33.2 - Le père absent

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— Ah bon ? mentionna le président qui semblait lassé d’entendre parler de Gwenaëlle. Désolé, mais si vous pensiez que ça allait me faire plaisir d’entendre qu’elle se trouve probablement à la république, vous vous trompez. Elle nous doit toujours des excuses. Elle vous en doit à tous.

— Non, mais tu t’entends parler !? aboya Flint. Cette rancune envers ton frère est en train d’intoxiquer notre famille !

— C’est rare que je pense la même chose que lui, mais cette fois, Flint a raison, dit Kyran. Gwen est ta fille, nous sommes tes enfants. Ton frère n’y est pour rien dans toute cette dispute familiale. Gwen et toi étiez quand même en très bons termes avant qu’elle décide de quitter le palais.

— S’il vous plaît, je ne veux plus en parler, dit Artael, découragé. Elle m’a brisé le cœur en nous fuyant ainsi… Essayez de comprendre !

— Oh, parce que tu es capable de t’adresser au Conseil avec voracité, chaque jour, mais pas à tes fils, n’est-ce pas ? lui reprocha Flint. Avoue que tu préfères le travail à tes propres enfants !

— Il marque un point, soupira Kyran.

— Pense ce que tu veux, mais pour moi tu seras toujours un mauvais père, grogna Flint entre ses dents. Celui qui mérite notre respect, ce n’est pas toi mais Nash. C’est lui qui nous a élevé à la sueur de son front alors qu’il ne te devait rien !

Artael balança la bouteille de vin au plancher, qui se cassa sous l’impact. Puis il se tourna dans sa chaise. Il retenait ses larmes et secoua sa tête. La frustration de son fils lui faisait beaucoup de mal.

— Tu ne voulais pas l’entendre, papa mais c’est comme ça que je me sens depuis longtemps, continua Flint. J’ai toujours eu ce sentiment que tu ne voulais pas de nous depuis notre enfance. Quand maman est morte, tu nous a lâchement abandonné à Gabriel et Nash, les seules personnes sur qui j’ai pu compter !

— Allons, Flint… marmonna son frère, choqué.

— Je me suis senti comme un orphelin durant toutes ces années ! À me demander si tu allais un jour nous aimer, Kyran, nos sœurs et moi ! Tu n’en avais que pour ton argent et pour ton travail… Toujours ton putain de travail !

— En même temps… ce n’est pas faux ce qu’il dit, soupira le conseiller, dépité.

Le président prit son visage entre ses mains et étouffa un cri alors que ses fils continuaient à lui cracher ses quatre vérités.

— Bien avant que tu t’en rendes compte, Tonton Nash a fait une sévère dépression durant les quelques dernières années et c’est moi qui ai dû faire en sorte qu’il aille voir les psychologues, lui dit Kyran. Je lui payais ses sessions pendant que toi tu faisais tout pour améliorer la vie de notre pays. Tu étais trop aveugle pour voir la propre détresse de ton frère qui était suicidaire. Au lieu de tout ça, tu lui as donné des titres et de nouvelles responsabilités. Je comprends que tu comptais bien faire, mais… Ça n’a pas arrangé son cas. Il avait arrêté tout ça, il y a un an environ, mais il a recommencé sa thérapie ces derniers mois et ce sous ton encouragement…

— Sarah en a eu tellement marre de nos disputes qu’elle s’est tournée vers l’église où tout est plus paisible ! cracha Flint. C’était plus magique à ses yeux, plus chaleureux. Elle y a trouvé tout l’amour qu’elle n’a jamais pu ressentir de son propre père, cet homme qui était trop occupé à noyer son chagrin d’amour dans le travail ! Tu aurais pu prendre soin de nous par respect pour notre mère, mais tu ne l’as pas fait !

