Folie

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"Trouble mental ; égarement de l'esprit."


Elizabeth et Harold parlaient depuis maintenant près de trois heures sur la terrasse. L'après-midi était bien entamée et les deux tourtereaux les écoutaient, sans trop prêter attention au sujet qu'ils traitaient. Sur leur table, les serviteurs avaient disposés du thé, du café, du whisky ainsi que toutes sortes de pâtisseries et de biscuits. La tante de Marie se tourna brusquement vers le jeune garçon :


— Comment t'appelles-tu ? Tu ne me l'a pas dit lorsque je suis arrivée, demanda-t-elle.

— Ovide, madame.

— Ovide... C'est rigolo comme nom. Je nommerai un de mes chevaux comme ça en rentrant, en ton honneur !

— Voilà qui est fort aimable de ta part, ma chère sœur, rigola le maître qui se délectait de ses moqueries.

— C'est tout à fait normal, voyons... pouffa alors la femme. Dit moi Harold, as-tu des écrevisses ? J'aimerai tant en manger pour le souper !

— Non, je n'en ai pas...

— Oh... Il doit être quinze heures ou quinze heures trente là ?

— Oui madame, répondit Joseph.

— Alors il n'est pas trop tard pour aller faire un tour en ville ! En partant maintenant, on devrait pouvoir manger à une heure encore convenable ! s'écria-t-elle.

— Mais Joseph ne peut pas y aller, voyons. Il ne fait plus ce genre de chose depuis longtemps et puis, il vieillit tu sais ! brailla Harold en riant.

— Peut-être, mais je cuisine encore de délicieux plats ! Ma recette du lapin au thym est exceptionnelle ! se défendit le vieillard.

— Certainement ! Il conviendrait d'ailleurs de donner ta recette à quelqu'un, un jour, je ne voudrais pas en être privé lorsque tu mourras ! plaisanta son maître.

— Oh, ne vous en faites pas pour moi ! Je vous enterrerai tous ! s'esclaffa-t-il de rire.

— Je demande à voir ! Bon, pour ces écrevisses... Marie, tu peux y aller ?

— Quoi ? Mais père ! protesta la jeune femme.

— Allons, allons, ne me répond pas ! Je te demande gentiment d'y aller, la moindre des choses c'est d'accepter non ?

— Si je vais en ville maintenant, je ne rentrerai qu'à vingt heures ! Et encore, s'il n'y a pas de problème sur la route.

— Dans ce cas, tu devrais partir dès maintenant non ?

— Je ne veux pas laisser Ovide seul !

— Il est assez grand pour pouvoir se gérer lui-même ! Dépêche-toi de partir ! Tu ne veux pas faire plaisir à ta tante, ce soir ?


Marie se leva dans une colère noire et entra dans la maison en claquant la porte. Adélaïde, sa suivante, lui emboita le pas rapidement, s'excusant pour elle auprès d'Harold de son comportement. La jeune femme prit un carrosse et avec deux gardes, ils partirent, laissant Ovide, Elizabeth et Harold entre eux. Après un blanc qui dura un instant, le propriétaire des lieux prit la parole :


— Je ne sais plus quoi faire avec elle... Elle est vraiment insupportable !

— Ah la jeunesse... Nous sommes passés par là avant elle, tu sais ! rigola sa sœur.

— Je suis sûr que nous étions moins chiant ! ria-t-il à son tour.

— Et toi, Ovide ? Parles-moi un peu de toi, tu sais tirer ?

— Euh... Non madame. Je n'ai jamais tiré de ma vie.

— Quoi ? Comment une telle chose se peut ? Harold, mon frère ! Nous devons régler ça !

— Tu comptes partir à la chasse dans cette tenue ?

— Mais non ! Je pensais juste à...

— À... ? Oh ! J'ai compris ! J'en ai justement deux dans la grange.

— Parfait ! Bertha, dit-elle en se tournant vers une de ses esclaves, va chercher mon arme !

