59.1 - La crise d'Estelle

7 minutes de lecture

C’était une chaude journée de printemps, soit le 26 mars 3918 AD. La neige avait commencé à fondre à travers la ville et la république de Baldt. La population profitait de cette température pour se promener moins chaudement, à l’extérieur.

Flint avait opté pour louer une calèche assez grande pour son mari et la plupart de ses partenaires de mission. À l’intérieur de la voiture, Gabriel, Estelle et les jumeaux se partageaient les sièges, alors que Cassandra avait décidé de se louer un cheval, à part. Voilà une bonne heure qu’ils étaient sur la route et le moment de dîner approchait tranquillement. Le capitaine décida qu’il allait bientôt arrêter les chevaux près de la rivière. Il songeait manger avant de reprendre la route.

Ils finirent par trouver un endroit stable où ils purent entreprendre cette pause.

Gabriel fut le premier à sortir de la voiture, alors que sa fille le suivit de près. Ensuite vint le tour des jumeaux. À en juger l’expression de son enfant, Flint comprit que les choses ne semblaient pas s’arranger enter Kylie et elle.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda le capitaine à la punk.

Elle haussa les épaules.

— Je n’en sais rien, informa celle-ci. Elle m’a fait la gueule durant tout le trajet.

— Son comportement n’est pas adéquat, répliqua Flint. Je vais devoir lui en parler, lorsque j’aurais une petite minute.

— Ne vous en faites pas pour moi, chef. Je commence à en avoir l’habitude. Toutes les femmes croient que sous prétexte que je sois lesbienne, que ça fait de moi une sorte de prédatrice qu’il faut fuir.

— C’est très étrange comme raisonnement.

— Que voulez-vous que je vous dise… J’aime les femmes, mais elles ne m’aiment pas…

Elle fronça des sourcils et soupira.

— Peut-être qu’avec une a… approche différente, elles n’auraient pas si peur de toi ? lui suggéra son frère. Je ne dis pas ça pour te r… rabaisser, mais ça frôle l’obsession, ton t… truc.

Il avait les mains derrière la tête et observait le paysage. Sa sœur le toisa, frustrée. Elle se craqua alors les doigts et examina la rivière.

— Voulez-vous que j’aille pêcher, Monsieur Markios ? demanda celle-ci.

— Avec tes mains ?

— Je n’ai qu’à foudroyer la surface de l’eau et les poissons vont remonter.

— Du m… moment que ça ne fasse pas trop de g… gaspillage, ajouta son frère.

Flint hocha la tête, avant de répondre :

— D’accord. Mais avant que vous vous éloigniez, j’aimerais préciser que nous ne sommes pas tellement formels dans ce groupe, donc vous pouvez me tutoyer et m’appeler par mon prénom, si vous en avez envie.

— Ah bon ? fit Kylie. Parfait ! Je commençais à vous prendre pour un grand-père !

— Ky’… ajouta son frère, qui l’observait sévèrement.

Celle-ci n’accorda aucune importance à son jumeau et retroussa ses manches.

— Bon bah, vous m’excuserez, les gars, mais j’ai du poisson à aller pêcher !

Pendant qu’elle s’éloignait d’un pas enthousiaste, Scottie demeura près de Flint.

— F… faut l’excuser, soupira celui-ci. Elle n’a aucune m… manière…

— Je ne suis pas si vieux que ça… hein ? marmonna le capitaine, pour lui-même. J’ai peut-être trente ans et quelques mois, mais ça ne fait pas de moi un grand-père…

Il avait presque les yeux larmoyants.

— Euh, c… capitaine… ? bégaya le jumeau, la tête penchée. Est-ce q… que ça va ?

Le blond sursauta et se mit à rire nerveusement.

— Oui ! Tout va parfaitement bien ! mentit son supérieur. Peux-tu aider Gabriel ? Je vais aller faire boire les chevaux, un peu plus loin.

Le jeune homme à la chevelure bleutée observa ce dernier bizarrement, avant de s’approcher de la calèche. Il aida ensuite le colosse à sortir une marmite de la caisse où ils pouvaient ranger toutes leurs affaires. Ensuite, il ramassa quelques ingrédients. Ils allaient faire un potage aux légumes pour le dîner et quelques sandwichs. Kylie s’occuperait de faire griller quelques poissons et ils finiraient le tout avec des gourdes d’eau qu’on avait pris soin de remplir au réfectoire de la cafétéria.

Lorsqu’ils eurent terminé de faire cuire le repas, Gabriel et Scottie appelèrent le reste du groupe et ils mangèrent tranquillement. Estelle évita d’approcher la jumelle, comme la peste. Elle refusait même de manger le poisson qu’elle avait attrapé pour eux. Puisqu’il trouvait le comportement de sa fille absurde, Flint prit celle-ci par le bras et l’emmena loin des autres.

— Qu’est-ce qui te prend ? dit-il. Elle n’a rien fait de mal depuis qu’elle est avec nous. Gab m’a dit qu’elle a même essayé de te demander si tout allait bien, mais que tu l’as complètement ignorée.

