Semaine 27.3 - Le conte dont la Mère Noël est l'héroïne

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Il hocha vivement la tête, si vivement que ses dents s’entrechoquèrent.

- Monsieur Colère a dit que Jackson devait vous obéir pour tout tout tout, alors Jackson vous aidera.

- Ce n’est rien de bien complexe, reprit la Mère Noël, se rappelant la conversation avec les médecins, il vous suffit de répéter sept fois la phrase “je crois au Père Noël” en tournant sur vous-même sept fois. Vous pourriez faire ça pour nous, Jackson ?

Il acquiesça encore une fois, recula et obtempéra immédiatement. Ses paroles étaient si pleines d’innocence qu’elles vibraient dans l’air si pollué par la non-croyance. La Mère Noël s’était attendue à quelque chose de plus démonstratif, mais quand Jackson eut fini son septième tour, il n’y eut ni étincelle, ni lumière, rien qu’une jeune homme titubant tel un ivrogne bienheureux. Elle échangea un regard avec Pipo, qui se semblait pas plus avancé qu’elle, puis son attention revint vers l’homme qui riait.

- Monsieur Colère dit que Jackson a été gentil alors Jackson est content ! s’exclama-t-il avec la joie d’un enfant.

La Mère Noël lui sourit, posant doucement sa main sur son épaule pour l’empêcher de tanguer plus encore.

- Merci beaucoup, Jackson, vous nous avez beaucoup aidés. Mais maintenant, nous devons rentrer chez nous.

- Oh.

Son énergie était si soudainement retombée, et la lueur dans ses yeux s’était si soudainement assombrie que Pipo se glissa entre la Mère Noël et lui pour la protéger. Pourtant, Jackson ne fit aucun geste menaçant, se contentant de secouer la tête, l’air triste.

- Vous repartez déjà ?

Sa voix avait un ton si plaintif qu’il alla droit au coeur de Dulce. Elle écarta Pipo pour s’approcher du jeune homme.

- Voudriez-vous nous accompagner pour une petite ballade, Jackson ?

- Mais, boss... !

Elle coupa le lutin d’un geste de la main. Il grommella son mécontentement. Pendant ce temps, l’humain s’était animé, le visage illuminé d’une envie enfantine.

- Vraiment ? Jackson peut venir avec vous ? Madame Raison dit que oui vous l’avez dit mais Monsieur Colère dit que non non Jackson peut pas alors qui qui a raison ? Monsieur Colère a toujours raison mais parfois Jackson aimerait bien que ce soit Madame Raison alors qui qui a raison ? Madame Noël ? Qui qui a raison ?

- Madame Raison, Jackson, Madame Raison. Vous pouvez nous accompagner si vous le souhaitez, mais nous devrons vous ramener rapidement avant que vos infirmières ne se rendent compte de votre absence, d’accord ?

L’affaire fut vite réglée et la troupe quitta l’hôpital à bord du traîneau, non sans avoir laissé derrière un petit mot, rédigé par Pipo, indiquant que le patient était en compagnie de la Mère Noël et leur serait retourné par des lutins, afin de rassurer les aides soignants au cas où ils remarquaient la désertion. Le nuage de poussières dorées les enveloppa une nouvelle fois, au plus grand ravissement de Jackson qui galpissait en battant des mains.

Lorsqu’il se dissipa, la troupe ne se trouvait non pas au pôle Nord, mais dans une gigantesque caverne. Elle était si grande qu’un épais voile rouge couvrait son plafond et qu’il était impossible d’en voir les extrémités. Un énorme molosse aboya loin en-dessous d’eux et quand la Mère Noël baissa le regard, elle reconnut le plus célèbre des tricéphales, le très redoutable Cerbère. Elle avait toujours été fascinée par ses trois têtes, car elles étaient très différentes : perché sur le corps massif d’un bouledogue noir de la taille d’un hélicoptère, à la place centrale, se trouvait le faciès d’un caniche blanc aux babines retroussées ; à sa droite grognait un teckel chocolat de mauvais poil ; et à sa gauche était niché l’adorable visage d’un chiot jaune. Il jappa vers eux.

