Ibn Hayyan a dit

6 minutes de lecture

Ibn Hayyan a dit:

   "Nul ne vit à son époque de femme d'allure plus gracieuse, de mouvements plus vifs, de silhouette plus fine, de voix plus douce, sachant mieux chanter, excellant plus dans l'art d'écrire et dans la calligraphie, d'une culture plus raffinée, d'une diction plus pure;

   elle connaissait même la médecine, l'histoire naturelle et l'anatomie, et d'autres sciences où des savants de l'époque se seraient révélés inférieurs.

   Elle excellait à la lutte, à faire de la voltige en tenant des boucliers, à jongler avec des lances, des sabres et des poignards efillés."

  Ce que ne précise pas l'hagiographe courdouan, c'est que cette célèbre djariya (courtisane) qui fit la fierté de la taïfa (royaume) d'Albarracìn avait une soeur ainée.

Laissons de côté pour un moment la cour de l'émir Hudhayl, pour nous interresser à cette soeur. Elle ne possédait certes pas toutes les qualités de sa cadette, mais elle avait quand même certains atouts qui allaient avoir leur importance en ces temps de fitna (guerre civile).

  Elle s'appelait Aaliyah.

  Aaliyah était née de l'union d'une paysanne de Francie, Lozah, et d'un juif de Déria, Dawud ben Yohänan.

  Talmudiquement parlant, Dawud n'était pas vraiment juif. Il avait été élevé dans une confrérie soufie jafarite d'Alexandrie qui avait trouvé asile en Andalus pour fuir les persécutions Obeydides (Fatimides du Caire). Une des filles du puissant clan des banu Hassan, grande famille de cette confrérie, originaire du Khorassan, avait été donnée en mariage à Yohänan ben Yohänan, le père de Dawud, qui était precepteur puis vizir auprès de l'émir de Déria.

  C'est donc dans cette ville de pirate, nichée sur la côte orientale de l'Espagne, en face des Baléares, que Dawud grandit. Il se tourna vers la religion de ses pères afin de faciliter son maintient dans la haute société. En effet, les banu Hassan, sa famille maternelle, n'avaient emporté dans leur fuite aucune autre richesse que la légende fantasmée de leur grandeur déchue.

  Dawud aurait dû suivre les traces de son père et trouver une confortable place dans l'administration. Mais le destin l'avait fait naître à Déria, ville plus connue pour ses bordels que pour ses écoles. Il avait reçu l'adab (éducation) cosmopolite propre à tous les ports andalous: un mélange de raffinement et de ruse, qui permet d'être à l'aise aussi bien à la table d'un vizir qu'à celle d'un proxénète. Il avait compensé sa fine corpulence par la stratégie de la manipulation. Ainsi, il avait des amis tant parmi les marins (lisez pirates) que parmi les cadi (juges) (lisez escrocs), tous unis par une passion commune: le jus de raisin fermenté.

  Un jour qu'il accompagnait une mission commerciale (lisez razzia (raid de pirate)) sur les rivages de la Septimanie, son navire s'échoua sur une plage près de Narbonne. Alors que les riverains étaient occupés à égorger les mahométains (les narbonnais avaient encore en mémoire l'occupation de leur comté, et bien que ce souvenir ne fusse pas si traumatisant, le butin des pirates échoués avait réveillé une ferveure religieuse aussi fugace que violente), Dawud parvint à se faire passer pour un malheureux provençal ravi par les infidèles.

  Les narbonnais ne pipaient mot au provençal, Dawud non plus... L'important pour la suite de notre histoire (et pour les plaisirs charnels de l'émir d'Albaraccìn) est que Dawud sauva sa tête.

  Après avoir rendu grâce à un saint quelconque, le pseudo-provençal et ses nouveaux amis se mirent d'accord pour:

1 ne pas tuer Dawud

2 ne pas trop le dépouiller.

  Dawud voulait maintenant rentrer chez lui. Or, souvenez-vous, il se prétendait provençal. Bien que "intelligence" ne soit pas le premier mot qui vient en tête quand on parle de Narbonne, les naufrageurs avaient quelques notions de géographie. Se pensant malin, et en effet il l'était, Dawud prit donc la direction du levant, se disant qu'à bonne distance il ferait demi-tour et passerait au nord de la ville.

 Dawud était malin, mais il n'avait aucun sens de l'orientation. Ainsi, après avoir fait volte-face aux environs de l'abbaye de Maguelone, conformément à ses plans, il partit si haut vers le nord qu'il en arriva à Tolosa (Toulouse) . Toujours confiant en son sens erroné, il poursuivit encore plus au nord atteignant Caors (Cahors). Cette ville lui plût. Devrait-on dire: ses vignes lui plurent. Engaillardi par le vin, Dawud s'adonna à une sorte de tourisme gastronomique, appréciant particulièrement les confits et autres magrets, content que le canard ne soit pas du porc. Son périple l'entraina non loin du castrum (chateau) de Gourdon. Et comme le climat commençait à devenir désagréable pour un méditerrannéen, Dawud se décida, fait rare, à se remettre en question, et il en arriva à la conclusion qu'il s'était grandement éloigné de sa patrie.

