39.2 - Euryale et Sthéno

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Un jour, il espérait pouvoir trouver quelqu’un qui représenterait sa cause et qui permettrait aux gens comme lui de ne plus avoir peur. Il réalisait qu’il avait eu beaucoup de chance de rencontrer quelqu’un comme Gabriel et qu’il pouvait s’estimer heureux d’avoir pu marier celui-ci à l’église de Kritz. Ce n’était pas toutes les régions du monde et toutes les cultures qui permettaient des mariages du même sexe. Pour cette raison, il était reconnaissant envers son peuple et ses lois actuelles.

— Normalement, tu n’en parles presque pas de ces soucis personnels, mentionna la louve. Est-ce que c’est parce que tu ne veux pas déranger notre groupe ?

— Plus ou moins, répondit Flint. Il n’y a qu’avec mon mari que j’en parle réellement. Je me soucie de son bien-être et aussi de ceux et celles qui ont encore de la difficulté à se faire accepter à la capitale. Quelques-unes de nos fréquentations vont quotidiennement au bar local, où nos citoyens ont tendance à les juger ou à les regarder comme des bêtes de cirques… lorsqu’ils s’embrassent. C’est gênant… Gabriel et moi nous n’allons pas vraiment manifester notre amour publiquement, sauf si nous sommes entourés d’amis… Mais pour eux, c’est difficile…

— En principe, c’est comme les couples hétéros qui se bécotent trop au mauvais endroit, avec un timing démesuré…

— En plein ça ! Sauf que ça prend des tournures beaucoup plus risquées avec nos amis gays. Tout ça me frustre ! Ils ne font de mal à personne, mais ça met tous les autres mal à l’aise… Nous sommes des gens normaux, ce n’est pas illégal ! Cassandra m’a même dit qu’il y avait des lesbiennes à son village et tout le monde les acceptent telles quelles. L’ouverture d’esprit semble beaucoup plus fréquente, plus on s’éloigne de chez nous… Pfft… Par contre, quand on voit comment la pauvreté fait des ravages dans les bâtiments des autres communautés, je me sens dorloté de vivre à Baldt…

— Pourquoi n’en parles-tu pas à Kyran ou ton père ? Ils pourraient très bien sensibiliser les gens de votre ville avec un nouveau projet de lois.

— J’y ai déjà songé, mais ils en ont déjà plein les bras.

Ils étaient sur la route depuis maintenant un quart d’heure et avançaient tranquillement. Flint et Dia discutaient de tout et de rien désormais, pour changer les idées du jeune homme. Ils s’arrêtèrent au bout d’une heure et demie de trajet. Le cheval commençait à avoir faim et il s’étaient arrêté à quelques reprises près des hautes herbes pour broutter un peu. Malgré cela, ils étaient arrivés à destination. Le monument construit près du tumulus, où l’on avait enterré les corps des défunts soldats, était recouvert de bouquets de fleurs – la plupart étaient déjà séchés - et de souvenirs. Sur une longue et large plaque étaient inscrits les noms des soldats et des mercenaires qui avaient perdu la vie durant cet incident.

Il y avait de la neige partout, mais elle commençait à fondre. Cette journée-là était l’une des rares qui soient ensoleillées, durant la semaine qu’ils venaient de vivre. Les sentiers étaient, la plupart du temps, déneigés par les mages et les citoyens volontaires. Il n’y avait pas le moindre centimètre de glace à l’horizon. Flint débarqua de sa monture, puis déboutonna son manteau avant de s’approcher de la croix. Il commençait à avoir chaud, sûrement l’émotion…

Il était rempli de colère et de peine quand il lisait tous ces noms ainsi que la citation religieuse qu’on avait inscrite au milieu de la plaque.

Qu’Athéna veille sur vous, enfants de la lumière, avait-il lu à voix basse.

Le jeune homme fronça les sourcils et baissa son regard sur le nom de Nash qui avait été gravé tout en dessous d’une dénommée Leisha Madison et au-dessus de Tei'Fon Naguya – sûrement un membre des ex-rebelles, se dit le blond en qui se rappela avoir vu le nom de Yosuke Megumi, gravé en bas de liste. Les noms se voulaient d’être en ordre alphabétique, mais Flint avait remarqué que Yosuke, ainsi que d’autres noms avaient été rajoutés à la dernière minute parce qu’on les avait oubliés. Il soupira, puis haussa les épaules. Décidément, celui ou celle qui avait fait cette plaque aurait pu faire du meilleur travail.