— Arrêtez… supplia Artael, en larmes. Je vous en prie… Vous m’avez mal compris…

Le président était pétrifié par la culpabilité et la honte. Ainsi donc Kyran était au courant pour la détresse de Nash. Avait-il aussi pris connaissance de son alcoolisme qu’il essayait de combattre discrètement ? Il était sur le point de lui poser la question lorsque Flint décida d’achever cette conversation.

— Je n’ai plus rien à te dire pour le moment, dit-il. Il est temps pour toi de réaliser tous les dommages que tu as causés à notre famille. Joyeux anniversaire, crétin !

— Flint, franchement… réprimanda son frère. Ça, ce n’était pas nécessaire !

Le brigadier à l’esprit rebelle se croisa les bras, puis jeta un regard froid en direction de son père. Cette dispute n’avait qu’assez durée.

— Toutes mes félicitations Artael, dit-il. Tu viens de perdre ce qui te restait de ta dignité en tant que père. Pfft…

Flint se leva, puis commença à s’éloigner. Artael bondit de sa chaise, furieux. Kyran sursauta, il ne savait plus comment calmer son père et son frère.

— Croyez-vous que ça été facile pour moi de perdre votre mère ? déclara le président avec une voix cassée. De voir qu’à chaque année, vous lui ressembliez de plus en plus ?! Tous les jours, je remarquai ses traits en vous, des traits de sa personnalité, de son apparence… Tout ça me faisait si mal ! Je n’arrêtais pas de penser à elle, chaque fois que je vous voyais et je ne savais pas comment m’y prendre pour vous aimer comme elle aurait voulu que je vous aime ! Mais je n’ai jamais voulu vous faire du mal ! Je vous le jure…

— Tu n’as jamais voulu de nous, avoue-le qu’on en finisse… formula Flint qui ne s’était même pas retourné pour confronter son père. Tu étais amoureux de ton épouse, vous étiez jeunes. Elle est tombée enceinte et tu ne voulais pas de ses enfants, même si elle nous désirait. À notre naissance, elle est morte et tu n’as jamais pu nous pardonner d’avoir tué ta femme.

— Ce n’est pas le cas ! exprima Artael, chagriné. Je vous l’ai dit, je ne savais pas comment m’y prendre avec des bébés… Je n’étais pas encore un adulte lorsque c’est arrivé ! Je n’avais pas d’expérience, c’est tout... Tu te trompes sur toute la ligne !

— Pfft… fut la seule chose qui sortit des lèvres de Flint.

Kyran soupira et redressa ses lunettes. Ces rencontres devenaient de plus en plus hostiles, verbalement. Il comprenait pourquoi Flint perdait patience aussi facilement avec sa famille, mais cela ne lui donnait pas le droit de traiter son père de tous les noms. Surtout pas avec les nombreux sacrifices qu’il avait faits pour tout le monde.

— Cela ne règle pas le cas de Gwen… ou plutôt, de l’imposteur, dit le conseiller. Elle est quelque part sur ce continent et nous espionne. Certaines de ces informations sont normalement confidentielles. Il se pourrait bien que notre palais soit mouchardé. Comment aurait-elle donc pu savoir que maman est un esprit élémentaire, dans ce cas ? As-tu vérifié dernièrement s’il n’y avait pas des mouchards dans ton bureau, papa ? Dans ta chambre ? Dans les couloirs ?

— Je dois t’avouer que non, déclara le président, fatigué. Mais il est fort probable que tu aies raison. Quelqu’un nous espionne depuis quelque temps et ce quelqu’un est probablement lié, comme tu dis, à ta sœur et à Troyd, puis tous les autres qui nous ont désertés lorsque j’ai pris les commandes.

— Dans ce cas, nous avons intérêt à trouver qui est cet espion et l’interroger, dit Kyran. Quelque chose me dit que la disparition de Misaki est forcément liée à tout ça.

Flint se tourna vers son frère qui venait d’attirer son attention. Il plissa des yeux.

