54.2 - La lettre de William

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Kyran mit une main sur l’épaule de son père, esquissa un sourire et le laissa en compagnie de la dame ; il décida qu’il valait mieux pour lui de retourner à ses autres occupations. Artael remercia son fils de lui avoir apporté son déjeuner et observa son amie, en silence. Celle-ci était plongée dans ses pensées.

— Vous savez, Ellen… Sans votre aide, je crois que notre république aurait fini par tomber… Je vous dois tout, dit-il. Notre armée a largement souffert à cause des subterfuges de l’ennemi… et vous n’étiez pas forcée de nous léguer vos hommes et femmes… pourtant, vous l’avez fait sans hésitation. Je vous en remercie éperdument.

Ellen se mit à rougir avant de glousser, puis répliqua :

— Je l’ai fait parce que Baldt est ma ville natale. Les gens de la capitale sont un peu comme ma seconde famille. Ça a été pour moi un honneur de vous rendre ce service. J’espère que vous aurez toujours besoin de moi, à l’avenir. Croyez-moi quand je vous dis que vous auriez grand besoin de mieux structurer vos troupes.

Artael rougit de honte. Depuis novembre dernier, il avait eu beaucoup de difficulté à gérer l’armée. Il réalisait que malgré les défauts de l’ancien Conseil, la plupart des anciens chefs de leur nation savaient ce qu’ils faisaient dans leurs tâches. Malgré tout, le président et son équipe actuelle commençait à s’adapter.

— Bien entendu, Ellen, dit-il. Votre poste est permanent. J’ai espoir qu’avec votre aide et les durs labeurs de nos généraux, nous réussirons à faire de cette république, un endroit sécuritaire pour les civils.

La dame sourit et hocha la tête.

— Shayne et les autres ont déjà commencé à détruire le centre de détention, expliqua celle-ci. Les plans de construction pour l’académie militaire sont toujours en cours. Il ne manque plus qu’à engager plus d’ouvriers.

— Ah, et le Conseil a approuvé cette décision sans moi ?

— Au diable le Conseil ! dit-elle en riant. Nous n’avons pas besoin de leur autorisation, nous savions que c’était dans vos intentions de faire construire l’académie, depuis que Misaki nous en a fait part. Et même si nous aurions voulu faire une réunion, ça n’aurait pas été possible avec la moitié des conseillers morts…

Artael commençait à regretter ses paroles et à prendre conscience du nombre des personnes qui avaient été tués durant son coma.

— À combien s’élèvent les pertes ? demanda-t-il, aggravé.

— Au moins mille cinq cents personnes ont été tuées durant l’invasion, d’après nos données. Nous n’avons pas encore fini de compter le nombre des cadavres, mais nombreuses de ces victimes étaient des visiteurs et faisaient partie de la guilde.

— Tant que ça ?! s’exclama Artael, qui perdit aussitôt l’appétit.

— Eh oui… soupira la maréchale.

Malgré tout, la capitale avait plus de vingt-mille habitants prêts à le suivre dans ses plans et ce, sans oublier les milliers de citoyens de la république qui vivaient à l’extérieur de Baldt. Le président se sentait comme s’il venait de se prendre une gifle en pleine figure. Il baissa son regard qui s’assombrissait à chaque seconde.

— Nous nous en sortirons, dit-il avant de devenir agité. Ça risque de nous prendre un temps de chien, mais nous nous en sortirons et je fais la promesse que notre république reprendra des forces d’ici la fin de l’année. J’espère que nos civils sauront coopérer… On risque d’en baver.

Bien qu’il fût plein d’ambition à cet instant, le président eut sur le coup, un pincement dans l’abdomen et grimaça de douleur.

— Encore faudrait-il que vous soyez vivant pour faire en sorte que cette vision se réalise, mon cher ami, dit Ellen sur un ton moqueur.

Artael grinça des dents.

— Vous dites vrai, soupira celui-ci. Pour le moment, je vais me contenter de cette rôtie et de l’omelette… Après on verra.

