Semaine 1 - Chocolat piégé

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Deux jours avant Pâques, vous avez la surprise de recevoir un mail vous invitant à une chasse au chocolat. Vous manquez de le mettre à la corbeille, croyant à une énième publicité, mais votre œil tombe sur le nom de l'expéditeur : Austin Fabexlu’u, le mystérieux millionnaire qui vit à quelques dizaines de minutes de chez vous, dans ce manoir si étrange. Vous froncez les sourcils, ignorant la réaction à avoir. Est-ce une blague ? Non, l’adresse email semble authentique, de même que les autres coordonnées. Sous l’emprise d’une curiosité grandissante, vous composez le numéro de téléphone. La voix pimpante d’une jeune secrétaire résonne à vos oreilles. Vous demandez confirmation de l’invitation, qu’elle vous donne après une rapide vérification de la liste qui lui a été donnée. Elle précise que le maître des lieux a choisi avec soin ses participants et qu’il enverra une voiture vous chercher, puis raccroche sur ces paroles sibyllines. Vous décidez de vous rendre à cette curieuse réception, quitte à vous faire rembarrer à l’entrée.

Le jour arrive et vous ne savez toujours rien de plus. À votre grande surprise, une grosse berline noire s’arrête devant chez vous. Vous vous attendez à moitié à la voir repartir, mais elle reste là, attendant de toute évidence quelque chose. Puis soudainement, vous vous souvenez de l’appel que vous avez passé. C’est donc vous qu’elle attend, et vous vous dépêchez d’enfiler ces chaussures si inconfortables ; vous avez d’ailleurs longtemps hésité avant de les choisir, ne sachant comme vous habiller pour l’évènement. Vous avez finalement opté pour un pantalon de toile droit et un chemisier léger, parfaitement adapté pour le temps doux qui règne ces derniers jours et suffisamment classe pour, vous l’espérez, vous fondre dans le décor des invités. Vous vous demandez qui sera là.

Le chauffeur sort de la voiture pour vous ouvrir la porte, puis la ferme avec douceur dans votre dos avant de s’asseoir à nouveau au volant.

Vous traversez la ville, puis le petit bois en sa bordure. Enfin, vous atteignez une large clairière au milieu de laquelle se dresse un imposant manoir. Une allée coupe les pelouses impeccablement tenues, et la berline s’y engage avant de passer sous une arche qui, de toute évidence, est ancienne. Vous arrivez sur une petite place ronde où attendent d’autres voitures. Des personnes commencent à en sortir, d’ailleurs. Le souffle coupé, vous reconnaissez Célia Gebäck, la célèbre pâtissière - vous adorez ses petits gâteaux au goût si surprenant - Suba Dizain, la dessinatrice - vous devez avoir deux ou trois de ses romans graphiques dans votre bibliothèque. Vous ne retrouvez pas tout de suite le nom de la troisième personne, puis enfin il vous frappe : c’est l’excentrique mais richissime Knaar Dreki, celle qui est passée à la télévision plusieurs fois pour parler de ses recherches. Si vos souvenirs sont bons, son prénom n’est pas la seule folie à son sujet, car elle aurait dépensé une fortune dans des expéditions dont le seul but était de prouver que les dragons existent toujours. Alors que vous quittez vous-même la voiture, vous vous interrogez une nouvelle fois : que faites-vous là ?

Un majordome à la mine austère vous accueille avec moult courbettes à l’entrée du manoir le plus stéréotypé que vous n’ayez jamais vu : tous les préjugés que vous auriez pu avoir sont réunis dans la bâtisse ; elle est grande, de facture importante, et vieille. Lumineuse, mais pas trop, avec des grandes fenêtres bien que rien ne soit visible à l’intérieur. Le vestibule est imposant et vous vous sentez minuscule au milieu de ces statues qui vous fixent. Vos trois compagnes semblent, elles, à leur aise. Célia Gebäck retouche même son maquillage dans l’un des miroirs sans paraître gênée du regard des autres. Elle claque les lèvres d’un air satisfait. Le majordome vous invite à rejoindre le jardin, et vous obtempérez sans prononcer un mot, vous sentant de moins en moins à votre place dans cet environnement de luxe apparent.

