18.2 - Cassandra et Misaki

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— Ce n’est pas ce que je voulais dire…

— Mais c’est pourtant ce que tu penses, n’est-ce pas ? Tu n’arrêtes pas de me regarder de travers depuis que tu sais ce que je suis… Je ne suis qu’une pauvre conne qui n’a pas su faire les bons choix. Tu ne peux pas t’empêcher de me parler avec ce petit ton accusateur, même en ce moment…

L’une des invitées du salon funéraire les dévisagea d’un air sévère. Elle leur fit signe de baisser le ton, puisque les gens présents à cet établissement étaient en deuil. Cependant, Misaki n’avait pas envie de se taire. Elle était rongée par la culpabilité et l’envie de payer pour ses crimes. Elle baissa le ton légèrement et essaya de faire comprendre à Cassandra qu’elle ne pouvait plus fuir ses problèmes.

— Ça fait des années que je lutte pour survivre face à ce Conseil qui nous déçoit encore et encore, j’ai tous les droits d’être furieuse et de croire en ma cause, dit l’albinos, dégoûtée. Oui, ce qui a été fait est mal, mais ça ne te donne pas le droit de me juger. J’ai travaillé à la sueur de mon front pour mettre à manger sur ma table et faire en sorte que ma fille puisse s’habiller correctement, alors ne viens pas me dire que je suis une mauvaise mère en plus de ça !

— Je n’ai jamais dit le contraire, Misaki, lui répondit Cassandra. Viens, nous allons en discuter à l’extérieur.

— Pas avant que j’aille présenter mes excuses aux Doyle.

Cassandra empoigna le poignet droit de la guerrière et la traîna en dehors du salon funéraire, même si cette dernière se débattit un peu. Misaki poussa des jurons et des regards sauvages à l’attention de son interlocutrice, mais finit par comprendre qu’elle devait se calmer.

— Tu ne résoudras rien maintenant, lui expliqua l’elfe. Laisse le temps faire ses choses. Pour le moment, concentre-toi à réserver tes forces, car tu vas en avoir besoin pour le voyage avec Artael.

— Je ne peux pas vivre avec la mort de Marcus sur ma conscience… Je ne peux pas ! Je ne peux pas accepter que tout ceci soit de ma faute !

Cassandra n’avait plus le choix ; elle gifla Misaki.

— Ça suffit ! dit-elle entre ses dents. Il est mort, on n’y peut rien ! Accepte qu’il soit décédé et accepte que tu ne puisses pas prévoir lorsque les gens meurent ! Ce n’était pas de ta faute ! C’est le destin qui a fait en sorte que ton groupe ait agi sans toi ! Alors ressaisis-toi !

L’albinos resta sans mot pendant un moment.

Cassandra poursuivit :

— Si tes soucis sont irrationnels et que tu sais que tu ne peux rien faire pour arranger les choses, cesse de t’en faire ! Tu ne peux arranger que les choses qui sont matérielles. C’est cette philosophie qu’on nous enseigne depuis que je suis petite à Aöryn et c’est comme ça que je compte vivre ma vie.

Misaki baissa la tête, elle avait honte. Son amie elfe avait raison. Elle ne pouvait pas contrôler l’inévitable. Elle ne pouvait pas contrôler qui vivait, qui mourrait. Elle devait apprendre à laisser la nature suivre son cours.

— Tu es plus jeune que moi… Et pourtant tu es beaucoup plus mature que je ne le serai jamais, il faut croire, soupira-t-elle.

— Tu ne le penses pas, tu es simplement dans une période de doutes. Tu es une bonne mère, tu te bats depuis tout ce temps dans l’espoir d’offrir une vie meilleure à ta fille. Il faut savoir différencier sagesse et maturité. Il a plein de choses que j’ignore de la vie. Je ne sais pas comment m’occuper d’un enfant, par exemple et je n’ai jamais… Enfin, je n’ai jamais eu de petit ami. Je sais plein de choses, mais je ne suis qu’une graine qui essaie de grandir en ce monde. Moi je n’ai pas encore trouvé ma place. Toi, tu as déjà la tienne.