— Oui madame.

— Allons-y.


Ils se levèrent tous les trois et la servante d'Elizabeth lui donna une boite scellée. Ils marchèrent en direction de la grange où Alfred avait été suspendu. En chemin, le frère et la sœur plaisantèrent sur tout et n'importe quoi, passant d'un sujet à un autre, ne prêtant pas attention une fois de plus au jeune homme. Une fois devant les portes du bâtiment, le maître des lieux ouvrit les portes en grand, dévoilant deux noirs attachés à des poteaux, vêtus d'un simple pantalon et assis dans leurs déjections. La tante de Marie ouvrit la boite qu'elle transportait et en sortit un revolver Le Mat, qui comportait plusieurs gravures, dessinant un cerf et un ours sur chaque côté de l'arme :


— Je l'ai acheté à un armurier pour près de cent cinquante dollars ! Il a posé une fine feuille d'or et y a gravé tous ce que vous voyiez-là.

— Il est magnifique ! s'écria Harold. Mais pourquoi un Le Mat ?

— Tout simplement parce qu'en plus de son barillet qui comporte neuf coups, Il y a un autre canon sous le premier. Je peux le charger avec de la grenaille, comme ça, si jamais je n'ai plus de munitions, il me reste toujours cette porte de secours. Je ne suis pas une aussi grande tireuse que toi, tu sais !

— Ne sois pas si modeste ! Il est incroyable ! s'extasia son frère. Dire que moi, je reste avec mon vieux Remington. Je devrais peut-être faire comme toi ?

— Oui, mais pour ça, il faudrait que tu arrêtes de compter tous tes cents ! rigola-t-elle.

— Ah, touché ! Bon, puisque tu nous as ramené une arme de premier choix, je te laisse faire la première !

— Mais... Faire quoi ? demanda Ovide. Que comptez-vous faire de ces gens ?

— Chut, et regarde.


Elizabeth se recula de quelques pas avec les deux hommes. Elle visa l'un des deux noirs et tira. Le bruit du coup de feu déchira le silence et la balle se logea directement dans la jambe de celui de droite, déchiquetant ses muscles et ses os. Le cri du pauvre esclave ne se fit pas attendre et il hurla à la mort l'instant d'après. Le frère et la sœur se mirent à rire de bon cœur, puis ils se tournèrent vers Ovide :


— Allez à toi, dit Harold.

— Quoi ? Mais non ! C'est hors de question ! s'indigna-t-il.

— Je te conseille de ne pas refuser, coupa Elizabeth en lançant un regard noir sur lui.

— Je ne peux pas faire ça. Je ne veux pas... C'est inhumain !

— Espèce de...


Dans un élan de colère, le propriétaire des lieux entra dans la grange et détacha le deuxième homme, qu'il jeta aux pieds d'Ovide. Il s'avança près de lui et tendit son Remington :


— Sois-tu tires, soit ma sœur donne à ce négro son arme pour qu'il te tire dessus. Tu choisis.


Le jeune garçon regarda le revolver de son beau-père puis ses yeux se tournèrent vers l'homme en face de lui, qui le suppliait de lui laisser la vie sauve. Alors qu'il hésitait, Elizabeth enleva toutes les munitions de son barillet, puis en remit une sans montrer où se trouvait la balle et tendit son bras en direction de l'homme à genoux.


— Si tu prends cette arme et que tu tires, tu seras libre de partir, annonça Harold.


Sans plus hésiter, l'esclave prit le Le Mat et pressa la détente, le canon en direction d'Ovide, mais rien ne sortit de l'arme. Sans perdre un instant, le jeune garçon attrapa le Remington, activa la gâchette et tira dans l'épaule de son adversaire. L'homme s'écroula et hurla de douleur pendant que le frère et la sœur rigolaient et se moquaient de lui. Elizabeth essaya de reprendre son dû mais le prisonnier s'accrocha à elle malgré sa douleur. D'un geste vif, Harold reprit son arme puis le frappa avec la crosse de son revolver. La tante de Marie activa le deuxième canon et tira de la grenaille sur le visage de l'homme qui se décomposa face à tous les morceaux de fer qui le lui lacérèrent. Il s'écroula sur le sol, sans vie, tandis qu'Ovide s'agenouilla face à toute cette violence.