— Je ne veux pas de cette femme dans notre groupe, répondit celle-ci.

— Eh bien, tu devras t’y faire, parce qu’elle est avec nous pour les trente prochains jours.

— Dans ce cas, trouvez-vous une remplaçante parce que je refuse de travailler avec elle.

Elle fit demi-tour et s’approcha du groupe, en plus de se croiser les bras. Elle se pencha pour ramasser ses affaires et s’éloigna ensuite dans une direction opposée.

— Tu ne vas quand même pas rentrer à pied !? héla le capitaine, abasourdi.

— Regarde-moi faire ! répliqua sèchement sa fille.

— Mais Estelle… !

Elle ne se retourna même pas. L’adolescente fit même un doigt d’honneur à Kylie, lorsqu’elle passa devant elle. Cela causa un malaise, au sein de leur groupe et coupa l’appétit de son autre père. Gabriel ne savait pas trop comment réagir, tellement il était choqué de voir sa fille se comporter ainsi. Il se tourna vers les jumeaux, inquiet.

— Je suis honnêtement navré, dit-il à la punk. Elle est très étrange aujourd’hui.

— Normalement, je dirais que cette fille est homophobe, commenta Kylie. Mais elle a été élevée par deux gays… Je ne pense pas que le problème soit ma sexualité. Elle ne m’aime tout simplement pas.

— En tout cas, ce n’est pas professionnel du tout, mentionna l’elfe. Elle est en pleine phase de rébellion, comme la plupart des ados à cet âge.

— Je me doutais bien que ça allait arriver, tôt ou tard, soupira le colosse. Elle n’apprécie pas les changements autour d’elle, donc elle se révolte.

— Oui, mais est-ce une raison de se montrer aussi froide envers Kylie ? ajouta la guérisseuse. Je ne crois pas. Il y a quelque chose qu’elle garde pour elle et ne vous en a pas parlé, je suppose. Une multitude d’enfants font ça, en grandissant…

— Notre fille nous dit tout, normalement, déclara Flint.

Il venait de s’approcher du groupe et écoutait la conversation.

— Je ne peux pas la laisser partir seule, poursuivit ce dernier. L’un d’entre nous va devoir la raccompagner en ville.

— Je peux y aller avec l’un des chevaux, proposa alors Cassandra. Je reviendrais lorsque ça sera terminé. Qu’en pensez-vous ?

Le golem hocha la tête, suivit de son mari. Elle termina donc son potage en vitesse, et se leva pour aller chercher la monture qu’elle avait utilisée pour les suivre.

Il ne restait plus que Flint, Gabriel et les jumeaux.

— Ce n’est pas comme ça que j’aurais imaginé notre première mission de groupe avec vous, ajouta le capitaine.

Il tapa dans le sol avec son poing, furieux.

— Ça va, répondit le colosse. On ne pouvait pas prévoir qu’il y aurait tant d’empêchements pour les autres. Aussi, notre fille est en pleine crise d’adolescence. Je pense qu’elle devrait prendre congé de notre brigade, quelque temps. Lorsqu’on reviendra de Lanartis, elle se sera sûrement calmée. Je m’assurerais qu’elle lui présente ses excuses.

Il pointa Kylie de son regard.

— Ça n’en vaut pas la peine, mais merci, répondit cette dernière.

— Nous ne l’avons pas élevée à être aussi effrontée, ajouta le capitaine. Elle a appris ces gestes en fréquentant des jeunes de son âge.

— J’ai le sentiment que tout ça vient de l’académie, répliqua la punk. Depuis qu’on l’a ouverte en ville, il y a de plus en plus d’immigrants qui viennent s’installer chez nous. Il y a désormais trop de jeunes et pas assez d’enseignants pour les remettre à leur place.

— Je n’aurais pas dit ça comme ça, mais tu marques un point, mentionna le golem.

— Papa fait de son mieux, soupira Flint. Ce n’est pas pour rien qu’il a été réélu en novembre dernier. Il fait tout pour que les gens soient heureux.

Gabriel et les jumeaux hochèrent leurs têtes. Il était vrai qu’Artael était un président aimé et respecté de sa république. Toutefois, ce dernier avait tendance à prendre des décisions qui frôlaient l’absurdité : comme le fait d’ouvrir une académie et d’en faire le point central des immigrants et des touristes. En premier temps, tout ça avait été une excellente idée et cela avait rehaussé l’économie de la nation. Cependant, le père de Flint n’avait pas imposé de limites au nombre de gens qui pourraient venir s’installer à Baldt. Désormais, ils étaient surpeuplés.

Le palais, autrefois à moitié vide, était enfin habité du cinquième étage jusqu’au sous-sol. Quelques chambres avaient été rénovées, rien que pour en faire des dortoirs pour les académiciens et les nouveaux brigadiers. Le périmètre de la capitale avait augmenté et plusieurs bâtiments avaient été construits. De nombreux blocs appartements et boutiques avaient vu le jour, par la même occasion.

Annotations

Vous aimez lire TeddieSage ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0