52.2 - Le grand ménage

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— Dis, papa ? Est-ce que je peux passer plus de temps avec Sakura ? demanda Estelle, qui avait toujours envie de jouer.

Gabriel hocha la tête, l’embrassa sur le front, avant de remercier les servantes. Il s’éloigna ensuite en direction du réfectoire.

Il y retrouva Flint et la louve dans un coin de la grande pièce, leur assiette avait à peine été touchée. Tous deux semblaient réfléchir en silence, alors que Flint tenait la louve contre lui et que l’animal avait déposé son museau sur la table. Lorsque le blond vit son mari, il sortit de sa transe.

— Vous avez l’air d’avoir vu un mort, dit Gabriel qui s’installa en face d’eux.

— C’est le cas de le dire… J’ai vu Nash et ma mère dans une vision… Ils veulent que je sois une sorte de champion pour leur cause… Les ténèbres approchent. Kyran, Sarah et moi sommes destinés à combattre les forces du mal… Un truc dans le genre. La routine des élus quoi…

— Bah, ça ne semble pas si terrible que ça. Tu es déjà le membre d’une brigade où il nous arrive souvent de combattre des démons et de vilaines créatures. Tu es doué pour le combat, tu ne peux pas le nier.

— Ça ne veut pas dire que je désire combattre pour le reste de mes jours…

Puisque son mari avait des pensées assez étranges, Gabriel décida de lui changer les idées et lui posa une question différente :

— Que sert-on de délicieux aujourd’hui, d’après toi ?

Flint haussa les épaules, puis mit son menton sur la tête de sa louve.

— Voilà qui est ridicule, Flint, dit le colosse. On devrait célébrer notre victoire plutôt que de pleurer. Faudrait aussi que tu te joignes à nous pour le grand nettoyage, hein ?

— Ça va, ça va… Je vais contribuer. J’ai juste besoin d’être seul pour le moment, seul avec Dia… Elle s’en va demain…

— Oui, mais je vais revenir, mentionna la louve qui se tourna le visage vers son porteur, avant de lui lécher le menton.

Le jeune homme gloussa et caressa la fourrure de Dia, avant de regarder ce qui restait dans son assiette. Il tourna ses yeux vers sa partenaire. Celle-ci zyeutait la viande avec insistance.

— Mange le reste, si tu veux, dit-il. Sinon, je le jette.

La louve ne se priva pas de dévorer ce qui restait du poulet en deux ou trois bouchées, puis ôta ses pattes de la table avant d’aller rejoindre Gabriel.

— Je crois que Luna aurait besoin d’un coup de pouce… mentionna le golem. Ses sautes d’humeurs sont de plus en plus dévastatrices… Je crains le pire…

On pouvait entendre les beuglements de l’adolescente tandis que la porte de bibliothèque s’ouvrait à ce moment même.

— Elle aurait plutôt besoin d’une muselière, blagua la louve. Ce qu’elle peut-être casse-pieds quand elle veut…

— Euh… c’est qu’elle a une bouche et tu n’as pas de pieds, répondit Gabriel.

— L’art de briser un punch, Gabriel ? grogna l’animal qui toisa son interlocuteur.

— Désolé…

Shayne se reposait à son bureau et buvait un verre de scotch. Il était en compagnie de la panthère noire. Il semblait prendre la nouvelle que son meilleur ami allait partir bientôt, avec légèreté. Après avoir vécu tant d’années, le vampire qu’il était n’avait pas peur de s’ennuyer de Nox lorsqu’il partirait pour un mois. Les têtes étaient vieilles et nouvelles à ses yeux, il pouvait se faire de nouveaux amis facilement, mais rien ne changerait l’affection qu’il ressentait pour son vieux partenaire de route – son frère d’armes.

— Ah mon cher Nox… dit-il pendant qu’il observait la panthère allongée sur le rebord de sa fenêtre. J’ai passé de très belles aventures à tes côtés… J’espère que nous passerons encore quelques années ensemble, avant que tu ne quittes ce monde.

La panthère observa son camarade, d’un air amusé.

— Nous ne vieillissons pas comme le commun des mortels, mais tu le savais déjà, dit-il. Si le destin joue en notre faveur, je vivrai éternellement à tes côtés et ce jusqu’à la fin des temps.

— Alors, nous serons les apôtres de nos camarades et les conteurs d’histoires pour les futures générations. Je bois à ta santé, mon frère !

Nox secoua la tête, car il trouvait Shayne ridicule.