— Ah ah! On se marre bien, pas vrai mon garçon ? brailla le beau-père à son gendre.

— Je... Je... bredouilla-t-il.

— Bon, si on faisait un autre jeu ? demanda Elizabeth qui rechargeait son Le Mat.

— Oui ! On ne peut pas s'arrêter ici ! J'ai une idée ! On compte jusqu'à dix et on va te tirer dessus, Ovide ! Si tu veux échapper à ça, alors tu vas devoir retourner le plus vite possible dans la maison ! Si tu vis, alors tu as gagné. Si tu meurs...

— Tu perds ! Comme c'est amusant ! Faisons ça ! s'écria sa sœur.

— Non... Non, je ne veux pas... Vous ne pouvez pas... bégaya le jeune homme mort de peur.

— Dix.

— Quoi ? Non, attendez !

— Neuf ! cria la femme excitée. Tu devrais te dépêcher, j'ai presque fini de recharger !


Incapable de bouger, la respiration rapide et saccadée, Ovide tremblait devant ces deux monstres. Il recula, d'abord doucement, puis se mit à piquer un sprint en direction de la maison. Perdant la notion du temps, incapable de réfléchir, il ne pensait plus qu'à atteindre la demeure avant le premier coup de feu. Alors qu'il courrait de toutes ses forces, il ne posa pas un seul instant son regard derrière lui. Harold se tourna vers sa sœur :


— Honneur à toi.

— Oh ! Tu es devenu galant ? Voilà une qualité qui te faisait défaut il n'y a pas si longtemps. Bien, je commence.


Elizabeth ferma ses yeux et visa dans la direction d'Ovide, aidé par les descriptions de son frère. Elle se concentra et tira, avant d'ouvrir les yeux pour savoir si elle avait pu toucher sa cible.


— Manqué ! s'écria Harold. Il court toujours ! Tu es trop à gauche.

— Ah zut ! C'est parce que tu ne m'as pas assez bien décris où il allait !

— Ah non ! Ne me rejette pas la faute, c'est trop facile ! Bon, à moi !


Alors qu'il fermait les yeux, le maître des lieux prit soin de mettre son viseur sur sa cible, puis fit mine de demander des conseils à sa sœur. Il tira après quelques instant et la balle frôla Ovide, l'égratignant et le faisant tomber.


— Touché ! Je n'y crois pas ! hurla la femme en sautant de joie. Tu es vraiment un tireur hors-pairs !

— Que veux-tu... Je tire souvent donc on peut dire que je suis bien entraîné.

— Oh ! Attends ! Regardes !


Le jeune garçon se releva malgré la douleur et la sensation de brûlure que lui avait provoqué la munition. Il se remit à courir vers la maison, qui se trouvait désormais à quelques mètres. Harold jura et le visa, les yeux grands ouverts cette fois-ci. Juste avant de presser la détente, Elizabeth posa sa main sur le Remington :


— Tu m'avais promis...

— Je ne veux plus le voir ! hurla l'homme noir de colère.

— Je sais. Mais tu m'avais promis...

— D'accord, dit-il en baissant son arme. Mais demain, je veux en finir. Peu importe ce que dit Marie.

— Je sais, affirma-t-elle. En attendant, il y a toujours l'autre avec sa jambe en moins, si tu veux t'amuser.

— Fais voir ton revolver ?

— Tu veux l'essayer ? questionna-t-elle en lui passant.


Harold s'approcha de l'esclave, toujours à terre. Sans même croiser son regard, il tira toute la grenaille sur lui, puis trois balles. Il se retourna vers sa sœur :


— Demain... On va en finir. Je te le promets, Ovide.


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