Douleur

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"La douleur qui reste muette est la plus douloureuse."

Benjamin Delessert

La douleur réveilla Ovide, qui ne put s'empêcher de laisser échapper un râle, tant elle était intense. Son crâne lui faisait atrocement souffrir et il n'arrivait pas à ouvrir les yeux, le peu de lumière dans la pièce l'éblouissait. Après quelques minutes à tenter de reprendre ses esprits, il finit par enfin pouvoir voir ce que la pièce contenait : une table posée devant lui où était disposé plusieurs sortes d'outils. Des pinces, des marteaux, des scies et d'autres, qui étaient si complexes qu'il ne pouvait qu'essayer d'imaginer à quels fins ils pourraient être utilisés. Le jeune homme tourna la tête et vit les chaînes qui le maintenait en place, ne le laissant pas toucher le sol. Il s'examina un instant avant de s'apercevoir que ses habits avaient changé : en effet, il portait un haut blanc et un pantalon noir, qu'il ne connaissait pas et était pieds nus. Une bougie s'alluma de derrière lui et Harold se montra enfin. Habillé d'un tablier et de vêtements sales, il fusillait du regard le garçon. Il s'approcha davantage, et avança la bougie près du visage d'Ovide, lui donnant une sensation de chaleur si forte, qu'il avait l'impression de se faire brûler :

— Te voilà réveillé, dit calmement le quinquagénaire. Tu as bien dormi ? Pas moi. Vois-tu, j'ai beaucoup réfléchis la nuit dernière. Je me suis demandé comment un homme, comment un noir, avait réussi à changer à ce point la personne qui m'est le plus cher en ce monde. Comment une personne, aussi perfide soit-elle, avait réussi à me prendre ma fille... Ma pauvre fille qui soit-dit en passant, est si immature que j'ai été idiot de la laisser partir loin de moi pour ses études. Malgré tout, j'étais heureux d'apprendre ta venue. Je me disais " pourquoi pas après tout" ? Mais quand je t'ai vu... J'ai tout de suite su que tu n'étais qu'un incapable. Tu as ensorcelé ma fille ! Et pour cela, tu mérites d'être punis ! cria-t-il.

— Mais... C'est insensé ce que vous dites ! se défendit Ovide. Votre fille m'aime ! Est-ce si dur à supporter ?

— La ferme ! Si tu continues, tu vas finir par la faire souffrir ! Je ne peux pas te laisser faire ça ! Tu n'es qu'un nègre ! Tu ne peux pas l'aimer ! Tu as même essayé de me l'arracher hier soir... Tu l'as kidnappé, et ça, c'est impardonnable !

— Elle m'a suivi de son plein gré ! Jamais je ne lui ferai du mal !

La porte de la grange s'ouvrit, et le jeune homme comprit qu'il se trouvait là où il avait dû blesser ce pauvre esclave, au péril de sa vie. Elizabeth entra et referma la porte derrière elle. Elle portait une robe rouge avec un long ruban vert qui lui servait de ceinture, tout comme la première fois. Elle avait troqué son grand chapeau par un plus petit, mais toujours aussi fastueux. Elle s'approcha de son frère :

— Mon cher Harold ! Je te prie de m'excuser, je dois m'en aller !

— Quoi ? Comment ça ?

— Un messager est venu m'apporter de bien triste nouvelle, mon amie Lucy est décédée hier soir, d'une chute de cheval. Je dois aller à son enterrement.

— Je comprends. Pars, ne t'en fais pas. Mes condoléances à sa famille.

— Je les transmettrai, dit-elle en l'embrassant tendrement sur la joue. Tu me diras comment ce sont passé ses derniers instants ! ajouta-t-elle en lançant un regard au garçon.

— Bien sûr, je comptais justement commencer.

— Comme c'est excitant ! J'espère que tu ne le tueras pas trop vite, rigola-t-elle.

— Ne t'en fais pas, ce n'était pas mon intention ! renchérit Harold en souriant.

Après une étreinte, la tante partit, laissant à nouveau les deux hommes, face à face. Le maître des lieux s'approcha de la table et prit une pince, puis s'avança vers Ovide :

— Je vais veiller à te faire mal. Mais ne t'en fait pas, tu ne mourra pas aujourd'hui. Tu vas souffrir le temps qu'il faudra, tant que je m'amuse. Et quand j'en aurai marre, je te tuerai.

— Pitié... supplia le jeune homme effrayé.