— Pas faux, dit-il. Si nous arrivons à trouver la source de ces problèmes, nous pourrons peut-être retracer Misaki.

— Donc, nous allons fouiller le palais au complet… dit le conseiller.

— Je n’ai qu’à passer l’ordre aux serviteurs, ajouta le président.

— Mauvaise idée, répondit Flint. Qui sait ? Peut-être que l’un de nos serviteurs est effectivement la taupe.

— Ah… Je vois où tu veux en venir, mon frère, fit le conseiller. Il serait mieux, de ne pas dévoiler nos doutes. Nous allons devoir fouiller ce bureau, le réfectoire et peut-être l’infirmerie. Ce sont les endroits où les espions pourraient facilement dissimuler des puces électroniques. Il est fort possible qu’en cet instant même, ils sont en train de nous écouter et qu’ils sont dans de beaux draps parce que nous venons de découvrir le pot aux roses.

— Tu veux dire qu’ils seraient plusieurs ? demanda Flint.

— Je n’en sais rien, peut-être qu’ils sont nombreux, peut-être que non. Tout ce que je sais, c’est que nous devons agir discrètement à partir de maintenant, si nous voulons sauver Misaki et découvrir qui se cache derrière la fausse identité de Gwen. Après tout, je corresponds avec elle depuis des années déjà.

— Ah ouais… ça voudrait dire qu’on s’est joué de toi depuis tout ce temps…

Artael ne savait pas comment aborder la situation. Il savait qu’il avait blessé ses fils avec ce qu’il venait de dire sur leur sœur, mais avait besoin de leur aide. Ce que Kyran leur avait raconté à propos de la taupe, l’inquiétait beaucoup. Qui sait le nombre d’informations que son fils avait échangées avec l’ennemi ? Il hésita un instant, puis baissa piteusement la tête. Il regrettait ses paroles.

— Mauvais père ou non, j’ai besoin de votre aide… dit-il. Je comprendrai que vous ne vouliez plus coopérer directement avec moi à l’avenir, mais là c’est une situation critique. J’ai besoin de vous…

Flint contourna le bureau d’Artael, les bras croisés. Il était aussi froid que tout à l’heure. Kyran l’imita, mais demeura plus calme que son jumeau.

— Tu m’énerves, déclara Flint. Des fois je souhaiterais que Nash soit mon père, mais tu as quand même bûché assez longtemps pour le bien-être des autres. Tu peux compter sur moi… Pour cette fois.

Ce dernier commentaire eut l’effet d’une gifle au visage d’Artael. Kyran enchaîna :

— Moi aussi, papa… Je n’aime pas comment tu parles de Gwen, mais comme Flint l’a dit, tu es l’une des personnes les plus dévouées envers cette république et sans toi nous en serions encore à l’époque du Conseil corrompu par l’argent et le pouvoir.

— Je suis désolé… sincèrement désolé, commenta le président, pris d’une crise de conscience. Je vous promets de m’améliorer.

— Ne gaspille pas ta salive, dit Flint. Je m’attends à voir des actions et non à recevoir des promesses en l’air. Tu as déjà gagné quelques points avec moi, vu la façon dont tu t’occupes d’Estelle, mais ça ne veut pas dire que je t’ai entièrement pardonné.

— Oui, j’ai compris le message, lui rassura son père, faiblement.

— Dans ce cas, ne tardons plus, déclara le conseiller. Il n’y a pas une minute à perdre, je vais commencer par fouiller l’infirmerie. Flint, va examiner le réfectoire. Papa, fouille ton bureau. Après, je compte aller jeter un œil à la bibliothèque, puis les couloirs des dortoirs.

Les deux autres hommes hochèrent leurs têtes suite aux paroles de Kyran, puis ils se séparèrent tous trois avant de commencer leurs recherches.

Heureusement que Nash n’était pas parmi nous, sinon les choses auraient été pires, se dit Artael qui observa ses fils sortir du bureau.

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