— L’alcool et toi, vous ne faites pas bon ménage, formula-t-il.

— Oh ça va… Je suis peut-être un buveur de sang, mais un peu de scotch ne me tuera pas. Même qu’en ce moment, ça me prendrait un truc beaucoup plus fort, pour m’assommer…

Même s’il ne dormait jamais, l’alcool était le seul moyen qu’il avait trouvé pour entrer dans une transe léthargique. Ce jour-là, il avait envie de perdre connaissance quelque temps, afin de se distancer de tous les drames qu’il avait vécus dernièrement.

Ça, c’était après qu’il eut décidé de faire quelques ajustements aux brigades. Puisqu’il ne pouvait plus travailler avec la Septième Brigade pour un certain moment, il avait décidé de mettre Wyatt Silverwind dans leur équipe. Il espérait qu’il s’entendrait bien avec Luna. Quelqu’un capable de lancer des champs de force, leur serait utile.

— Shayne, c’est le scotch qui te fait parler comme ça, accusa la panthère.

— Maiiis pas du tout… – HIC ! – Je t’assure que je suis capable d’en prendre encore plus, insista le général.

— Tu en es à ta quatrième bouteille…

Nox observa son porteur, un moment, qui le dévisageait bêtement. Finalement, le vampire perdit connaissance sur son bureau. La panthère roula les yeux, descendit du rebord de la fenêtre, puis sortit de la pièce. Shayne avait bien mérité son repos, après avoir mené un combat acharné contre la vilaine déesse et son chevalier tyrannique.

L’esprit élémentaire avait compris que son partenaire avait dépensé d’énormes quantités de mana, durant ce combat et qu’il aurait besoin de quelques jours de détentes avant de retrouver sa forme…

Peut-être serait-il une bonne idée pour lui de chasser, l’un de ces soirs, se dit Nox. L’alcool ne l’aidera pas à récupérer tout le mana dépensé…

Malheureusement pour l’animal, il ne serait plus là pour les jours à suivre et il ne pourrait pas servir de seconde conscience à son porteur. Il savait que Shayne était capable de se débrouiller seul et qu’il s’en sortirait sans lui, durant son absence. Toutefois, Nox avait un pincement au cœur rien qu’à penser qu’il ne se réveillerait plus chaque matin à ses côtés, alors qu’il serait au Saint Royaume. Il avait développé tant d’habitudes, avec lui…

La panthère se rendit donc au couloir principal et s’assied aux côtés de Misaki, qui donnait des instructions à quelques hommes et femmes. Plusieurs volontaires s’étaient rassemblés près d’elle. Nox réalisa qu’elle avait le sens des affaires et qu’elle avait la situation en main, en ce qui concerne le ménage et la reconstruction des lieux. Les ouvriers l’écoutaient à la lettre, allaient et venaient dans la pièce à tout moment.

« Oui madame ! », « Tout de suite, chef ! », pouvait-on entendre, à chaque instant qu’un ouvrier passait devant elle.

Nox était impressionné par l’autorité de sa collègue. Il semblerait que son temps en tant que capitaine de la Septième Brigade lui avait permis de se tisser des liens avec le peuple de la capitale. Plusieurs personnes, qui craignaient autrefois les anciens rebelles, la prenaient comme l’une des leurs, désormais. La panthère avait aussi remarqué que le Général Daichi s’était réveillé à l’infirmerie et qu’il participait à la reconstruction d’un mur défoncé. Il avait accepté de répondre aux ordres de Misaki et venait souvent lui demander s’il y avait d’autres tâches à faire.

La panthère, de son côté, décida d’aider tout le monde. Il transportait des seaux d’eau ou bien des outils, avec sa gueule ou sa magie ténébreuse. Puisque son porteur ne serait pas disponible pour quelques heures et qu’il n’était pas fatigué, il préférait se rendre utile.

Vers la fin de la journée, Misaki remercia Nox et les ouvriers d’avoir participé à la restauration du couloir principal. Ensuite, elle invita tout le monde à prendre une bonne nuit de sommeil, car les travaux continueraient, le jour suivant.

L’esprit des ténèbres attendit que tout le monde soit partit avant de s’adresser à la guerrière :

— J’ignorais que tu maîtrisais ce genre de situation, dit-il.

— Lorsque nous vivions aux quartiers généraux de la rébellion, j’étais souvent à la tête des femmes et je parlais pour elles. J’étais leur représentante et aussi l’une des membres appréciées de nos troupes. Voilà pourquoi je donnais souvent des ordres à mes pairs, sinon nous n’en serions pas là aujourd’hui… et nous ne cohabiterions pas avec les gens de Baldt. Il fallait que je sois forte pour nous tous.