Suite à cela, Ellen annonça à son supérieur que ses enfants étaient tous sains et saufs, qu’ils avaient perdus trois capitaines lors de l’invasion et une multitude de brigadiers. Plusieurs équipes avaient été modifiées, pour cette raison. Les efforts pour trouver de nouvelles recrues, dans les jours à venir, seraient très importants. Du moins, c’était ce qu’elle lui suggéra. L’académie militaire qu’on comptait construire dans la ville serait un atout essentiel pour leurs rangs. Une fois construite, ils pourraient commencer à recruter des gens pour y enseigner et débuter les inscriptions à travers toute la nation.

La dame se leva ensuite, salua le président et se déplaça vers la sortie. Artael termina son repas déposa le plateau sur la chaise à côté de lui, puis se rallongea, alors qu’il essayait de calmer ses nerfs. Après tout ce qu’il venait d’apprendre, il avait presque envie de prendre des somnifères…

À l’aube, Cassandra n’avait pas encore fermé l’œil de la nuit. Elle était assise au réfectoire et elle était toujours perchée sur la mystérieuse lettre que les Fawkes avaient gardée chez eux, pour elle. Elle l’avait lue et relue. À chaque fois, elle n’en revenait pas que son père adoptif lui avait caché ce secret, lui qui prétendait ne rien connaître du passé de sa fille. Cette lettre avait été écrite en août dernier, alors qu’elle s’était préparée pour déménager à la capitale.

« Chère Cassandra,

Tu dois sûrement te demander comment cette lettre s’est retrouvée chez les embaumeurs, n’est-ce pas ? La vérité, c’est que les Fawkes et moi sommes de très bons amis. Nous nous sommes rencontrés à quelques reprises, lorsque je chassai dans les bois. En réalité, c’est l’aîné des frères qui t’as trouvée, toute petite, dans la forêt alors que tu n’avais que deux ou trois ans. Il ne savait pas comment s’occuper d’une gamine, alors il nous a demandé si nous ne pouvions pas nous occuper de toi. J’ai pris la décision de t’élever comme ma propre fille.

Tu sais, ça n’a pas été facile pour moi de comprendre pourquoi les elfes t’avaient abandonné dans les bois, pour me rendre compte finalement que je ne savais rien de votre culture, ni de ta vie avec tes véritables parents. Durant les années qui ont suivi ton adoption, nous avons reçu plusieurs visiteurs aux oreilles pointues comme les tiennes, ils n’ont jamais osé se présenter mais se faufilaient discrètement dans notre village et à chaque fois, l’un d’entre eux tentait de prendre des nouvelles de toi.

Un jour, alors que tu allais fêter tes sept ans, nous avons retrouvé aux portes du village un elfe blessé, portant une missive adressée à ton nom. Cet homme venait de ton village d’origine. Ce que j’ai appris par la suite m’a glacé le sang.

Ta communauté d’origine… ou plutôt, ton royaume d’origine se trouve dans une dimension parallèle à la nôtre. Tu es l’une des dernières survivantes d’une longue lignée d’elfes de la lumière. Selon les dires de cet individu, tu serais leur princesse. Votre pays a été envahi par Perséphone et tes parents, pour te protéger, t’ont envoyé à travers un portail. Ils avaient espoir de te sauver la vie et c’est ce qu’ils ont fait.

L’homme n’a pas survécu mais souhaitait que nous prenions soin de toi, comme la prunelle de nos yeux. Je n’ai jamais sû quand serait le bon moment pour t’annoncer tes origines, mais maintenant que tu déménages à Baldt, il est de mon devoir de te le dire, ma fille… Tu es la princesse héritière de la nation des elfes, Alfheim. Même si tu cherchais à retourner chez toi en ce moment, tu n’y retrouverais que des ruines et des démons… Une grande partie des elfes de la lumière ont été éliminés et réduits en esclavage par les forces des ténèbres. Je crois que tu comprends maintenant pourquoi il m’a été difficile de tout te dévoiler. Tu portes sur tes épaules le lourd fardeau de ton passé et de celui de ton peuple.