— C’est grotesque comme monument ! s’exclama la louve qui voulut briser le silence. Une simple croix aurait suffi.

— Soyons encore heureux que ce soit un représentant de Kritz qui ait décidé de nous faire cette plaque bénévolement. Il aurait pu nous charger des frais, mais ne l’a pas fait puisque c’est un drame de niveau national.

— Tout de même, je ne crois pas que Nash aurait aimé que sa tombe soit si large et si… lugubre. Le choix de la pierre est étrange… C’est beaucoup trop sombre à mon goût. Trop déprimant.

— Tu dis ça parce que tu es l’esprit de la lumière, Dia, répliquait Flint qui roula des yeux. Mourir n’a jamais rien eu de très joyeux.

— J’ai conscience que ça ne doit pas être réjouissant, mais puisqu’il s’agit d’un grand nombre de personnes, j’aurais préféré que ça soit plus accueillant… Plus chaleureux… C’est affligeant tout ça…

La louve avait repris sa forme animale lorsque Flint s’était déboutonné, un peu plus tôt. Elle était assise à ses côtés, alors qu’il se tenait droit debout devant la gigantesque pierre tombale. La longue queue touffue de l’animal n’était pas très agitée en ce moment. Elle la laissait au sol et battait cette dernière de temps en temps, pour démontrer son agacement. Elle se mit à renifler le sol autour d’elle, afin de repérer les odeurs des défunts à travers la terre. Le sol était si humide et boueux que ses narines n’arrivaient pas à sentir autre chose. Il n’y avait que sa propre odeur et celle de Flint.

— C’est bête, dit l’animal, perdue dans ses pensées. J’essaie de me souvenir du parfum que Nash portait la dernière fois que je lui ai adressé la parole…

— Il aimait beaucoup l’arôme de la cannelle ou bien celle du lilas, dit Flint.

— C’est ça, il portait un parfum à la cannelle…

Sur le coup, la louve revit son ami en train de mourir près d’elle, puis secoua sa tête. Elle ne se sentait pas bien. Elle commença à se gratter l’oreille et à grogner en direction de la plaque commémorative. Flint l’examina, et réalisa qu’elle était en état de panique. Il ne l’avait jamais vu ainsi, donc il trouvait cela étrange.

— Dia ? demanda-t-il, inquiet. Est-ce que ça va ?

— Non ! Non ça ne va pas ! Ton oncle est mort et c’est de ma faute ! grogna la louve avant de courir autour de la grande plaque.

— Dia…

— J’aurai pu le soigner ! J’aurai pu le sauver, je n’étais pas assez puissante ! rajouta l’esprit avant de trébucher vers l’avant et de se planter le mufle entre ses pattes.

— Ne dis pas ça…

— Je suis certaine que tout le monde serait plus heureux aujourd’hui si je n’avais pas été aussi paresseuse dans mon entraînement de magie !

— Mais non Dia… Tu l’as dit toi-même, vos pouvoirs sont affaiblis à cause de la foi diminuée de la population… Ce n’est pas de ta faute.

— J’aurai pu faire un effort ! J’aurai pu essayer de convaincre ces gens de croire en nous et en la déesse ! J’aurai pu le sauver ! Je n’ai rien fait…

Elle pleura ensuite, avant de lever son museau vers le ciel. Elle hurlait comme une louve le ferait à la lune, ce qui était tout à fait normal puisqu’elle en était une. Flint s’approcha d’elle, afin de la serrer dans ses bras. La pauvre était anéantie. Ils étaient venus au monument, rien que pour lui, mais c’était lui qui prenait soin d’elle.

Dia était remplie d’une culpabilité si grande que le blond en souffrait pour elle. Il n’osait pas imaginer la douleur qu’elle pouvait ressentir, chaque fois que l’un de ses proches périssait.

Quelques minutes plus tard, l’animal se calma.

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