— Pas de pitié. Mais le temps que je te saigne comme un goret, je peux te raconter une histoire si tu le désires, dit-il en lui coupant un morceau de chair. Vois-tu, j'ai longtemps torturé des esclaves par le passé. Un jour, l'un d'eux m’a regardé droit dans les yeux et m'a dit que je n'étais pas son ennemi. Je n'ai pas compris sur le moment, je l'ai tué. Et tu sais quoi ? Il a souri à ce moment-là. Je me suis tellement emporté en voyant ceci que je l'ai découpé en petits morceaux pour le donner aux chiens. Quelque temps plus tard, j'ai recommencé avec une autre, cette fois-ci, une femme. Entre deux petites sessions de torture, je l'a laissé à mes hommes pour qu'ils s'amusent. Et devine quoi ? Elle ne m'a jamais supplié de la tuer. Au contraire, elle attendait patiemment. Un jour, je lui ai demandé comment cela se faisait-il qu'elle ne disait rien et elle m'a juste répondu " Vous n'êtes pas celui qui me fait le plus défaut, c'est le temps." Je n'ai jamais pu lui soutirer d'autres mots, si bien qu'elle a fini avec la langue tranchée. Puis, à force de continuer, j'ai fini par comprendre... Il y a deux types de personnes : ceux qui supplient, espérant que l'on mette fin à leur souffrance et ceux qui attendent que le temps fasse son œuvre. Ceux-là ont compris qu'ils ne pourraient pas échapper à leurs destins et ils patientent jusqu'à ce que je leur prenne la vie. Ton ennemi ici ce n'est pas moi, Ovide. C'est le temps. Le temps que tu mettras à mourir ! rigola Harold. Tu penses que te mutiler et la pire des choses qui puissent t'arriver ? Alors attends un peu.

Il prit une petite boite en bois, et l'ouvrit, plongeant sa main à l'intérieur et en sortit une poignée de sel. Avec précaution, il l'appliqua sur les blessures d'Ovide qui le brûlèrent instantanément. Les cris du jeune homme résonnèrent dans la pièce, devenant de plus en plus fort. Le maître des lieux récupéra une des pinces sur la table et sectionna le petit doigt du garçon qui cria de plus belle. Son supplice dura plusieurs heures, alternant taillades, coupures et autre atrocité. Entre deux moments plus calme, il continuait de mettre du sel dans ses plaies afin de le garder éveillé. Le soleil commençait enfin à décliner, lorsque Harold se décida à laisser du repos à son gendre. Il s'essuya les mains et sortit, demandant à Joseph qu'il envoie quelqu'un pour le soigner. Une femme arriva quelques instants plus tard et s'attela à la tâche, ne prétant pas attention aux suppliques d'Ovide, l'implorant de le libérer.

Alors que la femme partait, le jeune homme resta seul, dans le noir, attendant sa mort prochaine qui ne voulait pas arriver. Le temps... Je comprends désormais, pensa-t-il. Combien de temps vais-je devoir attendre avant de mourir ? La lune était désormais haut dans le ciel lorsque la porte de la grange s'entrouvrit, laissant une ombre entrer furtivement.

— Mon Dieu, Mais que t'a-t-il fait ! s'écria la voix qui sembla familière au jeune homme. Ovide, tu m'entends ?

— Marie... répondit-il péniblement.

— Ovide... répéta sa compagne en larme. J'ai.... Ils... Ils m'ont enfermé dans ma chambre et ont barricadé la fenêtre. Je n'ai pu sortir qu'avec l'aide d'Adélaïde. Tu avais raison pour tout... Excuses-moi.

Elle attrapa la chaîne et libéra alors son amant qui tomba sur le sol, ne pouvant plus tenir sur ses jambes. Après quelques minutes passées à s'enlacer, Ovide réessaya de se lever et pu tenir difficilement debout. Ils avancèrent vers la sortie, et se tenaient près de la porte :

— J'ai demandé à ma servante de nous préparer un cheval, elle est libre de parcourir la maison malgré tout. Mon père nous a sous-estimé, nous allons partir d'ici et ne plus revenir !

— Marie, il... Il...

— Ne parle pas, garde tes forces.

— Attends, s'il te plaît.

La jeune femme regardait, impuissante, son homme qui se tordait de douleur. Les larmes lui montèrent aux yeux lorsque la peur le reprit de plus belle. La porte entre baillé s'ouvrit et Joseph se montra devant eux, accompagné d'Harold et d'Adélaïde, battue, qui portait ses stigmates aux visages. Le vieil esclave s'approcha et poussa Marie, qui fit tomber Ovide dans la foulée :

— Voyez, maître ! Ne vous l'avais-je pas dit ? J'avais raison ! s'écria-t-il. Cet enflure a été contaminée par ce nègre ! ajouta-t-il en crachant sur Ovide. Et cette esclave est complice ! Il faut la punir bien plus qu'avec de simples coups ! Elle mérite un châtiment exemplaire !

Le père se contenta de regarder sa fille, avec un regard si noir, qu'elle sentit immédiatement le danger. Elle regarda alors son partenaire, qui ne pouvait enlever ses yeux du maître tant il était apeuré.

D'un geste lent, Harold ferma la porte de la grange.

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