Tes parents ont tout fait pour que tu puisses vivre une existence paisible et sécuritaire. Même si tu n’es plus des leurs, ils souhaitaient que tu puisses continuer leur lignée ailleurs, dans un autre monde. D’autres elfes t’ont suivi à travers le portail et ont atterri à divers endroits, sur notre planète. Ce sont tous des survivants de l’affreuse guerre qui a détruit Alfheim. Ils ont tous pour seul devoir de survivre et de faire en sorte que votre race ne soit pas entièrement détruite. Plusieurs d’entre eux ont déjà réussi à fonder des familles, d’autres se sont assimilés aux humains. Tu es libre de suivre ta propre voie. Tu es peut-être la princesse de cette nation disparue, mais tu es aussi ma fille… Et ma fille… Tu dois suivre ton cœur.

Cette lettre, tu la recevras au moins six mois après que les Fawkes l’auront reçu. J’espère qu’ils n’oublieront pas de te la remettre. Sache que je t’aimerai toujours et que tu seras toujours chez toi, à Aöryn.

Bisou et câlin, Papa William. »

— Une princesse, hein ? dit la crécerelle qui examinait sa porteuse. Je dois admettre que je commençais à te trouver de plus en plus spéciale avec tes pouvoirs surnaturels, mais maintenant je crois savoir pourquoi. Tu as toujours eu le sang des hauts-elfes en toi, c’est un autre terme pour les elfes de la lumière. Cette race, en particulier, est l’une des premières à avoir été créées sur Aeglys, si je ne me trompe pas. Et dire que durant tout ce temps, je te prenais pour une elfe des bois…

— Même ceux-là sont rares de nos jours… répondit Cassandra, sous le choc. Est-ce que tu réalises à quel point je suis morte de peur, Windy ?!

— Euh… Oui, je sais, mais euh…

— Tu ne réalises pas, mais je suis leur princesse… La descendante d’une famille royale… et si j’en crois les dires de cette lettre, l’autre dimension serait celle de Perséphone et ses acolytes…

— Oui, mais…

— Si ça se trouve, notre peuple avait probablement pour devoir de protéger cette dimension et nous devions faire en sorte que cette maudite déesse ne soit pas en état de retrouver ses pouvoirs…

Cassandra se prit la tête d’une main, puis continua :

— C’est ce qui me semble la plus logique en ce moment.

Elle se laissa choir sur la table.

— Bonté divine, tu réfléchis beaucoup trop… formula Windy.

La crécerelle se déplaça sur le meuble, près du parchemin sur lequel l’homme tigre avait écrit cette histoire à sa fille adoptive. Elle observa alors sa porteuse en silence. Cela l’attristait de devoir partir, d’ici quelques heures. Elle aurait aimé rester auprès d’elle, plus longtemps et l’aider à digérer cette affreuse nouvelle, toutefois elle savait que son devoir était très important pour l’équilibre de ce monde.

— Essayons de passer un bon moment ensemble, avant ton départ, suggéra Cassandra qui se leva tranquillement.

Elle roula la lettre qu’elle venait de lire, et le rangea dans sa petite sacoche de voyage. Elle comptait faire lire tout ça, au reste du groupe, plus tard.

— Je pense surtout que tu devrais dormir, commenta son amie. Tu n’as pas fermé l’œil de toute la nuit et je doute que la caféine puisse t’aider davantage. Tu devrais te voir dans un miroir… Tu es affreuse à voir.

L’elfe afficha une triste mine. Son amie avait raison.

— C’est vrai… mais si je vais me coucher maintenant, je ne serai pas là pour faire mes adieux, comme tout le monde…

— Pense un peu à toi, Cassandra, répondit Windy. Ils comprendront… Et puis, de toute manière, je vais revenir dans un mois comme les autres.

— Es-tu certaine que c’est ce que tu veux ?

La crécerelle hocha la tête avant de bondir sur l’épaule de sa gardienne ; elle lui donna de petits coups de becs affectueux à l’oreille. Cassandra lui caressa la nuque affectueusement avant de la transporter à l’extérieur du palais. Après quelques minutes passées en sa compagnie, elle dit au revoir à Windy qui s’envola et survola une partie de la ville, alors que l’elfe retournait à l’intérieur, prête à aller se coucher.

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