le menton puis se frotta la barbe. Il était appréhensif de savoir qu’il était à moitié dragon. Il se sentait beaucoup plus comme un humain, de l’intérieur.

— Aussi, tu n’as plus d’armes puisque tu as cassé la tienne sur mes écailles, hier, ajouta Giotto. J’aimerais te rendre service et devenir ta prochaine hache, si tu le veux bien. Nous pourrions ainsi nous entraider.

— Je ne sais pas, dit Gabriel. Je t’ai quand même crié dessus hier, à cause de la disparition de ma fille. Je ne mérite pas vraiment ta confiance.

— Ce n’est pas de ta faute, expliqua le dragon argenté. Vous ne pouviez pas prévoir – en tant que groupe – que l’ennemi vous enverrait autant de monstres et enlèverait quatre d’entre vous.

— Il marque un point, répondit Luna. Nous nous sommes fait avoir comme des débutants.

— Toutefois, il y a quelque chose que je dois admettre, dit la louve, qui attira l’attention vers elle. Je crois me souvenir que j’ai moi aussi été kidnappée de cette manière, lorsque je suis revenue de mon séjour au Saint Royaume.

— Ah bon ? fit Shayne.

— Ouais… Plus le temps passe, plus je commence à me remémorer certains détails… Comme ces mains ténébreuses qui sont venues me chercher pour m’emmener dans l’autre dimension… Je me souviens d’avoir erré pendant des heures, jusqu’à ce que je m’évanouisse. Ensuite, à mon réveil, j’étais emprisonnée dans une pièce sombre en compagnie des autres esprits élémentaires. Le reste est un peu flou dans ma tête.

— C’est un peu aussi mon vécu durant ces trois dernières années, expliqua le dragon. Peut-être qu’en croisant d’autres esprits, nous réussirons à mieux comprendre ce qui nous est arrivé…

— Je vois, répondit Shayne, soucieux. Ils ont réussi à corrompre ton âme, mais pas celle de Dia. Ce qui veut dire que la plupart de nos amis élémentaires sont probablement dans la même situation que toi tu l’as été, jusqu’à hier soir.

— Windy serait donc possédée ? questionna Cassandra. Je n’ai même pas envie d’y penser ! Pauvre petite… J’espère que nous n’aurons pas à combattre contre elle.

— Ne sautons pas aux conclusions, suggéra Giotto. Nous devrions plutôt essayer ce que je tentais de faire avec Gabriel, il y a quelques minutes.

Il tourna donc son regard vers le guerrier bedonnant et l’observa, de la tête aux pieds.

— C’est bête, quand on y pense, tu as justement la taille idéale pour un casse-croûte… plaisanta le dragon. Et dire que le sang qu’on m’a volé a servi pour te créer…

— N’y pense même pas ! couina le golem.

Il se cacha derrière Shayne. Il dépassait celui-ci d’une tête et était tellement large que cela rendait la situation absurde, aux regards de ses amis.

— Allons, je ne bouffe pas les humains, déclara Giotto. C’était pour rire…

Le colosse grogna comme un chien.

Dia roula des yeux et se tourna vers son frère écaillé.

— Allons, Gio ! Ce n’est pas comme ça qu’on convainc une personne de synchroniser avec nous. Excuse-toi tout de suite.

— Pardon… Hi hi hi… gloussa-t-il.

Misaki haussa un sourcil pendant qu’elle observait le dragon. Celui-ci avait une attitude plutôt adolescente, contrairement au vieux sage qu’elle avait vu mourir, quatre ans plus tôt.

— Est-ce normal que tu te comportes ainsi ? demanda l’albinos. Car je n’ai aucun souvenir de t’avoir vu agir de la sorte avec qui que ce soit.

Giotto secoua la tête et la baissa, honteusement. Il s’allongea et se croisa les pattes avant, tel un gros félin le ferait pour se coucher.

— Mon hôte est jeune et effronté, il faut l’excuser, dit-il. Il a une forte tête et pour cette raison, embrouille mes idées. Je dois passer à travers une période d’adaptation avant que lui et moi ne formions plus qu’une seule personne. S’il m’arrivait par exemple d’agir bizarrement, veuillez je vous prie m’en excuser…

— Pardon ? dit Luna. Est-ce que ça veut dire que vous n’êtes pas compatibles ?

— Au contraire, mon amie. Il est seulement un peu farceur et n’a pas envie de disparaître complètement. Riordan était un brave dragon qui a grandi à mes côté. Il était mon deuxième hôte de choix. S’il devait périr, mon âme irait directement dans le corps de Yuki Megumi, à moins que je ne forme un troisième vassal.

Misaki grimaça de dégoût.