Misaki pouvait lire l’air déterminé au visage de sa collègue de travail. Cassandra semblait convaincue qu’elle savait ce que son amie voulait faire de sa vie, pourtant elle ignorait comment répondre à ce genre de paroles. Des mots encourageants qui ne décrivaient pas comment elle se sentait réellement.

— Dans le fond, dit Misaki. Nous sommes toutes les deux aussi perdues l’une que l’autre… Si je suis venue à la capitale, c’était pour aider ma cause et ma famille… Mais je me suis toujours sentie comme je n’étais pas à ma place, jusqu’à ce qu’on me mette avec vous. En rejoignant la Septième Brigade, j’ai commencé à me sentir appréciée par un groupe. Ça m’a rappelé le village des rebelles. Là-bas, j’avais mon mari, ma petite, Daichi et puis plusieurs de nos camarades… Ici, je n’ai que les collègues du travail.

— Si ça peut t’aider à mieux me comprendre, moi non plus je n’avais personne avec qui parler avant de rejoindre notre brigade. J’ai passé mes journées à consulter des panneaux de missions ici et là, à accomplir des requêtes de livraisons pour quelques clients et sans plus. C’est lorsque Monsieur Artael m’a remarquée que j’ai enfin compris que ma place était ici.

— Je… je comprends… Et… je… Hmm…

Misaki désirait formuler un truc important, mais se sentit rougir tandis qu’elle mettait ses mains derrière le dos et faisait pivoter l’une de ses chaussures, du bout de ses orteils. Cette conversation avec Cassandra lui avait fait comprendre qu’elle avait été odieuse envers elle depuis qu’elles s’étaient rencontrées. Le crêpage de chignon avait laissé des marques bleues sur chacun de leurs visages.

— Excuse-moi de t’avoir frappé… finit-elle par lui dire. Je m’en veux de t’avoir provoqué… J’espère que tu me pardonneras.

— C’est déjà oublié tout ça, nous avions toutes les deux des poids à enlever de nos épaules. Il n’y a que nous les femmes pour comprendre tout le stress que les gens nous mettent sur le dos… Surtout les hommes…

— Bah, je ne dirais pas ça de Gabriel, par contre. Il a une touche très féminine. D’ailleurs, lorsqu’il nous a disputées, j’avais l’impression d’entendre ma mère.

Cassandra cligna des yeux et pouffa de rire. Elle devait admettre que Misaki avait raison au sujet du colosse. Il n’avait pas vraiment un comportement habituel pour un homme. Encore moins son fiancé. Il fallait admettre que les stéréotypes avaient fait en sorte que les deux femmes ici présentes s’étaient habituées à un certain modèle masculin au cours de leur vie. C’était rafraîchissant pour elles de voir des personnes aussi colorées dans leur groupe. Surtout ce jeune couple, très complexe.

— Je me demande si on devrait aller voir comment Luna se porte, commenta l’elfe. La pauvre avait l’air si malade ce matin…

— Mon petit doigt me dit qu’elle ne veut pas être dérangée, ajouta Misaki. Je suggère que nous allions dîner au réfectoire et qu’on continue notre conversation là-bas. J’ai envie d’en savoir un peu plus sur ton village.

— Oh, pourquoi pas ? J’ai à peine mangé mon omelette ce matin avec tout ce stress… Je crois que je vais me faire des pâtes.

Ainsi fût réglé le conflit de Cassandra et Misaki. Maintenant qu’elles avaient mises leurs différences de côtés, elles deviendraient sûrement de bonnes amies.

Athéna, du haut des cieux, semblait ravie de voir que ces dernières commençaient enfin à s’entendre. Il serait probablement temps pour la divinité de leur envoyer une nouvelle amie. Alors, elle se concentra et pria que l’une de ses créatures réponde à son appel… Quelqu’un finirait bien par l’entendre… non ?

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