Amusée et attendrie par le mastodonte, Dulce claqua les rênes et Comète et Cupidon perdirent de l’altitude. Ils virevoltèrent autour de l’animal, au plus grand agacement des deux têtes adultes, et au plus grand ravissement de la plus jeune. La Mère Noël tira de sous son siège un de ces jouets en plastique rose qui couinent quand on les mord pour l’envoyer ensuite vers Cerbère. Les trois chiens se jetèrent dessus, mais ce fut le chiot qui l’attrapa car ses deux aînés étaient entrés en collision l’un avec l’autre. Il machouilla sa nouvelle acquisition, l’air heureux, tandis que le traîneau disparaissait encore une fois dans un nuage doré.

Cette fois-ci, l’équipée arriva bien au-dessus de la toundra froide du nord de la Russie et parvint un peu plus tard, sans nouveau contretemps, à la base polaire. Alors que le traîneau finissait de glisser sur la glace de la piste, Pipo se pencha pour vomir, le visage vert, Dulce sauta sur ses pieds sans attendre qu’il ne s’arrête et, Jackson sur ses talons, elle s’engouffra dans les longs corridors. Le Père Noël était sauvé, elle ne pouvait en déduire autre chose des lampes qui brillaient si chaleureusement. Elle poussa le battant du salon. La Mère Noël s’immobilisa si vivement que Jackson lui rentra dans le dos, mais elle ne s’en rendit pas compte, toute occupée qu’elle était à dévisager son époux à la santé recouvrée. Ses joues à nouveau rondes étaient rouges, sa barbe et ses cheveux avaient retrouvés leur blancheur d’antan. S’il semblait toujours amaigri, il ne paraissait plus aux portes de la mort, et c’était tout ce qui comptait pour Dulce. Sans l’avoir consciemment décidé, elle s’élança vers lui, le serrant aussi fort qu’elle le pouvait contre son coeur. Peu de mots peuvent décrire cette joie intense qu’elle ressentait, ce soulagement si grand qu’il est inimaginable et ne peut qu’être vécu. Le Père Noël riait, sa femme souriait à s’en déboîter la mâchoire et Rudolph les observait depuis son fauteuil, les yeux pétillants. Après l’avoir embrassé pour la énième fois, la Mère Noël se redressa et tendit le bras vers Jackson sans lâcher des yeux son mari.

- Approche.

Le jeune obéit, visiblement intimidé. Ses doigts de la main droite trituraient ceux de sa main gauche dans un ordre si stratégique qu’il semblait militaire. Son regard était un peu humide, tout heureux qu’il était de rencontrer cette si imposante idole. Cette dernière se redressa et lui sourit, ce qui parut encore plus perturber l’invité.

- Merci beaucoup, Jackson, dit le Père Noël d’une voix très douce.

- Jackson est content que le Monsieur Noël soit contente, marmonna l’interpelé, et Madame Raison dit que Jackson a raison alors Jackson est content mais Monsieur Colère est encore pas très sûr, il dit qu’il trouve que votre maison est jolie.

Nicolas et Rudoph se tournèrent vers Dulce, les yeux interrogateurs faces à cette réplique inattendue mais elle leur fit signe de passer outre. Le dernier se racla la gorge.

- Vous avez raison d’être content, Monsieur Jackson, car vous avez sauvé la magie de Noël.

Jackson leva un visage radieux vers lui. Son regard était humide.

- Oh, le Monsieur a appelé Jackson Monsieur Jackson, comme il est gentil ! Vous avez entendu ça Madame Raison et Monsieur Colère ? Il a appelé Jackson Monsieur Jackson !

Rudolph l’accompagna hors du salon pour laisser un peu d’intimité au couple Noël. Après lui avoir fait faire une visite de la base et des installations, le Père Fouettard, accompagné de quelques lutins (croyez-moi ou non, mais ils ne lui faisaient pas confiance avec les rennes !), ramena le jeune homme à sa chambre. L’un des lutins souffla en direction de son visage, ce qui l’amusa beaucoup et l’envoya dans un sommeil aussi profond que réparateur avant de quitter l’endroit sans qu’ils ne se fassent remarquer.

A son réveil, Jackson fut déçu de se retrouver en la seule compagnie de Monsieur Colère et de Madame Raison. Il bascula ses jambes sur le côté, croyant avoir rêvé, mais lorsqu’il se leva, une petite canne à sucre rouge et blanche glissa de sa main.

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