Le soleil frappe vos yeux ; est-il plus lumineux de ce côté-ci de la maison ? Quand votre vision s’est enfin adaptée, vous découvrez une estrade décorée de fleurs devant laquelle une longue table trône. Cinq autres femmes vous attendent, et vous vous immobilisez en reconnaissant deux d'entre elles : ce sont Eloolie Mubadae et Liune Nodem ! Elles aussi vous les avez vues à la télévision, et pas plus tard qu’hier même. Elles ont chacune publié une longue série de romans, il y a deux ou trois ans, qui ont rencontré un succès aussi soudain qu’exponentiel - vous avez lu l’une des deux d’ailleurs, et vous l’avez beaucoup appréciée. Leurs deux mondes étaient très semblables, mais plutôt que de crier au plagiat, elles se sont convaincues que le monde qu’elles avaient écrit existe bel et bien et qu’elles en sont toutes les deux les déesses créatrices - hier, elles étaient dans l’émission “C’est fou, et pourtant ils y croient !”. Knaar Dreki était là aussi d’ailleurs. Deux des femmes vous sont inconnues, même si vous pensez avoir déjà croisé la plus âgée - ses cheveux roses et bleus ne s’oublient pas, après tout - mais vous connaissez la dernière, et pour cause, elle est votre dentiste ! Vous soufflez un bon coup ; au moins, la docteure Niny Dat vous tiendra compagnie au milieu de toutes ces célébrités.

- Bienvenue à tous ! tonne soudainement une voix.

Les rires s’arrêtent et toutes les têtes se tournent vers l’estrade, où un homme d’âge mûr se tient, tout sourire. Les rayons du soleil font miroiter ses cheveux poivre et sel et briller l’anneau doré à son oreille.

- Bienvenue, répète-t-il, à la grande chasse aux œufs d’Austin Fabexlu’u ! Votre serviteur, mesdames.

Il s’incline et se relève dans un seul mouvement souple sans cesser de révéler ses dents blanches.

- Tout a été organisé dans le plus grand secret, si bien que même ma femme ici présente ne sait pas à quoi s’attendre.

La jeune femme acquiesce, l’air un peu absent. D’une main, elle agite son éventail alors que, de l’autre, elle attrape un petit four qu’elle avale d’une bouchée. Sa jeunesse vous rend mal à l’aise tant il est flagrant que son époux aurait pu être son père, cependant vous ne dites rien : après tout, qui êtes-vous pour juger vos hôtes ?

Austin Fabexlu’u frappe ses mains l’une contre l’autre avec deux petits claquements secs, et une armée de serviteurs sobrement vêtus envahit la terrasse. Ils confient à chaque invitée une enveloppe, puis s’évanouissent dans les confins du manoir aussi rapidement qu’ils sont apparus.

La texture du papier contre vos doigts est étrange. Très douce, mais étrange. Pour un peu, vous penseriez toucher de la peau. Avec un frisson, vous repoussez l’idée : non mais franchement !

- Vous trouverez dans ces enveloppes le premier indice. Votre mission est de trouver tous les œufs avant la tombée de la nuit. (L’homme baisse le regard vers sa montre avant de poursuivre :) Vous avez donc approximativement trois heures pour réussir ! Je vous souhaite bon courage, et que les meilleurs survivent jusqu’à la victoire !

Sur ces paroles, il saute de son estrade, embrasse sa femme sur le front et pénètre à son tour dans le manoir, vous abandonnant sur la terrasse sans plus d’indications.

Vous ne savez pas trop quoi faire. Un regard autour de vous vous indique que vous n’êtes pas la seule, car toutes vos camarades semblent plus ou moins perdues, à l’exception de madame Fabexlu’u, qui, elle, paraît prise par un ennui profond.

- Je vais gagner, annonce soudainement Célia Gebäck. Je travaille dans le chocolat, qui mieux que moi pour tous les retrouver ?

Sans rien ajouter de plus, elle ouvre l’enveloppe. Elle semble perplexe en découvrant son contenu. La curiosité vous dévorant malgré vous, vous l’imitez.

Une unique feuille d’érable est là, délicatement enroulée sur elle-même. Alors que vous la dépliez, vous vous attendez à voir un message, une inscription, quelque chose, mais rien. Soudainement, la femme inconnue se lève, l’air surexcité. Son regard parcourt l’assemblée avant qu’elle n’explique ce qu’elle pense avoir compris :

- Il y a un petit bois au fond du parc, avec plusieurs érables. C’est probablement là que sera le prochain indice !

Son excitation vous réchauffe le cœur, mais un hurlement vous glace le sang au même instant. Il provient de la direction qu’indique justement la femme. Il s’arrête aussi brusquement qu’il a commencé.