— Et maintenant je comprends pourquoi on t’a nommé capitaine… dit Nox. Dommage que tu doives bientôt céder ta place.

— Crois-moi, ce n’est pas l’envie qui me manque, mais comme tu vois, j’approche mes derniers mois de grossesse et il est hors de question que je travaille trop, d’après les médecins. Je m’arrangerai pour faire les paperasseries, c’est tout. J’adore nos missions en dehors de la ville… Tout comme j’adore la compagnie de nos coéquipiers. Par contre, nous avons perdu l’un des nôtres durant l’embuscade de Doylesbourg… Tout ça à cause d’une stupide bourde que j’ai faite. Derek n’a vraiment pas mérité un sort pareil.

Nox reconnaissait que le fils des Doyle n’avait pas été avec eux depuis longtemps, mais celui-ci s’était quand même démarqué parmi les nouvelles recrues. C’était qu’un débutant, mais il avait démontré beaucoup de potentiel. Même Shayne avait reconnu qu’il ferait un jour, un excellent guerrier.

— Ce n’était pas de ta faute, Misaki, soupira la panthère. Nous avons tous été bernés par la supercherie des disciples.

La guerrière opina du chef, il avait raison.

— Je n’ai pas le courage d’écrire une lettre à sa mère et sa sœur, expliqua celle-ci. Je ne sais pas comment leur dire qu’il est mort pour notre cause…

— Ça viendra… répondit Nox. De toute façon, Lanartis va finir par apprendre cette histoire et la nouvelle va se répandre à travers tout le continent. Il faudra leur donner des explications, le jour où elles reviendront à la capitale.

— Encore faudrait-il que l’on retrouve le cadavre de Derek… La majorité de nos défunts ont tous été dévorés par les démons.

Misaki soupira et mis ses mains derrière sa tête. Elle dévoila accidentellement une partie de son ventre légèrement bombé à la panthère. Le bébé semblait prendre de plus en plus de place en elle, ce qui était bon signe.

— As-tu assez mangé aujourd’hui ? Je ne t’ai pas vu quitter le couloir depuis ce matin, commenta la panthère. Tu sais euh… Je ne dis pas ça pour t’offenser mais…

— Je sais, je sais. Mon bébé passe d’abord, j’ai compris le message, répliqua sèchement Misaki. Tout le monde s’inquiète pour moi mais je suis capable de me débrouiller comme une grande. Oh là là… Si seulement on pouvait me faire confiance.

— Ce n’est pas qu’on ne te fasse pas confiance. C’est surtout que les gens s’inquiètent pour toi, parce que tu es veuve et tu as déjà Sakura sur les bras…

— Je fais mon deuil à ma façon, pas besoin d’en rajouter… Merci…

Elle détourna son regard, de sorte que la panthère ne puisse pas lire l’expression de son visage, mais Nox savait qu’il venait de toucher une corde sensible. Il était clair que Yosuke lui manquait cruellement. Elle essayait malgré tout de rester forte et de faire avancer les choses, plutôt que de s’apitoyer sur son sort.

La jeune femme s’excusa auprès de la panthère et décida de partir. Elle retourna à son appartement, où une servante s’occupait de garder Sakura et Estelle durant l’absence de leurs parents.

La garderie improvisée à l’entrée du couloir s’était dispersée à l’heure du dîner. Nox remarqua qu’elle ne s’était pas rendue au réfectoire... Peut-être devrait-il mentionner ce détail à quelqu’un ?

Il opta pour retourner au bureau de Shayne qui était toujours endormi sur son pupitre.

Si on peut appeler ça endormi, se dit la panthère.

Le vampire ne dormait pas, il était dans une transe étrange, les yeux grands ouverts et ne bougeait pas. Pour lui, c’était se reposer. Pour quelqu’un d’autre, ça serait comme s’il était mort. Les seuls temps où il pouvait se permettre ce genre de repos était lorsqu’il buvait une grande quantité d’alcool ou bien qu’il manquait de substances magiques dans son organisme. Il récupérait alors durant cette transe, du moment qu’on ne le dérangeait pas.

Bonne nuit, mon ami, lui dit la panthère dans ses pensées, alors qu’il s’allongea près du pupitre du général.

Le reste de cette soirée se passa dans le calme.

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