— Tu veux dire que ton âme prendrait le dessus, c’est ça ? grogna-t-elle. Parce que si c’est le cas, je jure par tous les dieux et déesses de ce monde que je t’exorciserais de mon fils. Je t’interdis de t’en approcher, tu m’entends ?

— Il n’y a pas de quoi paniquer, tenta de lui rassurer Giotto. Nous ne formons plus qu’une seule et unique entité. Nous partageons les mêmes souvenirs, nos sagesses et j’en passe. Si j’avais pris le corps de ton fils à un âge raisonnable, tu reconnaîtrais quand même ton fils. Il aurait seulement plus de connaissances sur le monde et pourrait lire dans mes souvenirs afin de résoudre certains problèmes d’ordres divins.

— Je ne te crois pas, répliqua Misaki. À voir comment tu es la personnalité dominante de ce dragon-là, il m’est impossible de te faire confiance.

— Tu m’en vois navré… Riordan savait ce qu’il faisait en acceptant de devenir mon hôte. Même en ce moment, il s’inquiète pour moi. Par contre, je vais devoir lui demander d’arrêter de taquiner Gabriel…

— Vaut mieux pour lui, sinon je te casse la figure, pleurnicha le golem. Je tiens à ma peau ! Va bouffer autre chose…

Luna, à côté du colosse, secoua la tête.

— Pas besoin de te comporter comme un gros bébé, Gab…

— Si ça peut vous rassurer, continua le dragon, je ne dévore que des créatures sauvages et des monstres, lorsque j’en ai l’occasion. Je ne mange pas d’humains. Riordan, si, mais il va devoir s’y faire désormais. Nous allons suivre mon régime.

Le reptile eut alors une expression confuse et triste en même temps. Les deux personnalités étaient en conflit d’intérêt.

— T’es pas cool, grand-père, marmonna la voix du dragon qui s’adressait à lui-même.

— Tu es en train de ruiner mon pacte avec Gabriel, grogna l’autre personnalité.

Le reptile se releva et prit un air sévère.

— C’est bon… Je me tais, bouda Riordan qui souffla de petites flammèches en dehors de ses narines. Si on ne peut même plus s’amuser…

Dia déglutit. Elle espérait ne jamais avoir à confronter une situation de ce genre. Elle n’avait jamais partagé son âme avec le corps d’une autre créature, mais d’après ses souvenirs, c’était une pratique risquée et parfois dangereuse pour ses pairs. Giotto avait eu la chance de s’accoupler, des centaines d’années plus tôt. Maintenant, il avait un petit-fils qui s’était porté volontaire pour devenir le prochain esprit élémentaire de la création. Le dragon lui avait tout expliqué durant la nuit.

— Et comment fait-on pour se débarrasser de l’âme d’un esprit élémentaire, si cela ne nous convient plus ? interrogea Luna. Je suis curieuse…

— Nous nous séparons, tout simplement et notre ancien hôte continue sa vie avec autonomie. Quant à notre âme, elle ère à travers le monde, dans l’espoir de se réincarner dans le corps d’un nouveau-né ou bien trouver une personne volontaire qui serait d’accord pour nous aider… Bref, on s’y fait. Vous n’avez pas à vous inquiéter de nos coutumes. Ma fratrie et moi pratiquons cela depuis le tout début des temps.

— C’est répugnant… dit Misaki entre les dents.

— Et pourtant, tu n’aurais pas su faire la différence, si j’avais décidé de renaître à travers ton fils sans ton consentement. Son âme et la mienne se seraient fusionnées au fil des années et il aurait acquis toutes les connaissances nécessaires pour devenir mon successeur. Tu me connaîtrais alors en tant que Yuki et non en tant que Giotto.

— Ça suffit ! ordonna l’albinos. Je ne veux plus en entendre parler !

Elle fit volte-face et s’éloigna du campement. Inquiète pour son amie, Cassandra décida de la suivre. Le dragon les observa s’éloigner, horrifié.

— Je crois qu’il y a encore des choses qui m’échappent quant à l’être humain, se dit-il avant de baisser son regard vers la louve.

— Tu crois ? Ha ! Elle est bien bonne celle-là, répliqua sa sœur, sarcastiquement.

— Mais qu’est-ce que j’ai dit, encore ?

— Juge par toi-même. Ça ne se fait pas dire ça à une mère.

— Mm hmm, fit Luna qui approuvait les paroles de Dia.

Giotto poussa un long râle et battit sa longue queue épineuse dans la terre, frustré. Il fit vibrer le sol, sous leurs pieds. Gabriel éclata alors de rire, pour avoir observé la bête. Il se plia en deux, tellement il trouvait cette réaction amusante.

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