Un coup d'œil vers vos camarades de chasse vous montrent qu’elles aussi l’ont entendu, et qu’elles aussi n’en sont pas rassurées. Même madame Fabexlu’u en a perdu son flegme ! Elle agrippe le bras de sa compagne, l’air effrayé.

- Maman, on ferait mieux de rentrer, tu ne crois pas ? Je n’aime pas cette idée qu’a eue Austin, toutes ses idées tournent mal !

Sa mère lui tapote la main, la mine plus détendue.

- Mais non mais non, ce n’était qu’un corbeau, Zizi.

Aucune d’entre nous ne croit en ce qu’elle dit, mais le surnom a le bienfait de lancer une violente réaction de la part de madame Fabexlu’u, qui se lève d’un bond pour pointer un doigt menaçant vers sa mère.

- Ah ça non, pas ça, s’exclame-t-elle, tu sais très bien que je déteste quand tu m’appelles comme ça !

Un nouveau cri retentit, et vous vous figez, vous demandant à nouveau ce que vous faites là. L’ambiance est de plus en plus lugubre. Une main attrape la vôtre et la serre, vous faisant sursauter. Ce n’est que la docteure Dat, qui comme vous paraît avoir besoin de soutien.

Seulement maintenant, vous vous apercevez que Knaar Dreki et Célia Gebäck ont disparu.

Suba Dizain semble avoir fait le même constat puisqu’elle se frotte les mains d’un air décidé, proposant une chasse collective, le parc semblant bien trop grand pour pouvoir être ratissé sans aide. Madame Fabexlu’u acquiesce, la mine fière, sa crainte oubliée.

Alors que toutes vos compagnes se pressent vers le bois, vous n’avez qu’une envie : fuir, et le plus loin possible ! Cependant, la peur de traverser le manoir sans compagnie est bien plus grande que celle d’aller au devant de ces cris d’horreur et vous vous pressez derrière les autres.

Sous vos pieds, l’herbe s’enfonce avec délice. Si les circonstances n’avaient pas été aussi présentes dans votre tête, vous auriez beaucoup apprécié cette impression de marcher sur un nuage.

Le bois grossit de plus en plus alors que votre troupe s’en approche. Vous redoutez ce que vous allez découvrir. Vous vous glissez entre les arbres, sur le petit sentier sinueux. Vous devez l’admettre, c’est charmant.

Enfin, au détour d’un virage, vous découvrez vos deux camarades disparues, allongées à plat ventre par terre, cherchant apparemment quelque chose sous les pierres. Madame Dreki lève une tête alarmée :

- Célia a perdu une boucle d’oreille !

Alors que les exclamations d’horreur résonnent autour de vous, vous soupirez. Alors c’était ça, la source des cris ? Une vulgaire boucle d’oreille tombée ? Votre cœur bat un peu moins vite alors que votre respiration prend un rythme plus lent. Pfiou, que d’émotions !

Vous sentant d’humeur altruiste après toute cette excitation négative, vous vous accroupissez avec les autres pour repousser les cailloux, à la recherche du gâteau en saphir. Quelques instants seulement après, c’est Madame Dizain qui se lève avec un geste victorieux, avant de tendre le bijou à sa propriétaire qui, folle de joie, sautille sur place. Son enthousiasme vous met le baume au cœur.

Puis Madame Gebäck trébuche, se retient de justesse à un arbre et tout s’enchaîne. En se précipitant pour l’aider, Madame Dreki tombe à son tour, entraînant dans sa chute Madame Fabexlu’u qui n’oppose aucune résistance. Elles heurtent les jambes de la mère, qui pousse à son tour Madame Nodem, qui fait vaciller Madame Mudabae, qui tacle la docteur Dat, qui vous met à terre. En quelques secondes, Célia Gebäck est la dernière debout, régnant sur vous autres à ses pieds.

Elle sourit devant la scène qui, vous pourriez en mettre votre main à couper, doit être des plus cocasses, mais au même instant, un sifflement retentit, puis un bruit sourd. Les yeux de la jeune femme s’arrondissent, sa bouche s’entrouvre. Elle est immobile, le souffle coupé. Elle avance de deux pas, tousse, un filet de sang coulant sur son menton. Enfin, elle s’écrase au milieu de votre troupe, révélant la lance qui l’a frappée par derrière.

Après ça, tout n’est que hurlement.

Non mais comment avez-vous pu tomber dans une telle histoire ?

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