  Le soir où ce triste constat se présenta à Dawud, l'andalous profitait de l'hospitalité du menuisier d'un village. Ce menuisier avait une fille, ou plutôt sa femme avait une fille, d'un premier mariage. Lorsque Dawud l'apperçu, elle réveilla en lui de nombreuses émotions, la plupart localisées dans le bas-ventre. Il se mit immédiatement en tête de conquérir la paysanne callipyge par tous les moyens. Comme il n'était pas au fait des coutumes quercynoises, Dawud décida que le meilleur moyen serait le rapt.

  Il avait pour ça un plan très simple: le vin et le hashish. Le vin pour saouler la maisonnée, la drogue pour enlever toute résistance à la belle.

  Tout se déroula selon ses plans jusqu'au moment où notre héros et sa proie fumèrent la boulette que Dawud gardait bien précieusement depuis son départ. L'effet sur Dawud fut bien puissant, et prit par une soudaine légéreté et un bien-être intense, il se dit qu'il n'enlèverait pas la fille ce soir; il se contenta donc de l'honorer.

  Dawud avait donc renoncer à son projet de rapt, mais il n'en démordait pas de conquérir le coeur de la paysanne. En plus, il se plaisait bien chez ce menuisier. Les semaines, puis les mois passèrent... La fille avait vu son ventre s'arrondir, ses seins gonfler et ses envies de cornichons augmenter anormalement.

 Une foi que l'état de grossesse ne faisait plus aucun doute, Dawud décida qu'il était temps de donner un nom à la future mère de son enfant. Son nom de baptême était imprononçable pour Dawud, aussi il ne le retint jamais. Il la nomma donc Lozah (amande) en l'honneur de ses beaux yeux en amande.

  Dawud ne voulait pas que son enfant naquisse dans une étable, à la manière d'un veau, et il avait assez de considérations pour Lozah pour ne pas voir en elle qu'une simple génisse. Il décida de rapatrier sa famille en devenir dans sa ville natale. D'autant que ces quelques mois passés en Occitanie l'avaient rendu nostalgique de son port. Les odeurs de poissons frais, d'agrumes et d'embrains venaient le narguer jusque dans ses rêves. La douceur d'un mois d'octobre au bord de sa Mediterranée, lorsque le vent humide faisait s'hérisser les poils de ses bras, mais le soleil, jamais pudique, lui réchauffait la poitrine, tout ça lui manquait énormément. Il se rememorait, un sourire béat au lèvre, les bagarres d'ivrognes, les fesses des prostituées, le retour d'une expédition... AH! le retour d'une expedition! Dawud aimait les retours d'expédition. Toute Déria, tout l'émirat aimaient les retours d'expéditions!

  Dawud appréciait particulièrement les quelques jours entre l'annonce des hérauts et l'arrivée effective des bateaux. C'était comme si un ange et un démon s'emparaient des âmes des dérians. L'excitation se lisait sur tout les visages. Les créanciers pressaient leurs débiteurs à régler leurs dettes; souvent ils renégociaient un nouveau prêt. Les tavernes remplissaient leurs caves, les prostituées prenaient un peu de repos. Tous se réunissaient sur les quais, et c'était à qui verrait les voiles en premiers. Alors les paris étaient clos. Combien de navires perdus cette fois? Certains se faisaient de juteux bénéfices en spéculant sur l'echec d'une expédition. Mais lorsque le raid était un succès, et c'était souvent le cas quand Dawud était adolescent, à une époque où les pirates andalous répendaient la terreur jusqu'en Sardaigne, on pouvait être sur de trois choses:

1 les putains ne chomeraient pas

2 le crime augmenterait

3 l'émir ferait son apparition

Bien que les deux premiers points (surtout le premier) méritent bien des récits, attardons nous sur l'apparition de l'émir.

 Lorsque Dawud quitta Déria, la ville était sous le joug de Mudjahid ben Abdallah al Amiri al Muwaffaq. Les légendes vont bon trains sur les origines de cet esclave affranchi, siqlabi (esclave soldat) des derniers amirides, les usurpateurs du califa. Selon certains, il serait né le 6 juillet 985. Si vous n'êtes pas catalan, cette date ne vous dira rien. Par contre, si l'une de vos grands-mères habitait Barcelone ce jour-là, il est probable que vous ayez de bons gènes pour la course à pied, ou du sang berbère. En effet, le 6 juillet 985, la ville tombait aux mains de Mohamed ben Abu Amir al Mansour, connu chez les chrétiens sous le nom d'Almanzor.

Ce serait Al Mansour lui-même qui coupa le cordon ombilical d'Al Mudjahid avec son sabre. Il rapporta le nouveau-né dans ses bagages, ainsi que 1000 autres garçons et autant de filles.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Dove cesar ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0